Le ministre de la Justice privé de parole lors des adieux à Esther Hayut
Selon la Haute Cour, les affaires actuelles rendent inapproprié le discours de Levin lors du départ de sa présidente ; seuls les juges s'exprimeront
A l’instar d’autres responsables, le ministre de la Justice Yariv Levin ne s’exprimera pas lors de la cérémonie d’adieux à la présidente sortante de la Cour suprême, Esther Hayut, en raison des tensions persistantes induites par la volonté du gouvernement de réformer le système judiciaire.
Autre signe de rupture avec la tradition, le président Isaac Herzog n’organisera pas de cérémonie en l’honneur de la présidente sortante et de son successeur, en raison du refus de Levin de réunir la commission chargée de nommer le nouveau président de la Cour suprême et de son opposition au choix des magistrats.
Dans une déclaration publiée par la chaîne publique Kan, qui a été la première à donner l’information, les services de la Cour ont confirmé que seuls Hayut et les juges s’exprimeraient lors de la cérémonie prévue à la mi-octobre à la Cour suprême, tout comme pour la cérémonie d’adieux à la juge Anat Baron, qui prendra elle aussi sa retraite ce mois-ci.
Selon cette source, les services de la Cour ont estimé qu’il serait inapproprié pour Levin de prendre la parole dans la mesure où il est partie à diverses affaires examinées par la Cour.
« Compte tenu des affaires en cours, il a été décidé qu’aucun intervenant extérieur ne s’exprimera lors des cérémonies d’adieu. Seulement la présidente et les juges », est-il écrit dans un communiqué.
Levin est à l’origine du projet gouvernemental de refonte radicale du système judiciaire, ce qui a considérablement dégradé les relations entre le gouvernement et la Cour. Un Comité ad hoc composé de 15 juges examine en ce moment-même les recours introduits contre la loi limitant les compétences de la Cour pour invalider les mesures gouvernementales à l’aune de leur « caractère raisonnable ».
Levin est critiqué par la Cour Suprême pour avoir fait obstacle à la réunion de la Commission de sélection chargé de nommer de nouveaux juges.
Le ministre entend en effet modifier la composition de cette Commission afin de permettre au gouvernement d’avoir carte blanche en matière de nomination des juges, de la Cour suprême aux tribunaux de premier ordre, autre facette du projet de limitation de l’indépendance d’une magistrature qu’il juge excessivement activiste.
Le mois dernier, la Cour Suprême a prononcé une injonction provisoire à l’encontre de Levin, le sommant d’expliquer pour quelle raison il avait refusé de réunir le comité de sélection.
Levin est tenu d’apporter une réponse argumentée aux différents recours d’ici le 9 octobre, l’audience en la matière devant se tenir au plus tard le 23 octobre prochain.
La procureure générale Gali Baharav-Miara, qui a rendu des avis recommandant à la Cour d’invalider des lois prises récemment, tout comme le président du Barreau, Amit Becher, qui a saisi la Cour d’un recours contre le gouvernement, seront eux aussi privés de parole lors des cérémonies, a précisé Kan.
Selon la chaîne, Levin serait la principale cible de cette limitation des interventions, les services de la cour craignant qu’il prenne l’événement en otage pour se livrer à une diatribe contre les juges et la Cour dans son ensemble.
Normalement, les juges sortants organisent une cérémonie d’adieu à la Cour suprême de Jérusalem, suivie d’une autre, à la résidence du Président, pour la prestation de serment du nouveau président de la Cour et l’hommage à son prédécesseur. Ces cérémonies sont normalement suivies par des dignitaires de haut niveau, ministres ou hauts responsables de la Justice, et les intervenants mettent leurs désaccords de côté pour faire prévaloir la courtoisie.
Le refus de Levin d’autoriser la réunion de la Commission de sélection des juges a eu pour effet de priver la Cour d’un président entrant prêt à prêter serment le 16 octobre prochain, date à laquelle Hayut quittera officiellement ses fonctions, atteinte par la limite d’âge légale de 70 ans.
Les services de la Cour ont confirmé qu’en l’absence de prestation de serment, il n’y aurait pas d’événement à la résidence du Président, l’occasion d’une cérémonie d’adieux au président sortant.
Selon Kan, Hayut a demandé que la cérémonie à la résidence du Président soit annulée puisque Levin s’est expressément opposé à la nomination de son successeur.
Des proches de Levin ont fait savoir à la chaîne que le ministre était prêt à autoriser la réunion de la Commission afin de nommer le successeur de Hayut, précision faite que le choix ne serait pas fait en fonction de l’ancienneté des candidats.
Il est communément admis, bien que cela ne relève pas d’un texte le spécifiant expressément, que soit nommé président de la Cour le magistrat avec le plus d’ancienneté, en l’occurrence le juge Yitzhak Amit, une fois Hayut à la retraite. Tous deux sont considérés de tendance libérale.
Fin août, le juge de la Cour suprême Yosef Elron s’est déclaré candidat à la présidence, en rupture avec le processus coutumier, ce que certains ont interprété comme une manoeuvre de Levin, même si les deux hommes ont nié avoir partie liée.
La relation entre Hayut et Levin peut être qualifiée de difficile. Levin et ses alliés ne se sont pas privés de critiquer sa manière de gérer les affaires de la Cour Suprême, lui reprochant à la fois son supposé activisme et son opposition partisane aux valeurs de droite.
Le projet du ministre de refonder le système judiciaire, fait de mesures qui, selon les critiques, en saperont toute forme d’indépendance, a fait l’objet de vives critiques de la part de Hayut et d’un rejet massif de la part de la population.