Les usines israéliennes Ofer ont coûté 300 M d’euros à la santé publique en 2018
L'analyse de données faite par l'ONG Adam Teva VDin montrent que les usines de cette riche famille ont émis de 10 % à 1/3 des gaz les plus polluants
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Les usines liées à la famille Ofer – l’une des familles les plus riches d’Israël – ont été responsables de nuisances à la santé publique s’élevant à au moins 1,2 milliard de shekels en raison de la pollution de l’air, l’année dernière, signale une nouvelle analyse.
L’organisation à but non lucratif Adam Teva VDin, spécialisée dans la défense de l’environnement, estime que les principales usines de la famille – des raffineries, des usines d’extraction minérale et chimiques – ont émis plus d’un tiers des émissions d’anhydride sulfureux dans tout le pays, plus d’un cinquième de la pollution causée par les particules en suspension (particules de pollution), un petit peu moins d’un cinquième de la totalité du protoxyde d’azote, 17 % des composés organiques volatils et presque 10 % de benzène, qui est connu pour être à l’origine des cancers.
Ces pourcentages ne concernent que les pollutions issues des industries. Ils ne comprennent pas les émissions liées à la production énergétique (électricité) ou aux transports.
La diffusion de polluants est autorisée au niveau légal par le biais d’autorisations délivrées par le ministère de la Protection environnementale.
Idan Ofer, l’un des deux fils du magnat israélien du transport maritime et philanthrope Sammy Ofer aujourd’hui disparu, s’est spécialisé dans la partie pétrolière, minière et chimique des affaires familiales. Il a été classé au 448e rang de l’indice des milliardaires de Bloomberg, paru le 5 novembre 2019, avec une fortune estimée à 45 milliards d’euros. Au mois de juin, le quotidien Haaretz l’avait présenté comme étant la neuvième personne la plus riche d’Israël.
Ofer est l’actionnaire majoritaire d’Israel Corporation, la plus importante compagnie de holding de la bourse de Tel Aviv. Les principales possessions d’Israel Corporation sont actuellement une part de 46 % acquise dans Israel Chemicals (ICL) — qui extrait de la potasse, des phosphates, du brome et du magnésium et produit des fertilisants et autres produits chimiques – et une part de 33 % dans le Bazan Group Oil Refineries Ltd, dont les filiales sont spécialisées dans les produits liés au pétrole comme le plastique.
Selon AdamTeva VDin, les principales usines polluantes appartenant à l’ICL et au Bazan Group ont émis 5,4 millions de tonnes (tonnes-métriques) de gaz carbonique l’année dernière, ce qui a coûté au public la somme de 707,5 millions de shekels en dommages commis à la santé publique. Le gaz carbonique, un gaz à effet de serre, est l’un des contributeurs essentiels au phénomène de changement climatique et à celui du réchauffement global, et il contribue également aux pluies acides.
Les usines ont également émis 3,97 milliards de tonnes d’anhydride sulfureux – coûtant aux contribuables 225,3 millions de shekels – sur 10 906 tonnes qui ont été rapportées par les plus grandes usines au niveau national.
L’anhydride sulfureux peut entraîner des problèmes respiratoires et être lié à des accouchements prématurés. Il irrite les muqueuses du nez, de la gorge, du système respiratoire et, à des niveaux très élevés, il peut entraîner des lésions tissulaires. Combiné aux particules en suspension (voir ci-dessous), il peut provoquer des maladies respiratoires et exacerber des maladies vasculaires et cardiaques.
Les PM10 sont des particules en suspension qui font 10 micromètres au moins de diamètre (un micromètre représente un-millionième de mètre. En comparaison, un poil humain mesure environ 75 micromètres).
Selon le rapport, les usines de la famille Ofer ont émis 635,3 millions de tonnes de PM10 en 2018 – ce qui a coûté au public 62,3 millions de shekels – sur 2 851 tonnes enregistrées dans tout le pays.
En raison de leur taille, les particules en suspension peuvent passer outre les filtres naturels des êtres humains, pénétrer dans le système respiratoire et atteindre les poumons, contribuant aux décès conséquents aux bronco-pneumopathies – une maladie du poumon caractérisée par des problèmes de respiration à long-terme et par des difficultés du passage de l’air, des infections pulmonaires, des maladies du cœur et des cancers.
Une étude menée sur plusieurs années par des chercheurs de la Harvard School of Public Health indique qu’il existe un lien entre de hauts niveaux de particules en suspension et la mort, ajoute le rapport, qui déclare que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a donné son aval à de nombreuses études qui ont montré qu’aucun niveau de particules en suspension n’était sûr pour les êtres humains.
Les usines d’Ofer ont émis 3,7 milliards de tonnes de protoxyde d’azote l’année dernière pour un coût de 150 millions de shekels, accuse le rapport. Dans tout l’Etat juif, les plus grandes usines ont fait état d’un total de 19 610 tonnes.
L’oxyde d’azote – un sous-groupe des protoxydes d’azote, mieux connu sous le nom de gaz hilarant – contribue aux pluies acides et au réchauffement global, cause des maladies respiratoires telles que l’emphysème et la bronchite ou les fait empirer et – lorsqu’il se mélange à des composés organiques volatils (VoC) pendant les périodes de soleil – forme un brouillard de pollution qui peut endommager les poumons des enfants, des asthmatiques et de tous ceux qui travaillent en extérieur.
De nombreux composés organiques volatiles – des mélanges de substances organiques contenant principalement du carbone et de l’hydrogène – sont reconnus comme étant – ou soupçonnés d’être – à l’origine de cancers et de mutations géniques.
Lorsqu’ils se combinent à du protoxyde d’azote ou à d’autre gaz, ils contribuent à la formation de « brouillards photochimiques » qui nuisent à la santé publique comme à l’environnement.
Prenant la forme d’une brume tirant sur le brun, ils sont particulièrement visibles pendant les matinées et les après-midis, s’étendant sur les villes chaudes et densément peuplées. Les entreprises d’Ofer, selon le rapport, ont émis 1,43 milliard de tonnes de VoC – entraînant des dommages évalués à plus de 30 millions de shekels, l’année dernière.
Les émissions totales rapportées en Israël se sont élevées à 8 094 tonnes.
Le rapport présente également des mesures choisies pour deux carcinogènes – le benzène et le formaldéhyde – dont le ministère de la Protection environnementale ne calcule pas les coûts pour la santé publique. Les entreprises de la famille Ofer ont ainsi émis 2,3 tonnes de benzène sur 33 tonnes dans tout le pays, et 1,7 tonne de formaldéhyde (aucun chiffre national n’a été transmis).
La méthode de calcul
Dans tout Israël, les plus grandes entreprises (actuellement 572 d’entre elles) doivent rapporter chaque année, sous les dispositions de la loi, au ministère de la Protection environnementale les quantités de dizaines de différentes sortes de gaz émises par leurs usines. Sur cette base, le ministère calcule les émissions industrielles chaque année pour les publier. Le plus récent rapport date du mois dernier et couvre toute l’année 2018.
Utilisant les chiffres de 2018, Adam Teva VDin s’est concentré sur 11 usines appartenant à la famille Ofer en Israël (d’autres sont exploitées à l’étranger) et sur cinq des principaux gaz produits soit en brûlant des énergies fossiles, soit au cours du processus industriel.
L’auteur du rapport, le docteur Arie Vanger, qui est responsable des questions liées à l’air au sein de l’ONG, a alors calculé les dommages causés à la société par chaque polluant en fonction des prix publiés chaque année par le ministère – la dernière parution de ce type remonte au mois de janvier 2019.
Le ministère calcule actuellement les coûts dits « externes » sur la base des dégâts entraînés pour la santé publique seulement et ne prend pas en compte les autres formes de dommages comme le noircissement des bâtiments lié au charbon ou les journées perdues pour l’économie en raison d’arrêts-maladie (le ministre est en train de réévaluer la manière dont il détermine les coûts).
Dans cette mesure, estime le Dr Vanger, les calculs sous-estiment les réels dégâts. De plus, le ministère ne s’intéresse qu’à sept gaz émis – il y en a un grand nombre en réalité – ce qui signifie que le coût réel est probablement plus élevé.
Le rôle des usines de la famille Ofer pourrait être davantage sous-estimé parce qu’Adam Teva VDin a réexaminé les principales usines polluantes dont elle est propriétaire en Israël – mais pas toutes. De plus, l’étude s’est focalisée sur les émissions industrielles et non sur les autres dommages causés à l’environnement, comme la pollution de l’eau ou celle des sols.
Le rapport ne prend pas en compte le pourcentage de parts que détient la famille dans chaque usine. Son objectif, explique Arie Vanger, est d’enquêter sur la quantité d’émissions plutôt que sur une éventuelle attribution de responsabilité.
Le mois dernier, un procès qui fera jurisprudence – le plus important de toute l’histoire d’Israël en termes d’environnement – a eu lieu devant la cour de district de Beer Sheva. Les plaignants demandaient que deux usines chimiques du sud d’Israël, qui dépendent de la société ICL, versent la somme de 1,4 milliard de shekels (360 millions d’euros) en dommages et intérêts pour avoir pollué les eaux souterraines d’un ruisseau populaire situé dans une réserve naturelle, à proximité de la mer Morte.