En toute discrétion, une partie du Jourdain fait peau neuve
Les travaux, qui ont vocation à attirer les visiteurs et permettre la baignade, auront pour effet de continuer à priver d'eau la Jordanie et les Palestiniens
Lentement mais sûrement, et surtout sans faire de bruit, un tronçon de 11 kilomètres du Jourdain est en train de faire peau neuve, de manière à devenir un lieu de baignade.
Pour autant, il n’est pas encore dépollué : il faudra, pour cela, attendre encore trois ans environ.
Mais ses rives sont en cours d’aménagement et d’embellissement, voire de restructuration par endroits, et une piste, à la fois piétonne et cyclable, longe désormais une grande partie de son flanc ouest, depuis le site pour canoë Rob Roy, au sud-ouest de la mer de Galilée vers le sud, jusqu’au village de Menahemia.
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De petits ponts mènent à des îles, et un talus escarpé a été aménagé afin de créer des entrées d’eau et de terres qui mènent doucement au bord de l’eau.
Des arbres adaptés à l’eau salée ont été plantés pour procurer de l’ombre, et des roches ont été stratégiquement placées au fil de l’eau pour ajouter des vagues et varier la vitesse d’écoulement de l’eau, afin de fournir des microhabitats à toute la faune locale.
Des sièges et aires de pique-nique devraient sous peu compléter le décor.
Les lieux sont ouverts au public, mais le jour où la journaliste s’est rendue sur place – en semaine -, seuls un pêcheur solitaire et quelques campeurs étaient là.
La vallée du Jourdain – qui fait partie de la grande vallée du rift syro-africain – a été une voie majeure pour la migration des premiers humains entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie, et demeure un couloir de migration clé pour les animaux, en particulier les oiseaux.
La rivière et ses rives sont la toile de fond de nombreuses histoires et traditions au coeur du judaïsme, du christianisme et de l’islam.
Cependant, au sud de la mer de Galilée, où la rivière s’étire sur près de 128 kilomètres (à vol d’oiseau), jusqu’à la mer Morte, la majeure partie de l’eau a été détournée pour les besoins humains d’Israël, de la Syrie et de la Jordanie, ne laissant qu’un mince filet d’eau.
Le tronçon d’environ deux kilomètres entre le barrage de Degania, à la pointe sud de la mer de Galilée, et le barrage d’Alumot, en aval, est propre.
C’est là que se trouve le site baptismal de Yardenit, actuellement en cours d’agrandissement.
Au sud du barrage d’Alumot – une grande langue de terre – se joue une toute autre histoire.
Pendant des années, les eaux entre ce barrage et le confluent du Jourdain et du Yarmouk près de Naharayim, au sud-est de Menahemia, ont été inaccessibles, putrides et polluées.
Au début du siècle dernier, la rivière, qui s’étend du barrage de Degania à Naharayim, a été creusée et rétrécie pour lui donner des allures de canal.
L’objectif était d’accélérer l’écoulement de l’eau pour le projet hydroélectrique de Pinchas Rutenberg, à Naharayim, qui a fonctionné entre 1932 et 1948.
Selon l’Autorité de l’eau, la quantité d’eau qui s’écoulait autrefois de la mer de Galilée est tombée à seulement 10 à 20 millions de mètres cubes par an, contre 1,2 milliard de mètres cubes avant qu’Israël n’en réduise le débit, dans les années 1960.
Au sud du barrage Alumot, la rivière a longtemps été un dépotoir pour les déchets et eaux usées, sans compter le ruissellement des produits chimiques agricoles et des fermes piscicoles.
Pour empêcher l’eau salée de se mélanger à l’eau douce de Galilée – le stock d’eau potable d’urgence d’Israël – l’État a construit le Collecteur d’Eau salée dans les années 1960.
Il s’agit d’un canal profond, flanqué de hauts murs de remblai en terre, qui s’étendait sur 22 kilomètres à l’ouest de la mer de Galilée et du Jourdain.
Ce collecteur à ciel ouvert a été remplacé par un tuyau, il y a environ 13 ans, mais 25 millions de mètres cubes d’eau saumâtre se déversent encore chaque année dans la rivière, au sud du barrage d’Alumot.
Pour brouiller davantage les cartes, les eaux usées non traitées de Tibériade, Safed et d’autres communautés de Galilée ont également été dirigées vers le Collecteur d’Eau salée.
Ce dernier a arrêté de fonctionner en 2015 lorsqu’une station d’épuration des eaux usées s’est construite en face du barrage d’Alumot. Il a été revu l’an dernier afin d’améliorer le traitement des eaux.
Il n’en reste pas moins que quatre millions de mètres cubes d’eaux usées retraitées se déversent encore dans la rivière chaque année, selon l’Autorité de l’eau.
Si tout se passe comme prévu, une usine de dessalement pour traiter l’eau salée sera construite dans trois ans près de l’endroit où le Jourdain rencontre le ruisseau Yavne’el, en face du splendide kibboutz Degania Bet.
L’eau dessalée desservira les étangs piscicoles d’Emek Hamayanot (vallée des sources), à raison de 10 millions de mètres cubes par an amenés vers un point situé au sud de Menahemia.
Entre-temps, toutes les eaux usées retraitées seront acheminées par des canalisations au plus près des besoins des agriculteurs pour l’irrigation de leurs cultures.
Une fois que ces polluants ne se déverseront plus dans le fleuve, la quantité d’eau propre de la mer de Galilée qui se déverse dans la rivière augmentera d’au moins 50 cm par an.
Depuis plus de 12 ans, le Service des eaux et de l’Assainissement de la mer de Galilée travaille à la mise en œuvre du projet gouvernemental d’élargissement de la rivière, en certains endroits, et de rétablissement de l’aspect naturel des lieux.
L’objectif est d’attirer plus de visiteurs et de touristes, et de restaurer des écosystèmes abandonnés à leur triste sort depuis des dizaines d’années.
Ces travaux ont notamment consisté en l’aplatissement du remblai Est du Collecteur d’Eau salée, de manière à dégager de petites baies et des pelouses, et en l’enlèvement de dizaines de milliers de tonnes de limon, sel et eaux usées.
D’après Oshri Iluz, un ingénieur qui travaille pour l’Autorité, les travaux de restructuration et d’aménagement paysager ont déjà coûté plus de 40 millions de shekels, issus en grande partie du Fonds de l’Autorité foncière israélienne pour la protection des espaces naturels.
L’Autorité israélienne de la nature et des parcs est en train de nouer un partenariat avec l’Autorité et le Conseil régional de la vallée du Jourdain pour partager les frais d’entretien, jusqu’à ce que l’INPA fasse officiellement de ce tronçon situé entre les deux barrages un parc national et de la section restante, jusqu’à Menahemia, une réserve naturelle.
La porte-parole de l’INPA a dit espérer que la déclaration soit faite dès cette année, en précisant que la décision ne dépendait pas de son organisation.
Les deux zones seraient ouvertes au public, sans frais d’entrée, a-t-elle ajouté.
À la vue des bouteilles vides et autres déchets abandonnés sur un rocher surplombant la rivière, Iluz explique que le Service d’Assainissement n’est pas équipé pour ramasser les ordures et que l’entrée de l’INPA dans l’équation assurera aux lieux nouvellement aménagés d’avoir « des gardiens qui s’en occuperont correctement ».
Tel Obaida, site archéologique situé le long de la rivière, sera transformé en attraction touristique.
Ce monticule d’apparence banale, pourtant doté d’une histoire extraordinaire, est situé près du kibboutz Beit Zera.
En fouillant une soixantaine de couches de terre, les plus anciennes datant de 1,5 million d’années, les archéologues y ont découvert les restes de l’une des premières traces d’Homo erectus hors d’Afrique.
Le tronçon de rivière en cours de réhabilitation s’interrompt juste avant le barrage d’Adama, où l’eau est alors précipitée vers l’Est par des murs de ciment, en direction du barrage hydroélectrique de Rutenberg.
Le long de l’imposant remblai de ciment court un chemin étroit que l’Autorité d’assainissement a construit pour les loutres.
Les travaux sont coordonnés et exécutés par l’Autorité des Eaux et de l’Assainissement de la Mer de Galilée, avec l’autorisation des ministères de la Protection de l’environnement et du Tourisme, de l’Autorité foncière israélienne, de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs, du Fonds national juif du KKL-FNJ et des autorités locales.
Les aménagements – et l’eau potable supplémentaire – ne concernent que ce tronçon de la rivière, dont les deux rives sont situées en Israël.
Au sud du point de confluence du Jourdain et du Yarmouk, le cours d’eau délimite la frontière entre la Jordanie et Israël, chaque pays contrôlant l’une des rives.
En novembre, une déclaration d’intention bilatérale a été signée entre Israël et la Jordanie pour organiser l’aménagement et le développement durable de cette section, qui se termine là où la rivière entre en Cisjordanie partiellement contrôlée par les Palestiniens, en direction de la mer Morte.
De tels accords sont très intimement liés aux aléas géopolitiques, de sorte que le calendrier de mise en œuvre est impossible à prévoir.
Des organisations telles que EcoPeace et l’Institut Arava pour les études environnementales font en sorte de mettre Jordaniens, Palestiniens et Israéliens d’accord, mais rien d’officiel n’a, pour l’heure, été révélé.
Gidon Bromberg, le directeur israélien d’EcoPeace, explique que la rivière renvoie à « la rareté, pour la bonne raison que nous nous trouvons dans le désert, que l’eau est rare et que les gens en ont besoin ».
« L’histoire de l’eau est toujours conflictuelle », poursuit-il.
« Lorsque c’est la rivière qui délimite la frontière, permettre à l’eau douce de s’écouler revient à donner du pouvoir à l’ennemi. »
Mais, ajoute-t-il, il est inutile pour Israël de réhabiliter la rive Ouest de la rivière, qui traverse la Jordanie et la Cisjordanie, et continue de recevoir les effluents des fosses d’aisance des quelque 700 000 Jordaniens et 52 000 Palestiniens privés de réseaux d’égouts.
Amener plus d’eau supplémentaire vers la rivière, encourager la coopération régionale pour la nettoyer et la gérer par le biais d’une commission trilatérale du type de celle qui existe, ailleurs dans le monde, renforcerait la résilience régionale face aux pénuries d’eau provoquées par l’augmentation rapide de la population et accentuées par le changement climatique, explique Bromberg.
Il ajoute que le manque d’eau est l’une des causes à l’origine de la guerre civile syrienne.
Bromberg ajoute : « La géopolitique, l’écologie, le tourisme, le climat – toutes ces questions doivent être traitées ensemble. »
Rappelant que l’Inde et le Pakistan administrent conjointement une partie de l’Indus, en dépit de leur hostilité, il poursuit : « Les questions frontalières ne devraient pas nous empêcher d’avancer sur la question de l’eau. La Jordanie bénéficie déjà d’eau de la mer de Galilée. Il est possible de se mettre d’accord sur la répartition de l’eau sans pour autant définir les frontières. »
EcoPeace est l’une des 10 organisations qui ont annoncé le mois dernier le lancement d’une campagne conjointe pour la réhabilitation du Jourdain et de la mer Morte.
« Pas besoin d’être Einstein pour comprendre qu’en investissant et en fournissant de l’eau, on permet au tourisme et aux pèlerinages de se développer, ce qui contribue à la prospérité et à la stabilité », conclut Oded Rahav, fondateur du groupe de protection de l’environnement les Gardiens de la mer Morte et acteur clé de la création de cette coalition.
« Avec la stabilité, on n’a plus besoin d’armes. Et on produit plus de tomates. »
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