Le Premier ministre aurait pu être au courant des fuites d’informations de la part de son assistant
Les collaborateurs de Netanyahu ont fait référence à des informations transmises au Premier ministre dans le cadre des fuites de documents - même si l'acte de mise en examen des suspects ne précise pas à quel point il avait pu être informé
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Les détails d’un acte de mise en examen qui a été déposé jeudi contre le principal suspect dans le scandale de la fuite de documents sécuritaires suggèrent que le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait été au courant que des membres de son bureau avaient divulgué un document classifié auprès de la presse étrangère – une tentative visant à changer le discours public sur la question des négociations avec le Hamas, des pourparlers dont le but était de finaliser un accord de cessez-le-feu ouvrant la porte à la remise en liberté des otages.
Selon l’acte de mise en examen qui a été déposé à l’encontre d’Eli Feldstein, un collaborateur de Netanyahu, devant la Cour central de district, jeudi, un assistant du Premier ministre aurait dit à Feldstein que ce dernier était « satisfait » après la publication d’un document classifié dans le tabloïd allemand Bild.
De plus, dans les discussions qui avaient eu lieu entre Feldstein et d’autres collaborateurs du bureau du Premier ministre, avant et après la fuite, ces derniers avaient évoqué la possibilité d’informer Netanyahu de divers détails. L’acte d’accusation n’indique toutefois pas clairement si cette intention s’était concrétisée.
Netanyahu n’est pas suspect dans cette enquête. L’acte de mise en examen qui a été déposé contre Feldstein indique que le vol de documents classifiés, qui se trouvaient dans la base de données du renseignement militaire, s’était produit à l’initiative d’un sous-officier réserviste de Tsahal, et que Feldstein avait ensuite pris la décision de laisser fuiter l’un de ces documents auprès des médias.
L’objectif poursuivi par cette fuite, selon l’acte d’inculpation, était d’influencer la couverture médiatique et le discours public concernant les négociations sur les otages qui étaient alors en cours avec le Hamas – Netanyahu ayant été mis à mal après l’assassinat de six otages par le groupe terroriste, à la fin du mois d’août.
Le scandale des fuites a finalement éclaté après l’arrestation de Feldstein et du sous-officier le 27 octobre, et les détails de l’affaire ont lentement émergé au cours des trois semaines qu’a duré l’enquête.
Il ressort de l’acte de mise en examen que l’armée israélienne et le Shin Bet étaient principalement préoccupés par les atteintes potentielles que la fuite de documents avait pu causer aux capacités de collecte de renseignements d’Israël et aux sources, avec un impact négatif sur les capacités des agences de renseignement à obtenir de précieuses informations.
Comme le précise l’acte d’accusation contre Feldstein, la séquence des événements, depuis les vols de documents jusqu’à la fuite de l’un d’entre eux dans les médias, s’est déroulée sur une période de six mois, du mois d’avril au mois de septembre de cette année.
Au mois d’avril, le sous-officier mis en cause, qui travaillait au sein du département de sécurité du renseignement dans l’Administration du renseignement militaire de Tsahal, avait pris connaissance de renseignements bruts du Hamas sur la stratégie des négociations consacrées aux otages (les médias ont depuis indiqué que le document n’avait pas été rédigé par les dirigeants du Hamas, mais plutôt par des terroristes de plus bas-rang – dans cette mesure, il n’est donc pas certain qu’il ait reflété la stratégie globale du groupe).
Selon l’acte de mise en examen, le document hautement confidentiel n’avait pas été transmis par l’armée car, peu de temps après sa découverte, de nouvelles informations avaient été présentées – des informations que les responsables du renseignement avaient jugées « plus pertinentes sur la question des négociations ».
L’acte de mise en examen indique que la divulgation des documents originaux était susceptible de causer un réel préjudice à la capacité d’Israël à collecter des informations, exposant les sources. Ce qui explique pourquoi Feldstein est aujourd’hui accusé d’avoir porté atteinte à la sécurité de l’État.
Le 6 juin, le sous-officier avait parlé à Feldstein du document en question via WhatsApp, et il avait cherché à le transmettre à Netanyahu. Le 7 juin, le sous-officier avait envoyé à Feldstein un scan du document via l’application de messagerie Telegram.
Après l’assassinat des six otages, Feldstein avait décidé de transmettre le document de renseignement à la presse « pour fausser le discours public sur la question des otages après les exécutions » des captifs, selon l’acte de mise en examen.
Le 2 septembre, Feldstein avait fait parvenir le document à un journaliste de la chaîne d’information N12, Raviv Golan. Et il avait dit à Yonathan Urich, porte-parole de Netanyahu, dans un message WhatsApp, qu’il l’avait fait.
« Ne répondez pas et ne m’appelez pas, ce que je suis en train de préparer pour vous pour ce week-end vaut un million de dollars », avait écrit Feldstein avec enthousiasme, ajoutant : « Et [nous] avons besoin du Premier ministre pour cela ».
Mais Golan avait envoyé l’article à la censure militaire pour approbation, qui lui avait répondu qu’il était totalement interdit de le publier en raison de son contenu et de la source de l’information.
Guère découragé, Feldstein avait alors demandé à Urich s’il avait des contacts dans la presse étrangère, afin de faire publier l’article par un média étranger qui ne pourrait pas être bloqué par la censure militaire israélienne.
Urich lui avait recommandé de s’adresser à l’un de ses associés, Srulik Einhorn – un ancien conseiller de campagne du Likud. Feldstein avait transmis le document à Einhorn via WhatsApp, le 3 septembre. Einhorn l’avait envoyé à un journaliste du journal allemand Bild le 4 septembre, afin de contourner la censure militaire.
Bild avait publié son article le 6 septembre avec des citations directes du document classifié.
Après la publication, Urich avait écrit à Feldstein : « Le patron est satisfait » – une référence apparente à Netanyahu, qu’il avait ostensiblement informé de la publication de l’article.
L’acte de mise en examen précise que dans les jours qui avaient suivi, Feldstein avait cherché à accroître l’influence de l’article dans les médias israéliens. Il s’était toutefois heurté au scepticisme des journalistes locaux, qui s’interrogeaient sur les détails de l’article de Bild. Feldstein avait alors, semble-t-il, contacté le sous-officier, lui demandant de lui fournir la copie papier du document classifié original, afin qu’il puisse la présenter aux journalistes et prouver la véracité de l’information.
L’acte de mise en examen note que Feldstein avait reçu la fameuse copie de la part du sous-officier, en plus de deux autres documents classifiés, le 9 septembre. Il avait alors apparemment dit à un autre porte-parole de Netanyahu, Ofer Golan, que « j’ai tout rassemblé » et que « nous devons l’apporter au patron ».
Il avait également transmis la copie papier classifiée à plusieurs journalistes, mais ceux-ci n’avaient pas donné suite en raison des restrictions induites par la censure militaire.
« La parution d’informations secrètes en direction du public dans des publications médiatiques de grande portée, et les répercussions de cette publication dans les jours et les semaines qui ont suivi, ont exposé au Hamas les capacités de renseignement de l’État d’Israël, ce qui a été susceptible de nuire à la sécurité de l’État et aux capacités opérationnelles des services de sécurité et de mettre des vies en danger, en particulier en temps de guerre », affirme l’acte de mise en examen dans une synthèse des événements.
Feldstein a été inculpé pour transfert d’informations classifiées visant à porter atteinte à la sécurité de l’État, ce qui est passible d’une peine maximale de prison à perpétuité.
Le sous-officier a également été mis en examen, mais pour un chef d’accusation moins grave – le transfert d’informations classifiées, ce qui est passible d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement.
Urich a été interrogé par la police après lecture de ses droits et il pourrait faire l’objet d’une inculpation, tandis que d’autres suspects sont également susceptibles d’être mis en examen.