Les juges sceptiques face aux dizaines d’incidents cités dans la mise en examen de Netanyahu
L'acte d'inculpation affirme que le Premier ministre avait connaissance de nombreux faits d'intervention dans la couverture médiatique de Walla - mais les juges ont douté de la logique de ces accusations
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Dans le cadre du procès du Premier ministre Benjamin Netanyahu, les procureurs ont essuyé un revers mercredi lorsque les juges ont émis des doutes sur l’implication du Premier ministre dans certains incidents déterminants de l’Affaire 4000. La défense a ainsi pu proclamer avec assurance qu’il n’y avait aucune « chance raisonnable » que le chef de gouvernement soit condamné.
Dans une évolution plutôt embarrassante de la situation pour l’accusation, la procureure en chef, Yehudit Tirosh, a déclaré qu’elle allait réexaminer des dizaines de faits d’ingérence présumée, de la part de Netanyahu, dans la couverture de Walla – les magistrats présidant l’affaire ayant remis en question l’implication du Premier ministre dans ces incidents.
Au commencement de l’audience, l’avocat de la défense du Premier ministre, Amit Hadad, avait dit qu’une grande partie des incidents qui concernaient les demandes, par Netanyahu, d’une couverture médiatique favorable de ses actions sur le site d’information Walla, tels qu’ils étaient cités dans l’acte de mise en examen, avaient été faites à l’insu du Premier ministre et de sa famille et sans leur participation. Il a également noté que des dizaines d’autres incidents similaires étaient survenus après des discussions internes entre les responsables du site, sans lien avec l’accusé.
Le juge Moshe Baraam a demandé à Tirosh, la procureure, si l’acte d’accusation disait clairement que Netanyahu avait pu être impliqué dans ces requêtes sans en avoir eu connaissance au préalable – une question à laquelle elle a répondu par la négative. Un autre magistrat, Oded Shaham, est toutefois allé plus loin dans ses questionnements, et a demandé comment le Premier ministre s’était concrètement engagé dans de tels incidents.
Au cours de l’interrogatoire, Tirosh a demandé à faire une pause afin de réexaminer l’acte d’accusation pour pouvoir apporter une réponse aux juges. Ces derniers ont néanmoins insisté sur la nécessité de poursuivre l’audience.
De son côté, Netanyahu s’est assis à la barre des témoins avec un léger sourire en constatant la situation difficile dans laquelle se trouvait la procureure.
Cet échange, qui a eu lieu au début de l’audience qui était prévue mercredi, au quatrième jour de témoignage de Netanyahu dans son procès pénal pour corruption, a été suivi par une journée de témoignage. A cette occasion, Hadad a – une fois de plus – examiné la liste des demandes présumées qui auraient été soumises par Netanyahu et par ses proches, soucieux de s’assurer une couverture favorable sur le site d’information Walla. Il a abordé ces requêtes avec soin, les unes après les autres.
L’avocat et le Premier ministre ont cherché à démontrer, avec un certain succès, que Walla était à la fois hostile et insensible aux demandes d’amélioration de sa couverture médiatique à l’égard du Premier ministre et de sa famille, contredisant ainsi les accusations qui sont au cœur de l’acte de mise en examen.
Le témoignage de Netanyahu s’est à nouveau focalisé sur l’Affaire 4000 – la plus grave des trois dossiers dans lesquels il a été mis en examen. Dans cette affaire, les procureurs déclarent que le Premier ministre a accepté des pots-de-vin – sous forme de couverture médiatique favorable à son égard – de la part du magnat des télécommunications Shaul Elovitch, propriétaire de Walla. En échange, Netanyahu aurait fait avancer des décisions en matière de réglementation qui ont bénéficié à ce dernier pour un montant à hauteur de 1,8 milliard de shekels.
Au cours de la journée, Netanyahu a insisté sur le fait qu’il n’était pas impliqué dans les l’écrasante majorité des demandes qui avaient été soumises au directeur-général de Walla à l’époque, Ilan Yeshua, par Zeev Rubinstein, un ami de son épouse. Il a dit ne pas en avoir eu connaissance, ajoutant qu’il n’avait pas eu le temps ou l’envie d’intervenir dans les détails de la couverture politique de Walla, et qu’il n’en avait pas non plus discuté avec son épouse, Sara.
Hadad a toutefois indiqué aux juges que la défense ne demanderait pas à Sara Netanyahu de venir témoigner devant le tribunal.
Plusieurs des exemples cités dans l’acte de mise en examen et que Hadad a particulièrement relevés se distinguent dans la mesure où ils semblent contredire les affirmations qui ont été lancées par l’accusation.
Parmi ces exemples, les articles publiés par Walla au sujet de la démission du chef de cabinet de Netanyahu, Gil Sheffer, en 2013. Le site avait présenté ce départ comme le dernier d’une série d’autres démissions similaires de la part des collaborateurs du chef de gouvernement. L’article était intitulé : « Les abandons continuent ».
Le Premier ministre a indiqué au tribunal que la formulation de l’article de Walla lui avait été hostile. Alors que des articles sur le même sujet avaient été écrits de façon neutre dans les journaux Globes et Haaretz – ce dernier est pourtant connu pour son hostilité non dissimulée à l’égard de Netanyahu – l’accusé a estimé que la couverture de Walla avait été la pire, la qualifiant de « malveillante ».
Autre exemple sur lequel Hadad s’est attardé, la couverture négative par Walla du voyage de Sara Netanyahu au cimetière militaire de West Point aux États-Unis, où elle s’était rendue pour déposer une gerbe sur la tombe du général israélien Mickey Marcus qui avait combattu et qui était mort pendant la guerre d’indépendance. Avant cela, il avait été colonel de l’armée des États-Unis.
Walla avait couvert ce déplacement de manière négative, avec un titre qui accusait Sara Netanyahu de « s’offrir une sortie pendant que son mari prononce un discours ».
Devant les juges, Netanyahu a répondu que « ce n’est pas seulement négatif, c’est rempli de mépris. Elle n’était pas en sortie, elle est allée faire quelque chose de tout à fait convenable pour l’épouse d’un Premier ministre, elle n’est pas allée faire du shopping, [elle a déposé] une gerbe au nom de l’État d’Israël sur la tombe d’un héros d’Israël ».
Comme cela avait été le cas pour de nombreux exemples cités dans l’acte d’accusation, Rubinstein avait demandé au directeur-général de Walla, Ilan Yeshua, de modifier l’article. L’acte de mise en examen affirme que le Premier ministre était personnellement impliqué dans cette requête et que Walla y avait répondu positivement.
« Je n’y suis pour rien, de près ou de loin parce que j’étais à l’époque très, très occupé », a insisté le Premier ministre qui a répété qu’il considérait Walla comme un site internet « sans importance » et « secondaire », comme un média qu’il avait tendance à ignorer et dont il n’avait ni le temps ni l’envie de s’occuper.
Netanyahu a, une fois encore, dit avec force qu’il n’était pas au courant des nombreuses demandes soumises par Rubinstein à Yeshua – même lorsque Rubinstein rencontrait Sara au sujet de la couverture de Walla – en raison de son emploi du temps chargé, Sara et lui n’ayant que rarement, voire jamais, l’occasion de discuter de ce genre de question.
« Si seulement je pouvais être une oreille attentive pour ma femme », a-t-il déclaré aux magistrats de la Cour de district de Jérusalem. « Malheureusement, avec le type de vie que nous menons, avec tout le travail que j’ai, ce n’est pas possible, nous nous retrouvons tard le soir pour quelques minutes, nous parlons des enfants et de la famille ».
« Ce n’est pas possible de passer en revue tous les événements de la journée, ce n’est simplement pas possible », a-t-il poursuivi.
Hadad a fait remarquer que le message transmis par Rubinstein à Yeshua, concernant l’article consacré à la visite de l’épouse du chef de gouvernement à West Point, se distinguait par son ton suppliant – ce qui, selon Netanyahu, contredit l’accusation laissant entendre qu’il avait conclu un accord avec Elovitch, le propriétaire de Walla, dans la mesure où si cela avait été le cas, son intermédiaire présumée n’aurait pas eu à implorer le directeur-général du site de modifier l’article pour le rendre plus favorable, se contentant d’exiger que sa formulation soit changée.
Hadad a aussi souligné que la « réponse » positive présumée apportée par Walla à la requête de Rubinstein avait simplement consisté à supprimer l’article du site internet, onze heures environ après le massage envoyé par l’intermédiaire à Yeshua, là où il aurait pu être réécrit de façon plus favorable à Sara Netanyahu.
Au cours de l’audience, les juges ont encore une fois fait part d’une certaine frustration face à la lenteur du témoignage du Premier ministre – mais ce dernier a insisté sur l’importance de l’examen judiciaire et il a dit qu’il était « scandaleux » que les policiers ne l’aient pas interrogé sur tous les exemples de couverture favorable qu’il aurait sollicités de la part d’Elovitch.
Le juge Oded Shaham a demandé à Hadad s’il devait répéter les mêmes questions à Netanyahu à chaque exemple d’ingérence présumée dans la couverture médiatique de Walla mentionnée dans l’acte de mise en examen.
Hadad a rétorqué que s’il ne le faisait pas, les procureurs affirmeraient que la défense n’avait pas réussi à contrer les accusations, ce qui a donné lieu à un échange irrité avec Tirosh.
« Le tribunal vous a recommandé d’abandonner les charges [de corruption] », a lancé Hadad à Tirosh, faisant référence à la recommandation émise, au mois de juin de l’année dernière, par la Cour concernant l’Affaire 4000.
« Vous n’avez aucune chance raisonnable d’obtenir une condamnation, vous n’avez rien », a ajouté l’avocat.
Netanyahu a fait preuve du même dédain.
« C’est ça, pour eux, la corruption, ce sont ces histoires sans queue ni tête… Ces choses qui n’ont aucun sens, ce ‘lien intense et inhabituel’ qui n’existe pas », s’est emporté le chef de gouvernement, faisant référence à la formulation de l’acte de mise en examen qui affirme que le lien qui l’unissait à Elovitch et à Walla était « intense et inhabituel ».
« C’est scandaleux qu’on ne m’ait pas interrogé sur ces incidents… On m’accuse, de manière générale, d’avoir reçu des avantages par le biais de pots-de-vin… Mais on ne m’a pas interrogé à l’époque, alors on va le faire maintenant », a dit Netanyahu d’un air de défi.
Les accusations
Netanyahu est actuellement jugé dans le cadre de trois affaires de corruption. Il est accusé de fraude et d’abus de confiance dans les Affaires 1000 et 2000, et de corruption, fraude et abus de confiance dans l’Affaire 4000.
L’Affaire 1 000 porte sur des allégations selon lesquelles Netanyahu et son épouse Sara auraient reçu de manière illicite des cadeaux onéreux du magnat des médias hollywoodien Arnon Milchan, d’une valeur d’environ 700 000 shekels, et que Netanyahu aurait violé les lois sur les conflits d’intérêts en aidant Milchan à renouveler son visa de résidence longue durée aux États-Unis, et en cherchant à l’aider sur le plan fiscal.
Dans l’Affaire 2 000, le Premier ministre est accusé de fraude et d’abus de confiance pour avoir prétendument tenté de conclure un accord avec Arnon (Noni) Mozes, l’éditeur du journal Yedioth Aharonot. Selon cet accord, le journal accorderait au Premier ministre une couverture médiatique plus positive en échange d’une réglementation qui affaiblirait son principal rival, le journal gratuit Israel Hayom.
L’Affaire 4 000, également connue sous le nom d’Affaire Bezeq-Walla, est la plus grave à laquelle le Premier ministre ait jamais été confronté. Il est accusé d’avoir autorisé des décisions réglementaires qui ont bénéficié financièrement à Shaul Elovitch, actionnaire du géant des télécommunications Bezeq, à hauteur de plusieurs centaines de millions de shekels. En retour, Netanyahu aurait bénéficié d’une couverture médiatique favorable de la part du site d’information Walla, dont Elovitch est également propriétaire.
Netanyahu, de son côté, n’a cessé de clamer son innocence. Il affirme que les accusations lancées à son encontre ont été fabriquées de toutes pièces dans le cadre d’un coup d’État politique mené par la police et le système judiciaire.