Margaret Atwood : les manifestations anti-réforme ont changé la trajectoire d’Israël
L'autrice de "La Servante Ecarlate" dit ne pas être surprise que les Israéliennes utilisent le costume de la série pour manifester "contre une prise de pouvoir totalitaire de la démocratie"
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Margaret Atwood, autrice canadienne de La servante écarlate, roman dystopique devenu une série à succès, a dit ne pas être surprise de voir des centaines d’Israéliennes utiliser le costume du livre, qui se distingue par un visuel saisissant – longue robe rouge, bonnet blanc – dans le cadre du mouvement de protestation hebdomadaire anti-gouvernemental.
« On le voit en Israël en ce moment parce qu’il s’agit d’une manifestation contre une prise de pouvoir totalitaire de la démocratie – pas la peine de qualifier autrement ce qui est en train de se passer », a dit Atwood, qui s’exprimait dimanche soir dans un entretien en visioconférence avec Julia Fermentto Tzaisler, directrice artistique du 11e Festival international des auteurs de Jérusalem qui est actuellement en cours.
« Vous, votre situation telle qu’elle est actuellement… ce sont des responsables qui tentent de prendre un contrôle total », a dit Atwood, dont le roman écrit en 1985 se déroule dans une Nouvelle-Angleterre d’un futur à moyen-terme où le patriarcat règne en maître et où les « servantes » sont des femmes obligées de porter des enfants pour les classes dirigeantes.
« Si on contrôle le système judiciaire, s’il ne sert qu’à approuver le gouvernement, alors ça pourrait bien être un retour au stalinisme des années 1930 », a-t-elle ajouté.
Atwood a fait remarquer que si elle a vu ses individus se déguiser en personnages de « La Servante Ecarlate » apparaître dans d’autres contextes de manifestations dans le monde – notamment au Texas, en Argentine et en Irlande – elle n’a jamais vu le célèbre costume autant utilisé que dans le cadre des mouvements de protestation israélien.
« On pourrait croire que ces femmes sortent directement de la série de télévision », a-t-elle fait remarquer. « Tout est très chorégraphié et l’esthétique est très travaillée. »

Fermentto Tzaisler et Atwood ont aussi évoqué le côté visionnaire de son œuvre.
« Je ne suis pas prophète », a dit Atwood, qui est aujourd’hui âgée de 83 ans. « Je ne sais pas ce qui va arriver – personne ne le sait parce qu’il n’y a jamais qu’un seul avenir possible ».
Elle a estimé que les manifestations avaient changé la trajectoire d’Israël.
« Le peuple au pouvoir, le roi, il devra prendre en compte le fait que beaucoup de gens, dans le pays, pensent que ce qu’il fait est mal », a indiqué Atwood, faisait apparemment référence au Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Atwood a évoqué les dystopies et les utopies, disant qu’il était devenu « de moins en moins possible d’écrire des utopies parce que les gens y croient moins qu’auparavant ».
« Mais aujourd’hui, je pense qu’il y a une pensée plus positive, celle que les régimes totalitaires peuvent être renversés et que nous pouvons faire beaucoup pour changer la situation pour la planète », a-t-elle fait remarquer en référence à l’un de ses sujets de prédilection, le dérèglement climatique.
Les mouvements de protestation sont une forme de pense positive qui est nécessaire si les populations veulent le changement, a-t-elle ajouté.
Atwood et Fermentto Tzaisler ont également parlé des réseaux sociaux et de leurs éléments déstabilisateurs et l’autrice a déclaré que les outils de communication, sous toutes leurs formes, avait été déstabilisateurs d’une manière ou d’une autre.

Dans l’antiquité, a-t-elle dit, les Grecs s’inquiétaient des écrits, craignant qu’ils ne viennent s’opposer à la nécessité de raconter oralement l’Histoire tandis que les outils de communication plus modernes – la presse, la radio, la télévision, etc… – ont été considérés comme présentant des avantages et des inconvénients.
« Aucun outil de communication n’a été que noble envers et contre tout le reste », a noté Atwood. « Et aujourd’hui, nous avons Twitter, Elon Musk : Est-ce que c’est une bonne chose ? Peut-on dire qu’il respecte ses propres principes ? »
Ce débat avec Atwood, qui a duré 53 minutes, a été le premier de plus d’une vingtaine d’événements similaires qui auront lieu au cours de ce Festival des auteurs de Jérusalem qui est organisé au sein du complexe Mishkenot Shaananim de Jérusalem pendant quatre jours.
Des événements qui sont organisés en présence des auteurs ou en visioconférence pendant toute la durée du festival.