GB : Y a-t-il une place pour les Juifs dans un parti travailliste dirigé par Corbyn ?
La communauté juive britannique se prépare au jour où le député de la gauche prendra les rênes de l'opposition de sa majesté

LONDRES – Il est le cadeau de Rosh Hashanah non désiré par la majorité des Juifs britanniques.
Mais, sauf accident majeur, samedi soir, le 12 septembre, Jeremy Corbyn, le député de l’opposition de la gauche dure qui s’est présenté au dernier moment, deviendra le nouveau leader du parti travailliste.
Le reflet du profond mécontentement derrière les apparences de la communauté juive britannique se retrouve dans la réticence de beaucoup de la communauté juive organisée à parler au The Times of Israel à propos de l’impact d’un parti travailliste dirigé par Corbyn.
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Un député juif « ne pouvait pas répondre à votre demande pour le moment ». D’autres n’ont pas répondu aux appels ou se sont cachés derrière des communiqués de presse. Certains de ceux qui sont familiers avec le fonctionnement interne du Parti travailliste n’ont accepté de parler que de façon anonyme.
Le lobby, Labour Friends of Israel (LFI) a refusé de commenter jusqu’à ce que le résultat de la course électorale soit annoncé lorsqu’on leur a demandé si le LFI inviterait Corbyn, comme il est de coutume pour le chef du parti, à ses événements sociaux de la conférence annuelle prévue à Brighton à la fin du mois de septembre. Cela revenait à demander, accueillirait-il l’homme qui a déclaré que le Hamas et le Hezbollah étaient ses « amis » et qui a été approuvé par eux ?
Jonathan Arkush, le nouveau président du Conseil des députés, a suggéré que derrière les portes closes, les débats sur la manière dont il faut faire face à Corbyn avaient provoqué des convulsions.
Il a publié une déclaration pour le Times of Israel en parlant de « préoccupations très profondes » de la communauté juive à propos « des liens supposés de Corbyn avec un négationniste de l’Holocauste et d’autres personnes ayant des antécédents antisémites et de ses positions hostiles sur Israël ».

« La communauté a également été très troublée par son amitié apparente envers le Hamas et le Hezbollah, qui sont deux organisations terroristes proscrites. Tout politicien britannique à un poste de haut rang ne sera pas pris au sérieux s’il éprouve de la partialité envers des organismes terroristes », a déclaré Arkush.
Il a appelé Corbyn « à donner des réponses précises à des questions précises et à répudier n’importe quel soutien ou liens avec des antisémites, des racistes et des terroristes ».
« S’il est élu à la tête du Parti travailliste, je vais rapidement lui demander une réunion pour discuter des préoccupations de la communauté et commencer ce que j’espère être un processus d’engagement constructif », a promis Arkush.
Quant à Simon Johnson, le chef de la direction du Conseil juif, il a seulement accepté de déclarer que « la communauté juive a une longue histoire d’engagement constructif avec le parti travailliste. Nous nous efforcerons de travailler avec celui qui est élu en tant que leader la semaine prochaine et nous chercherons à construire une relation positive avec la nouvelle direction. »
Mais tandis que certains dirigeants juifs craignaient la perspective d’un parti travailliste dirigé par Corbyn, il y avait aussi des indications que Corbyn est lui-même pas très enchanté à l’idée de traiter avec la communauté juive.
Sa campagne a attiré un déluge de critiques de ceux qui étaient consternés par certains de ses liens et par certains de ses sympathisants.
Le député travailliste, John Mann, qui n’est pas juif et qui est le président du Groupe parlementaire multipartite sur l’antisémitisme, a reçu une tonne d’insultes antisémites qui, selon lui, provenaient de ceux qui se disaient être des partisans de Corbyn.
« Les membres juifs du parti [me l’ont dit] qu’ils avaient été accusés de double loyauté. Je suis extrêmement préoccupé au sujet des partisans de Jeremy Corbyn. Cela a commencé il y a six semaines, quand j’ai défié le système d’adhésion. J’ai dit que c’était fou. Il semble que j’avais raison. J’ai été décrit comme un serviteur du Premier ministre israélien, un sioniste nazi, une ordure sioniste », a confié Mann au Jewish Chronicle.
Il s’est plaint auprès de la campagne de Corbyn, qui a promis d’extirper les militants antisémites. Mais la semaine dernière, le Jewish Chronicle, citant une « source bien placée » dans l’équipe de campagne du député, a déclaré que le refus de traiter de « front » avec les diverses questions préoccupantes de la communauté juive provenait de Corbyn de lui-même.
L’article fait valoir que cette réticence, selon la source, était due au fait que Corbyn était « partiellement désinvolte au sujet des préoccupations juives, en partie [parce qu’il sait que] l’hostilité envers ‘les néo-conservateurs sionistes’ plaît bien dans sa circonscription ».
Ayant accepté de parler sous condition d’anonymat, un dirigeant juif familier avec la politique travailliste a déclaré au Times of Israel qu’ « il est inutile de demander des garanties à Corbyn. Nous pouvons bien dire que nous ne savons pas quoi faire avec un parti dirigé par lui. Mais le parti lui-même ne sait pas quoi faire. Nous avons besoin de voir, d’abord, comment le parti travailliste acceptera cette réalité ».
Le chef a l’infime espoir que si Corbyn arrive au pouvoir – « et je pense toujours que c’est un ‘si’ –, alors il serait obligé de changer quand la machinerie parlementaire prendra le dessus ».
Les députés travaillistes juifs sont-ils sur la ligne de front ?
D’autres étaient moins optimistes. Des allusions appuyées et lancées par le cercle proche de Corbyn suggèrent que – malgré les dénégations – il peut très bien passer à la « dé-sélection » des députés siégeant, en ciblant particulièrement ceux qui ont exprimé leur opposition contre lui.
Essentiellement, cela signifie que les membres de la gauche dure se joindront au parti de la circonscription du député à éjecter et à la première occasion poussera à un vote contre le député local, tout en proposant son propre candidat de gauche à la place du député.
Parmi ceux qui sont dans la ligne de mire d’une telle démarche, il y aurait des députés tels qu’Ivan Lewis, le ministre du cabinet de l’Opposition pour l’Irlande du Nord et un ministre qui a fait partie des gouvernements dirigés par Tony Blair et Gordon Brown ; les deux députés juifs pour Liverpool, Louise Ellman et Luciana Berger ; et les deux députés travaillistes pour Ilford, Wes Streeting et Mike Gapes.
Lewis. qui est juif, représente la circonscription du sud de Bury dans le Grand Manchester, et dispose d’un grand nombre d’électeurs juifs.
Berger est une ancienne directrice Labour Friends of Israel tandis que Streeting, il a occupé le poste de président à une époque de l’Union nationale des étudiants, et Gapes, sont deux amis de longue date de la communauté juive.
Lewis a écrit au Times of Israel lorsqu’on l’a interrogé sur Corbyn : « Je ne voterai pas pour Jeremy Corbyn, car sur trop de questions, il préconise des solutions qui appartiennent au passé et qui ne doteront pas le pays ou le parti travailliste de la vision et des politiques, qui peuvent relever les défis de l’avenir. Je crains que son leadership nous empêche de reconstruire l’appui de la majorité des électeurs traditionnels de la classe ouvrière et de la classe moyenne, ce qui est essentiel si nous voulons gagner une élection. Certaines de ses déclarations politiques ont causé une grave préoccupation. Tout du moins, il a démontré un très mauvais jugement en exprimant son soutien et en omettant de dénoncer les gens qui se sont engagés non pas dans la critique légitime des gouvernements israéliens, mais dans la rhétorique antisémite. Cela me désole de devoir dire cela de certains membres de la gauche de la politique britannique que l’anti-racisme signifie tolérance zéro envers l’antisémitisme, il n’y pas de si, et pas de mais ».
Adrian Cohen est le président du Forum juif de Londres, une organisation qui a été mise en place à l’origine pour fournir à la communauté une façon de travailler avec le maire controversé de Londres, Ken Livingstone.
Cohen a déclaré au Times of Israel qu’ « à en juger par certaines des observations figurant sur les médias sociaux au cours de la campagne électorale, l’antisémitisme a été autorisé à se développer avec peu d’efforts pour y remédier par une grande partie de la gauche du parti qui prétend être anti-raciste ».
Il prévoit que si Corbyn gagne, il y aura probablement plus de ressources allant au groupe Stop the War Coalition, dont Corbyn est le président, au Palestine Solidarity Mouvement, dont Corbyn est le patron, et « plus de soutien en général pour le BDS, tout cela va créer une atmosphère difficile pour la grande majorité des juifs britanniques en raison de leur association avec Israël ».
Cohen le dit crûment : « Nous allons voir une forte érosion du soutien des Juifs pour le parti travailliste. De nombreux électeurs traditionnels du parti travailliste vont s’en sentir exclus ».
Tout le monde ne voit pas les choses sous cet angle. Un nouveau groupe dynamique a fait son apparition la semaine dernière se faisant appeler ‘les Juifs pour Jeremy’, qui semble refléter une réelle volonté de la part des jeunes pour un changement dans la politique britannique.
La rébellion des Juifs de gauche
‘Les Juifs pour Jeremy’ a été lancé sur Facebook à l’initiative du « magicien socialiste », Ian Saville, qui a déjà participé à un événement de collecte de fonds de Corbyn. Deux de ses « trucs » standards sont « The Class Struggle Rope Trick » et « The vanish of the military-industrial complex ».
Dans sa déclaration inaugurale du groupe, il a indiqué : « Fondamentalement, en tant que Juifs, des membres du groupe sont alarmés que certaines sections des médias ont cherché sans scrupules à étiqueter Jeremy Corbyn comme antisémite, ou comme un associé, en toute connaissance de causes, de partisan des antisémites ».

« Ceux qui connaissent Jeremy Corbyn et qui ont travaillé avec lui estiment que cela est une accusation absurde. Jeremy Corbyn a une longue histoire avec la lutte sur principe contre le racisme, et a une relation étroite et aimable avec la communauté juive dans sa circonscription. Il a longtemps eu des contacts amicaux avec les organisations juives à travers le Royaume-Uni et à l’étranger. Les membres de ‘Juifs pour Jeremy’ estiment que ces accusations sont une tentative cynique de nuire à la campagne de Jeremy Corbyn, et ne pensent pas qu’elles valent une critique ou un débat politique légitime ».
Saville a déclaré au Times of Israel que le groupe compte actuellement environ 300 membres, allant de juifs religieux à des juifs laïcs, des Israéliens, des connaissances de longue date de Jeremy Corbyn, ainsi que de plus jeunes « Juifs politisés ».
« L’équipe de campagne de Jeremy Corbyn est certainement au courant de notre existence, mais n’a pas été impliqué en aucune manière dans la formation du groupe… Nous croyons que nous avons à peine gratté à la surface de ceux qui soutiennent Jeremy Corbyn dans la communauté juive », a déclaré Saville.
Shlomo Ankar, un des Juifs soutenant Jeremy, a rédigé un article pour le quotidien communiste, Morning Star, cette semaine.
S’affranchissant des affirmations qui le qualifient d’ « une imbécile juive utile », Ankar a écrit : « Le mouvement de Jews4Jeremy est juste le début de ce qui pourrait bien finir par être une renaissance du socialisme juif, en particulier parmi la jeune génération… une pétition, qui vise à obtenir des milliers de signatures de la communauté juive, est en cours de rédaction et demandera à ce que les médias arrêtent d’utiliser le peuple juif comme un ballon de football politique pour aider les conservateurs à remporter les prochaines élections en barbouillant Corbyn et le parti travailliste ».
« De manière plus spectaculaire, la colère et la déception face à l’ordre du jour de l’aile droite du Jewish Chronicle a conduit à de nombreux jeunes juifs à décider de former un média alternatif de gauche pour donner une voix à ceux qui ont des penchants socialistes au sein de la communauté juive ».
Ankar a écrit que le groupe compte lancer une initiative le mois prochain appelée « J-voix », qui « a déjà réuni un certain nombre de militants juifs et sur Twitter ». Il vise à rivaliser avec la résonance du Jewish Chronicle en publiant des articles avec un ordre du jour différent sur les médias sociaux.
Alors, pourquoi les Juifs pro-Israël devraient rester dans le parti travailliste ?
La confusion et la colère ressenties au sein de la communauté juive envers le parti travailliste peuvent être ressenties lorsque l’on discute avec Neil Nerva, le vice-président du Mouvement juif des travaillistes (JLM), le successeur de Poale Zion et qui possède une affiliation officielle au parti.

Nerva reconnaît que « la communauté juive ne peut pas radier le leader de l’opposition » et dit « nous devons nous engager ». Mais il est malheureusement conscient que l’ampleur de l’antisémitisme exprimé pendant la campagne de Corbyn a rendu beaucoup de Juifs méfiants, pour le moins que l’on puisse dire, sur l’éventualité de rester chez les travaillistes.
Sa réponse est d’appeler autant de Juifs que possible à ré-adhérer aux syndicats et à demander aux échelons supérieurs du parti à remédier à la vague antisémite et à agir en conséquence.
Il y a la crainte considérable que dans un parti travailliste dirigé par Corbyn, ces syndicats qui ont une politique de boycott d’Israël en place, mais qui ne l’ont encore pas mise en œuvre, vont maintenant être encouragés à le faire.
Jeremy Newmark est le vice-président du parti travailliste de Borehamwood & Elstree et était candidat pour les travaillistes au Conseil d’arrondissement de Hertsmere en mai 2015. Il est également membre de l’exécutif du mouvement juif ouvrier et un ancien directeur général du Conseil de direction juive (JLC ).
Newmark est un stratège bien considéré dans la communauté et il estime qu’ « il y a une limite à ce que les institutions centrales communes peuvent faire… Il y aura déjà des discussions intensives en coulisses avec les alliés et les contacts à travers le mouvement plus large du parti travailliste. Il y aura des discussions dans l’ombre avec les membres clés de l’équipe de Corbyn. Mais plus important encore, la nature localisée et la base de cette campagne porte sur la décision stratégique prise par le JLC après l’élection de 2010 de consacrer ses ressources et ses efforts au renforcement de la base du militantisme politique à l’échelon local ».

Voici les conseils de Newmark : « dans un parti travailliste dirigé par Corbyn, l’influence et le pouvoir vont exister d’une bien meilleure façon en dehors de Westminster. Afin de façonner un parti travailliste qui est sensible aux préoccupations de la communauté juive, la communauté aura besoin des gens qui sont positionnés et capables de parler et de voter aux assemblées de circonscription ; des gens qui sont prêts à se faire élire et voter en tant que délégués à des conférences du parti ; des gens qui sont aptes à coopérer avec les travaux des instances et des comités politiques.
« Tout cela nécessite des investissements à long terme dans la base localisée de la formation politique, de plaidoyer et de l’activisme. Il y a tout lieu de croire que les JLC et d’autres travaillent dur pour offrir cela », a déclaré Newmark.
Cela faisait longtemps que les Juifs ont eu ce genre d’engagement au cœur de la politique du Parti travailliste. Pour ceux qui disent que cela n’a pas d’importance, car il est peu probable que Jeremy Corbyn reste le chef de file pour longtemps ou qu’il gagnera une élection parlementaire, les plus sages conseillent : ne l’enterrez pas tout de suite.
Newmark a déclaré au Times of Israel : « Je suis sûr qu’il y aura des membres juifs travaillistes dont la première réaction sera de quitter le parti travailliste emmené par Corbyn. Je comprends cela ».
« Il se pourrait bien que le Parti travailliste devienne un environnement difficile pendant un certain temps. Cela pourra même être le cas étant donné la chance incroyablement mince que Corbyn a de gagner une élection, les organisations nationales estiment qu’ils peuvent se permettre d’ignorer simplement le parti pendant une période », a déclaré Newmark.
Mais il a insisté sur le fait que dans une région où la campagne contre la légitimité d’Israël a été menée au sein de la société civile, des syndicats et des ONG, la position du parti travailliste reste encore influente.
« La position de l’opposition de Sa Majesté façonne au final la quantité d’espace politique au sein duquel le gouvernement peut fonctionner dans de nombreux domaines politiques. Voilà pourquoi, il continuera à être important que les membres juifs du parti travailliste restent impliqués, rester engagés et combattent dans la bonne bataille », a déclaré Newmark.
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