L’agent pathogène qui a anéanti les oursins d’Eilat atteint l’océan Indien
Craignant une pandémie, les scientifiques de l'Université de Tel Aviv, les premiers à identifier les agents pathogènes, travaillent avec d’autres chercheurs de la région
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Des scientifiques de l’Université de Tel Aviv ont découvert que l’épidémie qui a anéanti une grande partie de la population d’oursins d’Eilat s’était propagée via la mer Rouge jusque dans l’océan Indien, avec le risque de donner lieu à une pandémie.
Véritables « jardiniers » des récifs coralliens, les oursins mangent les algues qui privent les coraux de soleil, ce qui les empêche d’étouffer ces derniers.
On estime qu’un quart de la vie marine – soit plus de 4 000 espèces de poissons – dépend des récifs coralliens à un moment ou un autre de leur vie.
L’oursin infecté, le Diadema, est le plus courant sous les tropiques et l’agent pathogène violent qui l’attaque, capable de faire d’un oursin sain un squelette en l’espace de quelques jours seulement, se trouve dans l’eau.
Il y a de cela un an, des chercheurs de l’université dirigés par Omri Bronstein découvraient que tous les oursins noirs des récifs coralliens d’Eilat, dans le sud d’Israël, avaient été anéantis en l’espace de quelques semaines. A l’Institut inter-universitaire des sciences marines d’Eilat ainsi que dans les réservoirs de l’observatoire sous-marin de la ville, les oursins ont commencé à mourir, à leur tour, lorsque l’agent pathogène a pénétré dans les circuits d’eau alimentés en eau de mer.
Au même moment, d’autres pays riverains de la mer Rouge, comme l’Égypte et l’Arabie saoudite, faisaient eux aussi état de phénomènes de mortalité massive.
Selon l’équipe de Bronstein, qui a travaillé pour recueillir des données sur tous les stades de la maladie, les deux espèces d’oursins autrefois dominantes dans le golfe d’Eilat – à savoir l’oursin noir (Diadema setosum) et l’oursin barré (Echinothrix calamaris) – ont disparu.
Avec des outils de génétique moléculaire, les chercheurs sont parvenus à identifier l’agent pathogène responsable – Philaster apodigitiformis – déjà à l’origine de l’éradication de l’oursin à longues épines (Diadema antillarum) des Caraïbes, il y a environ deux ans (identifié par des chercheurs de l’Université Cornell).
Le phénomène le plus grave – et le plus étudié aussi – en matière de mortalité d’oursins a eu lieu dans les Caraïbes, en 1983. A ce stade, ni les coraux ni les oursins ne se sont complètement rétablis, toujours accablés par une surmortalité ces dernières années.
« Apparemment, l’importante mortalité identifiée par nos soins à Eilat en 2023 s’est propagée par la mer Rouge et au-delà – jusqu’à Oman, et même jusqu’à l’île de la Réunion, dans l’océan Indien », explique Bronstein, soit bien au-delà de ce à quoi nous nous attendions sur le plan géographique.
Il précise au Times of Israel que deux de ses doctorants ont analysé les données ADN de l’eau de mer du golfe d’Eilat, collectées dans le cadre d’un autre projet de son équipe, en remontant sur les deux dernières années. Cela devrait leur permettrait d’établir laquelle des deux hypothèses est correcte, à savoir : l’agent pathogène a-t-il atteint le nord de la mer Rouge depuis les Caraïbes ? Ou pré-existait-il là-bas, à un endroit où quelque chose – le changement climatique peut-être – l’aurait rendu violent ou aurait affecté l’immunité des Diadema ?
Il indique que la circulation de l’agent pathogène pourrait être facilitée par les mouvements des navires, les courants marins ou encore les poissons qui se nourrissent d’oursins infectés.
« Nous savons que cela a commencé chez nous et que cela s’est rapidement déplacé vers le sud, le long des routes maritimes de la mer Rouge », analyse Bronstein, ajoutant que ses chercheurs et lui savaient que l’agent pathogène était passé par le port jordanien d’Aqaba, non loin d’Eilat, avant d’atteindre la péninsule du Sinaï.
« Le premier endroit où nous avons identifié la mortalité, dans le Sinaï, se situe non loin d’un petit port, à Nuweiba, qui accueille des ferries d’Aqaba. Deux semaines plus tard, il était à Dahab, 70 kilomètres plus au sud », se souvient-il. Les chercheurs se sont rendus à Dahab lorsque l’agent pathogène y a été identifié : ils y ont vu des populations d’oursins en bonne santé se transformer en squelettes.
« Nous ne pouvons pas guérir la mer en lui donnant des médicaments », poursuit-il, « mais nous pouvons faire en sorte de limiter les dégâts que nous causons. »
La recherche pourrait aider à gérer la maladie, estime-t-il. Par exemple, si le transport maritime s’avérait être la cause, l’eau des ballasts des navires pourraient faire l’objet d’une analyse ADN avant d’être vidée.
Bronstein conseille d’organiser rapidement la reproduction de ces oursins en voie de disparition dans des systèmes déconnectés de l’eau de mer en vue d’une réintroduction dans leur environnement naturel.
Interrogé sur la possible substitution des oursins Diadema par d’autres organismes, Bronstein a expliqué que chaque espèce d’oursin se nourrit différemment sur le récif. D’autres oursins, dont le nombre semble augmenter, mangent moins d’algues et pourraient à terme poser problème car, en broutant, ils cassent de minuscules morceaux du substrat corallien dur, ce qui contribue à l’érosion des récifs.
Certains sont d’avis de remplacer les oursins diadèmes par des poissons, mais Bronstein estime que les algues sont capables d’atteindre une masse critique en l’espace de quelques semaines, là où il faudra des années pour que les populations de poissons soient de taille à les manger toutes.
Par ailleurs, si la pêche dans le golfe d’Eilat est dûment réglementée, la mer Rouge et l’océan Indien font eux l’objet d’une surpêche.
L’équipe de Bronstein travaille avec d’autres scientifiques, en Europe et dans la région, pour analyser les conséquences de la mortalité des oursins sur les coraux de la mer Rouge.
« Les oursins Diadema ne sont pas revenus dans le golfe d’Eilat. Nous n’en avons compté qu’une poignée. Et nous savons que la mortalité en mer Rouge y est plus élevée encore que dans les Caraïbes », ajoute-t-il. « Nous commençons à en percevoir les effets sur la couverture par les algues des récifs coralliens. »
Les coraux d’Eilat revêtent une grande importance à l’échelle mondiale, car ils se sont jusqu’alors avérés très résistants face à l’élévation des températures de la mer, exempts des signes – mortels – de blanchissement observés dans d’autres récifs.
Pour autant, ils font face à de nombreuses menaces, du développement touristique au ruissellement des engrais et des pesticides en passant par la pollution pétrolière.
L’étude a été dirigée par Omri Bronstein, de l’École de zoologie et du Musée d’histoire naturelle Steinhardt (SMNH), en collaboration avec les étudiants chercheurs Lachan Roth, Gal Eviatar, Lisa Schmidt et May Bonomo, ainsi que Tamar Feldstein-Farkash, des musées Steinhardt.
Ces résultats alarmants ont été publiés, jeudi, dans la revue scientifique Current Biology.