L’histoire d’un athlète juif devenu assassin pendant la guerre sur grand écran
"The Catcher Was a Spy" raconte le destin de Moe Berg, un joueur de baseball américain qui s'est rendu en Europe pour tuer un scientifique allemand
NEW YORK – « Vous êtes juif ? »
« Et bien, … en quelques sortes. »
C’est une blague que vous avez probablement déjà entendue des centaines de fois, mais peut-être pas racontée par l’acteur américain Paul Rudd au beau milieu d’un thriller d’espionnage sur la Seconde Guerre mondiale.
L’un des films les plus audacieux et les plus divertissants du Festival de Sundance cette année est une adaptation de la biographie de Nicholas Dawidoff qui a rencontré un grand succès en 1994, « The Catcher was a Spy : The Mysterious Life of Moe Berg ».
Le scénario est signé Robert Rodat, un auteur qui a notamment écrit « Il faut sauver le soldat Ryan » mais aussi, « Thor : The Dark World ». L’histoire de « The Catcher was a Spy » fait revivre les aventures d’un homme à la destinée hors du commun.
Le film prend quelques libertés – il condense certains événements, omet certains faits, se joue un peu des attentes du public – mais tout cela pour le plus grand plaisir des spectateurs. Vous sortirez de la salle en vous imaginant le mystérieux Moe Berg et en pensant à ce que Marlène Dietrich disait d’Orson Welles à la fin de « Touch of Evil »: « c’était un sacré mec ».
Au moment où les États-Unis cherchaient à fabriquer la première bombe atomique, les nazis étaient en passe de les devancer dans ce domaine. Les Américains ont donc envoyé un ancien joueur de baseball professionnel assassiner le scientifique nazi en chef.
Dans le film, nous rencontrons Moe Berg pour la première fois en 1938. Il est déjà le paria de son équipe du moment, les Red Sox de Boston. Il est vieux, il n’est pas le meilleur joueur, mais il voit tout depuis sa position, il appelle les lanceurs comme un receveur, son instinct est souvent très juste.
Moe est polyglotte, lit les journaux étrangers, participe à des jeux-concours à la radio (et épate tout le monde), mais ne révèle rien sur lui-même. Il ne fraternise pas avec le reste de l’équipe, et certains pensent qu’il est peut-être un « gaucher », nom de code pour désigner les homosexuels à l’époque.
Plus tard dans le film, nous observons Berg qui préfère défendre sa vie privée plutôt que de se justifier contre l’accusation d’homosexualité (il se trouve qu’il vit avec une femme sans être marié, difficile à assumer à cette période, mais certainement plus « préférable » à l’autre hypothèse). Il y a des raisons de penser que la façon dont Berg se perçoit en tant qu’étranger remonte à ses premiers jours dans une équipe de baseball. Il était alors le seul Juif d’une équipe affiliée à une église.
Berg rejoindra les plus grands noms du baseball, comme Babe Ruth et Lou Gehrig, lors d’une tournée de bienfaisance au Japon. Ses résultats ne le justifiaient pas vraiment, mais le diplômé de Princeton, qui a ensuite étudié à la faculté de droit de Columbia et à la Sorbonne, avait la réputation d’être « le professeur », l’homme le plus érudit parmi ses coéquipiers, selon les journalistes sportifs.
Le japonais était l’une des rares langues qu’il ne parlait pas, mais les gens pensaient qu’il le maîtrisait. C’est la raison pour laquelle il s’est retrouvé à participer à ce voyage. Il a apporté une petite caméra, et a filmé un champ d’aviation depuis le toit d’un hôpital. Il avait l’intuition que cela pourrait lui être utile (le film mélange un peu les périodes, mais ce n’est pas un document historique, c’est un film de fiction).
Lorsque la guerre éclate, il se sert de ses anciens contacts à Princeton pour présenter ses documents à l’OSS [Office of Strategic Services], l’agence de renseignement du gouvernement des États-Unis, et se met à chercher un travail utile à son pays et digne d’un homme de son niveau intellectuel. Rudd joue Berg comme étant évidemment un homme dix fois plus intelligent que la moyenne. Pourtant, parmi les anciens de Princeton, il n’est pas aussi sûr de lui.
Une scène fascinante montre l’un de ses amis qui s’excuse pour le choix d’une chorale qui pourrait le mettre mal à l’aise, mais Berg ne se laisse pas faire. Même lorsqu’il est entouré par l’élite, il reste un outsider.
Bien que son recruteur de l’OSS (joué par Jeff Daniels) ne soit pas très enthousiaste à l’idée d’engager des Juifs ou d’éventuels homosexuels, il ne peut nier que Berg a les qualités pour y arriver. Il obtient le poste et par la suite, on lui confie une grande mission.
Le film (réalisé par le Juif australien Ben Lewin, dont les autres œuvres sont inégales en terme de qualité) donne l’impression que Berg a été envoyé en Suisse avec la mission de traquer et tuer un scientifique nazi.
C’est à la fois vrai et faux. Il a été envoyé pour vérifier où en était le processus de création de la bombe atomique chez les nazis, puis pour constater la gravité de la situation, et si besoin appeler au secours.
Il s’avère que sa proie n’était pas n’importe quel scientifique. C’était l’insaisissable et impénétrable Werner Heisenberg, joué par Mark Strong. Oui, c’est le même Heisenberg que celui du « Principe d’incertitude », qui a déclaré que le simple fait d’observer des particules quantiques les modifierait, rendant ainsi leur vraie nature méconnaissable.
« The Catcher Was A Spy » raconte ces petites anecdotes, surtout dans sa deuxième moitié, alors que Paul Rudd (très beau en costume d’époque) se promène dans les rues de Zurich, sous la pluie.
Bien que Berg soit l’image même d’un érudit juif du début du 20e siècle, il n’y a pas grand chose dans cette histoire qui révèle une vie juive intérieure.
Il y a bien un plan dans une synagogue vers la fin du film, mais c’est peut-être juste pour son côté dramatique. Une conversation autour d’un dîner où l’on discute de la cruauté des nazis envers « les Polonais, les Danois et surtout les Juifs », est particulièrement lourde de sens, mais Berg ne montre aucune réaction particulière. Ce n’est pas le Juif errant, c’est le Juif invisible. Ou, peut-être, le Juif qui voudrait être invisible.
Le livre de Dawidoff compte 455 pages et est, très probablement, rempli de curiosités et d’histoires insolites. Mais pour un film, il faut de la discipline et une mise en scène solide, or l’histoire d’Heisenberg domine presque tout le reste. Je reste heureux que ce livre existe. Ce film vous donne envie d’en savoir plus sur cet homme rusé et mystérieux – et c’est probablement exactement ce que Berg voudrait qu’on fasse aujourd’hui. C’est comme s’il appelait toujours les lanceurs depuis l’au-delà.