Guides touristiques: le projet de loi risque de nuire aux touristes en Israël
Une loi autorisant les guides touristiques non titulaires, qui sera présentée à la Knesset ce mois-ci, abaisserait le niveau et réduirait les revenus, selon les guides
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Les guides touristiques se battent contre un projet de loi qui, selon eux, non seulement nuira à leurs revenus, mais dépréciera également la qualité des séjours de millions de visiteurs en Israël.
Ils prétendent que le projet de loi sur les services touristiques, qui permettrait à des personnes autres que des guides titulaires d’un permis d’exercer la profession, réduirait la qualité du service et pourrait déformer l’image d’Israël que les touristes se font.
Les chiffres du ministère montrent que 2,18 millions de personnes ont visité Israël au cours des six premiers mois de cette année, soit une augmentation de 19 % par rapport à la même période l’année dernière, et une hausse de 49 % par rapport au premier semestre 2016. Le tourisme en provenance d’Extrême-Orient a notamment augmenté de 69 % au cours des deux dernières années.
Actuellement, si les touristes étrangers souhaitent faire appel à un guide, il ou elle doit être titulaire d’un permis.
Les guides touristiques qui ont obtenu une licence doivent passer un examen rigoureux à l’issue d’études intensives d’une durée de deux ans.
La formation, qui coûte des milliers de dollars, couvre tous les domaines : l’art, l’architecture, l’archéologie, l’Histoire, la religion, la faune et la flore, ainsi que les premiers secours, la logistique et l’organisation des excursions. Le cursus sera réduit à un an à partir de janvier, en raison de la masse d’informations désormais disponible en ligne, mais les examens seront toujours très exigeants.
De plus, pour renouveler ce permis, les guides qualifiés doivent suivre une formation supplémentaire chaque année. En retour, ils peuvent demander jusqu’à 240 dollars par jour pour leurs prestations.
Les seules autres personnes actuellement autorisées à officier en tant que guides sont celles qui ont été formées par des sites spécifiques tels que les musées et les parcs nationaux – le Musée d’Israël et le Centre mondial du souvenir de la Shoah, à Yad Vashem, par exemple. Dans ces cas-là, ils ne peuvent guider qu’à l’intérieur des locaux de leurs établissements respectifs.

Clauses désastreuses
Le projet de loi sur les services touristiques – qui doit être examiné par la Commission économique de la Knesset le 17 octobre avant ses deuxième et troisième lectures en séance plénière – vise à remplacer la loi existante de 1976 du même nom, qui a été modifiée par une multitude d’amendements et de règlements, jugés confus et dépassés.
Le projet de loi insiste sur l’utilisation de guides agréés pour « assurer la qualité du service – principalement dans le cas de groupes étrangers – afin de garantir l’image d’Israël comme celle d’un pays hospitalier ».
Mais d’autres clauses de l’avant-projet de loi contredisent cette formulation.
Les guides spécialisés dans le tourisme étranger s’opposent à une clause qui permettrait aux groupes parlant une langue « peu commune parmi les guides touristiques en Israël » d’utiliser comme guide une personne originaire de leur pays afin d’éviter « le double coût que représenterait le recours à un guide touristique et à un interprète ».
Ils s’indignent également de la décision de permettre à un « guide spirituel » – défini dans le projet de loi comme « un chef religieux chrétien autorisé par l’Église » – de conduire des pèlerins sans guide touristique agréé, pour autant que le « but principal » de la visite soit un « motif religieux ». Une telle disposition pourrait à la fois ruiner leur profession puisque la plupart des touristes en Israël peuvent sans doute être qualifiés de « pèlerins », et modifier profondément la nature du récit que les touristes entendent lors de leur visite du pays, selon eux.
Les termes du projet de loi seront peaufinés et précisés par un comité consultatif qui comprendra des représentants des guides touristiques, si le projet de loi devient une loi, a-t-on dit au Times of Israel.
Dans ses notes explicatives, le projet – qui vise également à uniformiser et à réglementer l’attribution d’étoiles aux hôtels et pensions – souligne que les droits du « guide spirituel » définis dans la loi « empêcheront les violations de la liberté religieuse et de culte ».

Yoni Shapira, président de Moreshet Derech, l’Association des guides touristiques pour le tourisme, a estimé qu’il y a déjà quatre à six guides non titulaires d’une licence qui opèrent en Israël – parmi lesquels des prêtres, des pasteurs et des chefs de groupe qui exercent un deuxième métier de guide. Selon lui, le projet de loi, s’il était adopté, en encouragerait beaucoup plus.
Shapira a estimé qu’il y a environ 5 000 guides titulaires d’une licence dans le pays, sur un total d’environ 13 000.
Mauvaises informations
Les guides touristiques titulaires d’une licence ont beaucoup d’anecdotes sur la façon dont des personnes mal formées qui dirigent des groupes peuvent falsifier les faits.
Il est arrivé qu’un jour un guide illégal de la Vieille Ville de Jérusalem a affirmé qu’une réplique de la célèbre carte de Madaba en Jordanie était l’original et que les Israéliens l’avaient volé.

Un autre guide d’une organisation juive orthodoxe a affirmé que le mur Occidental était le seul vestige du temple juif. En réalité, le mur sud est lui aussi un mur de soutien du Second Temple et le mur Occidental lui-même va bien au-delà du tronçon accessible sur le parvis de prière.
Dans un troisième cas, des touristes chinois ont été aperçus en train de toucher les murs des toilettes publiques de la place du mur Occidental en vénération comme s’ils étaient sacrés. Ils prenaient les récipients à deux poignées utilisés par les Juifs pour se laver les mains sur place pour y boire l’eau qu’ils croyaient être sainte.
Shapira a dit avoir entendu un prêtre polonais dire aux pèlerins de Yad Vashem que les images déchirantes des victimes juives de la Shoah qu’ils allaient voir ressemblaient « à ce que fait Israël aux Palestiniens ».
Maintien des normes
« Nous ne cherchons pas à exclure qui que ce soit », a déclaré Amos Garbatski, un guide touristique expérimenté qui représente Moreshet Derech dans le cadre de ses négociations avec la Knesset.

« Notre principal argument est qu’il est dans l’intérêt à la fois d’Israël – le pays d’accueil – et des visiteurs, de garantir la qualité et la protection des touristes en leur fournissant des guides agréés, en particulier pour les groupes. »
« Dans des pays aussi différents que l’Égypte, la Turquie et la Chine, tous les groupes qui arrivent par l’intermédiaire d’agents touristiques sont obligés de faire appel à des guides locaux », a-t-il dit.
« Dans les pays de l’UE, un guide suédois agréé peut légalement officier en Allemagne, mais il est obligé d’être accompagné par un guide local pour chaque site du patrimoine répertorié par le pays qu’il ou elle fait visiter », a-t-il ajouté.

« Un prêtre catholique n’est pas autorisé à guider à Saint-Jacques-de-Compostelle, par exemple. Il peut y diriger une messe, mais il ne peut pas se déplacer en voiture, ni dire un mot sur le site lui-même », a expliqué M. Garbatski. « Seul un guide grec agréé est autorisé à acheter des billets pour l’Acropole d’Athènes ».
« Le guide est le garant de l’expérience que le touriste aura du pays », a-t-il poursuivi.
« C’est le guide, plutôt que l’hôtel ou la nourriture, qui détermine si les visiteurs sont satisfaits de leur voyage – et c’est confirmé par les statistiques. »
« Mais le guide est aussi la personne qui fait en sorte que tout se passe bien », a-t-il poursuivi. « Si un agent de voyages ne fournit qu’un bus et un hôtel, qui est responsable si un visiteur tombe malade ou fait une chute ? » poursuit Garbatski. « Qui va s’occuper des problèmes qui peuvent survenir ? En plus de fournir des connaissances et une expérience, nous nous occupons des aspects techniques – la logistique, les horaires, savoir où manger, parler la langue et comprendre la culture locale ».
Guides spirituels
Il a déclaré qu’il était « totalement déplacé » pour le ministère du Tourisme d’utiliser « la liberté de religion et de culte » pour justifier les droits difficiles à définir du « guide spirituel » dans la loi israélienne.

« Nous n’intervenons pas dans les agendas des gens », dit-il. « Mais nous pouvons ajouter beaucoup de choses. Un pasteur évangélique peut connaître la Bible par cœur. Mais c’est nous qui pouvons lier les Écritures à la terre et permettre le contact avec ses habitants. Et les pèlerins sont aussi des touristes. »
Anticipant les actions en justice des chefs religieux juifs et musulmans qui revendiquent également les droits du « guide spirituel », Garbatski a estimé que jusqu’à 80 % du tourisme en Israël pouvait être considéré comme une forme de pèlerinage, y compris chaque groupe qui accompagne une bar-mitzvah sous la conduite d’un rabbin.
La proposition de reconnaître les droits des « guides spirituels » dans la loi découle d’une revendication historique des catholiques et des franciscains, selon laquelle ils ont guidé des groupes de pèlerins pendant des siècles et n’ont pas besoin que d’autres les assistent.
Dans les années 1980, alors que les relations entre Israël et le Vatican étaient plus délicates, Israël a accepté de laisser les prêtres guider sans entrave. En 1987, la Cour suprême a jugé que la dérogation à la loi de 1976 était « raisonnable ».

Mais bien qu’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères ait déclaré que le ministère n’avait jamais émis d’avis officiel sur cette question, une source étroitement impliquée dans l’évolution du nouveau projet de loi a déclaré au Times of Israel que son intégration ne s’impose plus forcément pour plaire au Vatican aujourd’hui.
Selon la source, les responsables du ministère des Affaires étrangères ont clairement indiqué que les relations entre Israël et le Vatican sont désormais suffisamment solides pour obliger les prêtres à emmener avec eux des guides diplômés.
Perdu dans la traduction
En ce qui concerne les groupes qui parlent une langue peu commune chez les guides israéliens, un voyagiste qui travaille avec des groupes chinois a déclaré qu’il serait préférable de permettre aux étudiants chinois anglophones de venir dans le pays pour des périodes définies et de leur payer le salaire minimum pour traduire ce que dit un guide israélien agréé.

Mais le ministère de l’Intérieur, qui délivre les visas, n’a même pas voulu discuter de cette idée, a-t-il dit.
Impact local
Les guides titulaires d’une licence qui travaillent principalement pour le marché intérieur israélien seront confrontés à une concurrence beaucoup plus vive si le projet de loi sur les services touristiques est adopté.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi insiste sur la présence d’un guide titulaire d’un permis pour assurer un « service valable » uniquement lorsque des groupes d’au moins 25 Israéliens ont réservé un véhicule par l’intermédiaire d’un agent de voyage.
Il permet également à des organisations telles que les ministères gouvernementaux et les ONG d’agir comme agents de voyage et de fournir leurs propres guides.
Benny Kfir, président de l’Association des guides touristiques d’Israël, qui s’occupe du tourisme interne et externe, a déclaré que la loi aurait pour effet de se passer complètement des licences pour guides touristiques.
Ilan Shchori, un guide agréé qui traite principalement avec des Israéliens, a déclaré qu’en permettant à des guides non qualifiés de faire le travail de guides qualifiés, le projet de loi allait à l’encontre des autres lois qui protègent la liberté professionnelle.

« Je n’ai aucun problème avec les chefs cuisiniers, les archéologues ou les universitaires de toute sorte qui tirent un revenu de leur profession en emmenant leurs étudiants voir des choses qui sont pertinentes », a-t-il dit. « J’ai un problème avec le fait qu’ils soient payés pour cela et qu’ils le fassent à mes dépens. C’est mon gagne-pain. Si je prenais des clients dans les restaurants d’un chef, il ou elle serait furieux. »
Shchori, classé 31e sur 243 guides pour ses voyages spécialisés à Tel Aviv par Trip Advisor, a déclaré que des guides non qualifiés affectaient déjà ses revenus et que le ministère du Tourisme n’agissait pas contre eux car ils ne disposent pas d’assez d’inspecteurs du travail.

« Beaucoup de gens prennent des informations sur mon site web sur des sujets tels que le marché de Sarona ou les graffitis, puis les utilisent pour leurs propres visites et les font payer moins cher que moi ».
« Sur dix groupes qui veulent faire l’une des tournées que j’ai créées, six vont à moi et quatre aux guides non titulaires d’une licence. »
Danny Amir, président de l’Association des tour-opérateurs israéliens, a posé la question rhétorique suivante : « Que se passerait-il s’ils déréglementaient la profession juridique demain ? »
Il a déclaré que l’industrie du tourisme accomplit un « travail sacré » pour donner aux visiteurs la meilleure expérience du pays, mais que le tourisme ne recevait pas la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’ambassadeur professionnel de premier plan.
Donner du « mordant » à la loi
Lior Farber, conseiller professionnel du ministre du Tourisme Yariv Levin, a déclaré au Times of Israel que la question n’est pas le manque d’application mais le manque de moyens juridiques pour traduire les contrevenants en justice.

Le projet de loi vise à renforcer la protection des guides touristiques agréés pour les groupes étrangers, a-t-il dit, tout en assouplissant les règles pour les touristes israéliens, qui connaissent le pays et n’ont pas forcément besoin d’un guide agréé.
Sous l’ancienne loi, il était difficile de prouver devant les tribunaux que quelqu’un qui guidait sans permis gagnait de l’argent pour cela. En vertu de la nouvelle proposition, le ministère pourrait imposer des amendes aux voyagistes et aux chauffeurs d’autobus s’il n’y a pas de guide touristique titulaire d’un permis à bord.
Farber a déclaré que les autorités délibèrent encore sur un certain nombre de questions controversées, parmi lesquelles la définition du « guide spirituel », les circonstances et le seuil au-delà duquel les touristes israéliens doivent employer des guides agréés, et les critères à fixer pour les guides sans permis.
Au sujet du manque de locuteurs israéliens de certaines langues étrangères, M. Farber a déclaré que le fait de rendre obligatoire l’emploi d’un traducteur et d’un guide pourrait dissuader les groupes de touristes étrangers qui payent déjà un prix élevé pour visiter Israël.
En raison de la grave pénurie de sinophones, a-t-il dit, le ministère a organisé un cours de plusieurs semaines pour donner des informations de base sur Israël aux locuteurs chinois déjà présents dans le pays afin de leur permettre de les guider dans les bus.
M. Farber a déclaré que les autorités discutent de l’idée d’avantages financiers pour encourager les locuteurs de certaines langues étrangères à suivre le cours complet de guide touristique agréé.
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