« La vie est belle », sorti en salles aux États-Unis il y a 25 ans, encore d’actualité
Le film de Roberto Benigni a secoué Hollywood et au-delà en 1997 en tentant d'insuffler de l'humour dans le décor d'un camp, salué par la critique - et critiqué par de nombreux Juifs
JTA – Ferne Pearlstein a revu « La vie est belle », le film de Roberto Benigni sur la Shoah récompensé par un Oscar, vers 2015. Elle travaillait alors sur son documentaire The Last Laugh (« Le dernier rire »), qui portait sur les possibilités – et les limites – de l’humour de la Shoah.
Pearlstein avait été frappée non pas par le caractère subversif du film de Benigni, mais par le fait qu’il semblait « insipide ». Dans les années 2000, a-t-elle fait valoir lors d’une récente interview, l’humour sur la Shoah était devenu beaucoup plus omniprésent, même s’il n’était pas toujours accepté. Joan Rivers avait fait une blague sur les chambres à gaz nazies à la télévision nationale. La superproduction The Hangover – réalisée et produite par le cinéaste juif Todd Phillips – a intégré avec désinvolture une blague sur la Shoah. Le sujet fait depuis longtemps partie de la routine des spectacles de stand-up de Sarah Silverman.
Mais lorsque « La vie est belle » est sorti sur les écrans américains il y a 25 ans, il avait ébranlé Hollywood et au-delà en tentant d’insuffler de l’humour dans le paysage d’un camp de concentration.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Je me souviens moi aussi l’avoir regardé à sa sortie et avoir été stupéfait que quelqu’un ait pris le temps de représenter une partie de notre histoire sous cet angle », a indiqué Rich Brownstein, l’auteur d’un livre sur des centaines de films ayant pour thème la Shoah.
Benigni, qui était alors un comédien italien bien connu, joue dans le film le rôle de Guido Orefice, un charmant vagabond italo-juif qui utilise sans cesse sa malice pour se sortir de mauvaises situations. Dans les premiers jours de la Seconde Guerre mondiale, il fait la cour à une non-Juive qui devait épouser un commandant fasciste local. Elle finit par l’épouser et lui donne un fils.
En 1944, lorsque les nazis occupent l’Italie, Guido et son petit garçon sont emmenés dans un camp de concentration sans nom. Tout le reste du film, qui se déroule dans le camp, Guido tente de cacher à son fils la vérité sur leur situation – en prétendant que leur emprisonnement est un jeu en réalité. Guido souffre du travail forcé, mais il trouve la force, après une journée de travail, de continuer à faire semblant pour son fils, pour l’empêcher de sombrer dans le désespoir.
Le film – entièrement en italien – a été un véritable succès et la tournée de remise des prix a été presque aussi mémorable que le film lui-même. Tout au long de cette période, Benigni a charmé le public américain avec des interviews délirantes et des discours d’acceptation de prix dans lesquels il a grimpé sur les sièges de cinéma et s’est exprimé dans un anglais approximatif mais plein d’enthousiasme. Aux Oscars de 1999, son film a remporté trois prix, dont ceux du meilleur film en langue étrangère et du meilleur acteur.
« C’est une terrible erreur parce que j’ai épuisé tout mon anglais », a souligné Benigni, lors de son deuxième discours de la soirée depuis la scène des Oscars après avoir déjà remporté le prix du meilleur acteur. « Je ne suis pas en mesure d’exprimer toute ma gratitude, parce que mon corps est en ébullition, car c’est un moment de joie colossal, et tout se passe vraiment d’une manière que je ne sait pas exprimer. J’aimerais être Jupiter ! J’aimerais kidnapper tout le monde et m’allonger dans le firmament pour faire l’amour avec tout le monde, parce que je ne sais pas comment l’exprimer. »
Le public a également été séduit par le film, qui est devenu le film en langue étrangère le plus rentable de l’histoire des États-Unis à l’époque (bien que « Tigre et dragon » l’ait dépassé deux ans plus tard).
Certains critiques ont adoré « La vie est belle », jugeant le film drôle, inspirant et original.
« Le film trouve le ton juste pour traiter de son sujet délicat. Et, en tout état de cause, Benigni ne fait pas vraiment de la comédie avec la Shoah », a écrit Roger Ebert. « Il montre comment Guido utilise le seul don dont il dispose pour protéger son fils. S’il avait eu un fusil, il aurait tiré sur les fascistes. S’il avait une armée, il les détruirait. C’est un clown, et le rire est son arme ».
Mais beaucoup d’autres, d’humoristes juifs à des universitaires, n’ont pas été aussi cléments. L’auteur israélien Kobi Niv a écrit un livre entier, en 2000, intitulé Life is Beautiful, But Not for Jews : Another View of the Film by Benigni (« La vie est belle, mais pas pour les Juifs : Une autre vision du film de Benign »), qui critiquait le film.
« Oh, Benigni allait clairement au devant de problèmes et il le savait », avait déclaré à l’époque Annette Insdorf, professeure de cinéma à l’Université de Columbia’ et auteure d’un livre sur la Shoah au cinéma.
De nombreux comédiens interviewés par Pearlstein pour son film – parmi lesquels Mel Brooks, Carl Reiner, Gilbert Gottfried et Judy Gold – ont contesté le caractère fantastique du film de Benigni. Le fils de Guido parvient à éviter les nazis en se cachant dans le bunker du camp, ce qui n’aurait pas été possible, a fait remarquer Pearlstein.
Mais le choix audacieux de situer la majeure partie du film dans un camp était un catalyseur plus important, a-t-elle ajouté.
« Pour beaucoup de gens, il est interdit de parler des camps, des chambres à gaz. Dès que l’on évoque ces scènes, les gens les refusent, même si la plaisanterie ne porte pas sur les victimes. »
Brooks aurait pu être un fan de « La vie est belle », lui qui avait choqué le public à la fin des années 1960 avec « Les producteurs » – qui mettait en scène une comédie musicale de Broadway avec Adolf Hitler comme élément principal de l’intrigue. Il avait également exploité l’Inquisition espagnole pour faire rire dans « History of the World, Part I ». Mais il a détesté « La vie est belle », qu’il a qualifié de « film fou qui a été jusqu’à tenter de faire rire dans un camp de concentration ».
« Le film montrait les baraquements dans lesquels les Juifs étaient gardés comme du bétail, et il faisait des blagues à ce sujet », avait souligné le vétéran de la Seconde Guerre mondiale au journal allemand Der Spiegel en 2006. « La philosophie du film est la suivante : les gens peuvent surmonter n’importe quoi. Non, ils ne peuvent pas. Ils ne peuvent pas se remettre d’un camp de concentration. »
Brooks s’est également insurgé contre le fait que Benigni ne soit pas Juif. « Dites-moi, Roberto, êtes-vous fou ? », avait-il dit dans l’interview accordée au Der Spiegel. « Vous n’avez pas perdu de proches dans la Shoah, vous n’êtes même pas Juif. Vous ne comprenez vraiment pas de quoi il est question. »
Le père catholique de Benigni avait toutefois passé deux ans comme prisonnier dans le camp de Bergen-Belsen, et le cinéaste s’était servi de ses souvenirs de cette période pour élaborer son scénario. Il avait également consulté des groupes juifs italiens et s’était inspiré des mémoires de Rubino Romeo Salmonì, survivant d’Auschwitz, intitulées In the End, I Beat Hitler (« À la fin, j’ai battu Hitler »). Salmonì a souvent eu recours à l’humour noir pour décrire son expérience de la Shoah.
Benigni a déclaré que « Le Grand Dictateur » de Charlie Chaplin, l’une des premières satires d’Hitler, avait été une autre source d’inspiration.
« C’est un hommage au maître, parce que j’adore ce film et, bien sûr, en faisant un film – une comédie sur un camp de concentration, j’ai regardé ce film un grand nombre de fois », avait expliqué Benigni à l’époque.
Selon Pearlstein, « l’intention » et « la réalisation » de cet humour sur la Shoah sont également très importantes. Brooks, a-t-elle observé, « fait une distinction complète entre l’humour sur les nazis et l’humour dans les camps ».
Brownstein est d’accord. « Il y a de grands films sur la Shoah réalisés par des non-Juifs, notamment ‘Cabaret’, ‘Inglourious Basterds’, ‘Au revoir les enfants’ (…). Et il y a d’horribles films sur la Shoah réalisés par des Juifs, notamment ‘Jojo Rabbit’. »
« Pour réussir un film, quel qu’il soit, il faut y mettre ses kishkés », a-t-il fait remarquer.
« Jojo Rabbit, la comédie dramatique de Taika Waititi sur un garçon allemand de l’époque nazie qui apprend des leçons sur la haine alors qu’il est désillusionné par les Jeunesses hitlériennes qu’il admirait autrefois, avait été confronté à un gantlet de critiques similaire lors de sa sortie en 2019. Certains avaient jugé que le principal personnage juif était creux, ou que la performance de Waititi en tant qu’Hitler – tel qu’imaginé par l’enfant protagoniste – était trop légère. Mais le film avait également valu à Waititi – un Néo-Zélandais, Māori et Juif – d’être acclamé par la critique. Il est depuis devenu l’un des réalisateurs les plus demandés d’Hollywood.
Pearlstein pense que l’humour sur la Shoah ne disparaîtra jamais complètement, même au lendemain de l’attaque, la plus meurtrière de l’histoire du pays et la pire contre des Juifs depuis la Shoah, le 7 octobre – lorsque le groupe terroriste palestinien du Hamas a massacré 1 200 personnes dans le sud d’Israël, dont la plupart étaient des civils, et enlevés plus de 240 otages.
« Il se peut qu’il y ait une baisse [de moral] pendant un certain temps. Pensez au 11 septembre – il y avait eu un creux, mais les gens en ont eu besoin [de l’humour], c’est un mécanisme de survie », a-t-elle souligné.
« Et c’est pourquoi vous entendez toujours parler du peuple juif et de son humour, parce qu’ils l’ont utilisé pour survivre dans les pires moments. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel