Erdogan: Le Hamas n’est pas terroriste, ce sont des moudjahidines qui défendent leur patrie
Le président continue de fustiger la guerre d'Israël contre Gaza, laissant planer le doute sur le rapprochement avec Jérusalem, laquelle « rejette sans réserve » ces propos
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré mercredi que le Hamas n’était pas une organisation terroriste, mais qu’il s’agissait de « moudjahidines » qui défendent leur patrie.
Israël « peut considérer le Hamas comme une organisation terroriste, au même titre que l’Occident », a déclaré Erdogan, s’exprimant devant des députés de son parti – l’AKP – au Parlement. « L’Occident vous doit beaucoup. Mais la Turquie ne vous doit rien. »
« Le Hamas n’est pas une organisation terroriste, c’est un groupe de moudjahidines qui défendent leurs terres », a-t-il déclaré sous une ovation, devant des députés debout. « Moudjahidines » est un terme arabe désignant ceux qui sont engagés dans le djihad, la guerre sainte.
Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Lior Haiat, a déclaré peu après qu’Israël « rejette avec vigueur les mots durs du président turc à l’égard de l’organisation terroriste du Hamas ».
Haiat a ajouté que le Hamas est une « organisation terroriste méprisable, pire que l’Etat Islamique » et que « même la tentative du président turc de défendre l’organisation terroriste et ses propos provocants ne changeront pas la réalité des horreurs que le monde entier a vues et le fait sans équivoque que Hamas = Etat Islamique ».
Israël affirme frapper des cibles terroristes dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre contre le Hamas, ouverte le 7 octobre dernier, lorsque quelque 2 500 terroristes ont franchi la barrière de sécurité vers Israël, tué quelque 1 400 personnes, enlevé 220 otages et tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes. La grande majorité des personnes tuées par des hommes armés, dans les communautés proches de Gaza, étaient des civils, hommes et femmes, enfants et personnes âgées.
Erdogan n’a pas officiellement condamné le massacre de civils israéliens par le Hamas.
Le discours d’Erdogan à Ankara n’est pas sans rappeler des propos similaires, ces dernières années, à propos du Hamas.
« Le Hamas n’est pas une organisation terroriste et les Palestiniens ne sont pas des terroristes », avait-il tweeté en 2018, en guise de « rappel » pour Netanyahu. « C’est un mouvement de résistance qui défend la patrie palestinienne contre une puissance occupante. »
Erdogan n’a pas hésité à qualifier le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de terroriste et à ordonner des opérations militaires contre lui. Plus tôt ce mois-ci, Erdogan a annoncé « l’intensification des opérations aériennes » contre le PKK à la suite d’un attentat-suicide à la bombe à Ankara, bien déterminé à « montrer aux terroristes que nous pouvons les détruire n’importe où et n’importe quand ».
Netanyahu a lui aussi qualifié le PKK d’« organisation terroriste ».
Erdogan a par ailleurs déclaré, mercredi, dans le cadre du forum de l’AKP qu’il renonçait à ses projets de déplacement en Israël en raison de cette guerre « inhumaine ».
« Nous avions le projet de nous rendre en Israël, mais il a été annulé, nous n’irons pas », a déclaré Erdogan.
Pour sa part, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a, depuis le Qatar, accusé Israël de « crime contre l’humanité » lors de sa guerre contre Gaza.
« S’en prendre ainsi à nos frères palestiniens – enfants, malades, personnes âgées, écoles, hôpitaux et mosquées compris -, est un crime contre l’humanité », a-t-il déclaré, aux côtés du ministre qatari Mohammed bin Abdulrahman Al-Thani.
Erdogan critique Israël depuis le début des combats contre le Hamas, à la suite des massacres du 7 octobre.
La semaine dernière, Erdogan a appelé Israël à cesser son action militaire.
« Il est clair que la sécurité ne peut pas être assurée en bombardant des hôpitaux, des écoles, des mosquées et des églises », a déclaré M. Erdogan par voie de communiqué. « Je réitère notre appel au gouvernement israélien pour qu’il n’intensifie pas ses attaques contre les civils et qu’il mette immédiatement fin à ses opérations, qui s’apparentent à un génocide. »
L’armée de l’air israélienne pilonne la bande de Gaza depuis le 7 octobre, dans l’intention de renverser et détruire le Hamas.
Les autorités sanitaires dirigées par le Hamas ont déclaré, mercredi, que le nombre de morts dans la bande de Gaza dépassait les 6 000, sans précisions sur la part de civils et de membres de groupes terroristes, et alors même que ces chiffres n’ont pas pu être vérifiés de manière indépendante. Israël affirme avoir tué quelque 1 500 terroristes entrés sur son territoire lors de l’assaut du 7 octobre dernier.
Le fait qu’Erdogan prenne fait et cause pour le Hamas et porte des accusations contre Israël met à rude épreuve les initiatives de réchauffement les relations de ces dix-huit derniers mois, après des années de franche animosité.
Avant l’arrivée au pouvoir d’Erdogan, Israël était un allié régional de longue date de la Turquie, mais les relations se sont disloquées en 2010 après un raid israélien sur le navire Mavi Marmara, à destination de Gaza, qui faisait partie d’une flottille décidée à contourner le blocus. Dix militants turcs qui avaient attaqué des soldats de Tsahal à bord du navire ont été tués.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et Erdogan se sont affrontés à distance à plusieurs reprises les années suivantes, ne s’épargnant rien, pas même des accusations de génocide. En juillet 2014, Erdogan a accusé l’État juif de « perpétuer l’esprit d’Hitler » pendant une guerre contre Gaza.
Les relations se sont par la suite un peu améliorées, mais les deux pays ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs en 2018 en raison des violences à Gaza et du transfert de l’ambassade à Jérusalem par l’administration Trump.
Confronté à un isolement diplomatique de plus en plus important et à de grandes difficultés économiques, Erdogan a donné des signes publics d’ouverture en décembre 2020. En août 2022, Israël et la Turquie ont annoncé une nouvelle ère dans leurs relations diplomatiques.
Fin septembre, Erdogan a rencontré Netanyahu à New York, pour la première fois officiellement, et les deux hommes ont évoqué avec enthousiasme des perspectives de coopération. Le président Isaac Herzog a été accueilli par Erdogan en mars dernier à Ankara – première visite israélienne de haut niveau depuis 2008 – et le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a rencontré le dirigeant turc en février. Le Premier ministre de l’époque, Yair Lapid, avait rencontré Erdogan à New York lors de l’Assemblée générale en 2022.
Dans le même temps, la Turquie entretient des relations fortes avec le Hamas. Erdogan est en contact avec la direction du Hamas depuis le début de la guerre et a permis au groupe terroriste d’opérer à partir d’un bureau à Istanbul pendant plus d’une dizaine d’années, insistant sur le fait qu’il n’héberge que l’aile politique du groupe. Mais en 2020, Israël a fourni aux services de renseignement turcs des preuves que des membres de l’aile militaire du Hamas agissaient depuis ce bureau, sous la supervision de Saleh al-Arouri, depuis Beyrouth.
À partir de ce bureau, les terroristes du Hamas auraient planifié des attaques terroristes contre Israël et mis au point des circuits de transfert des fonds aux militants du groupe terroriste en Cisjordanie.
Selon Al-Monitor, dans une interview accordée à la télévision turque la semaine dernière, l’ancien chef du Hamas basé au Qatar, Khaled Mashaal, a déclaré avoir « le plus grand respect pour la Turquie », ajoutant que « la Turquie devrait dire ‘stop’ » à Israël. L’ancien dirigeant a rencontré Erdogan à plusieurs reprises ces dernières années, et dans un discours aux membres du parti d’Erdogan en 2014, il avait dit espérer « libérer la Palestine et Jérusalem » avec leur aide.
Un récent sondage montre que la majorité des Turcs souhaitent qu’Erdogan reste neutre ou qu’il joue un rôle de médiateur dans cette guerre.