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Pendant 40 ans, le « goy de Pessah » achetait le hametz des Juifs new-yorkais

De 1977 à 2019, l'agent immobilier John J. Brown achetait les produits fermentés des fidèles de dizaines de communautés de la région de New York. Il est décédé en février

Le rabbin Mordechai Willig, à gauche, exécute la vente de hametz à John J. Brown, à droite, en 2015. (Crédit : Josh Weinberg/ capture d'écran YouTube/ via JTA)
Le rabbin Mordechai Willig, à gauche, exécute la vente de hametz à John J. Brown, à droite, en 2015. (Crédit : Josh Weinberg/ capture d'écran YouTube/ via JTA)

JTA — Pendant des décennies, des dizaines de rabbins orthodoxes se réunissaient dans une synagogue de New York le matin précédant la fête de Pessah et, l’un après l’autre, vendaient à un seul homme des millions de dollars de pain, de pâtes et d’autres produits fermentés.

Cet homme, un agent immobilier du nom de John J. Brown, était la cheville ouvrière d’un processus juridique juif essentiel pour ceux qui observent les strictes lois de Pessah, en vertu desquelles il est interdit aux Juifs de posséder ou de profiter du hametz, ou de tout produit contenant du levain. Comme la plupart des Juifs pratiquants ne veulent pas jeter tout leur hametz avant Pessah, ils le vendent à une personne non juive, qui le leur revend à la fin de la fête.

Pour des milliers de Juifs, Brown était cet acheteur non-juif. Chaque année, de 1977 à 2019, il a acheté du hametz aux fidèles de dizaines de synagogues dans la ville de New York et ses environs, concluant les ventes via les rabbins des synagogues.

L’année dernière, la tradition a été suspendue en raison de la pandémie. Cette année, quelqu’un d’autre devra s’en charger : Brown est décédé en février à l’âge de 88 ans.

« Cela signifiait beaucoup pour lui », a déclaré Paul Jacobs, le gendre de Brown, qui est juif et qui faisait souvent le voyage à New York avec lui. « Il y avait un niveau extrêmement élevé de respect mutuel. Il s’agissait d’une transaction commerciale et John la traitait comme telle, donc cela en faisait partie. John avait cet engagement envers l’immobilier, les contrats et tout ça. »

Mais Jacobs a déclaré que pour Brown, c’était plus qu’une simple transaction commerciale. Brown, selon Jacobs, avait beaucoup de curiosité intellectuelle et agrémentait son discours de phrases latines ainsi que de yiddishismes qu’il avait appris à New York.

« Il y a un aspect amusant à cela », dit Jacobs. « Il essayait de suivre les règles de la Torah et du Talmud, mais avec une certaine créativité ».

Le respect était mutuel. Le rabbin Gidon Shoshan, le gendre du rabbin Mordechai Willig, qui a orchestré les ventes avec Brown, a écrit sur Facebook que Brown « était une légende dans la famille Willig, dans la communauté juive de Riverdale, et – pour ceux qui connaissaient son nom – il était en fait un acteur important dans la vie de plusieurs milliers de Juifs chaque Pessah pendant des décennies. »

Willig, qui s’adresse rarement aux médias, n’a pas répondu à une demande de commentaire.

Willig et Brown se sont rencontrés lorsque Brown a travaillé sur l’achat en 1975 du Young Israel of Riverdale, où Willig officiait alors comme rabbin. En 1977, la synagogue était à la recherche d’un nouvel acheteur de hametz, et Willig a pensé à Brown, pensant qu’il comprendrait les processus juridiques complexes impliqués dans la vente de hametz.

Les ventes en ligne de hametz ont gagné en popularité en raison de leur facilité et de leur transparence (Crédit : Nati Shohat/Flash 90)

« Dans la loi juive, l’immobilier est un levier puissant pour les transactions juridiques », a expliqué le rabbin Shmuel Hain de Young Israel Ohab Zedek de North Riverdale/Yonkers, qui a vendu le hametz de sa synagogue à Brown pendant plus de dix ans et qui est proche de Willig. « Donc le rabbin Willig aimait avoir quelqu’un dans l’immobilier parce qu’il comprend le pouvoir de l’immobilier et la signification globale de l’immobilier dans la loi juive. »

Willig était également responsable de l’école rabbinique de la Yeshiva University, et ceux qu’il avait formés venaient aussi vendre leur hametz de leur congrégation à Brown. Les transactions avaient lieu vers 10 heures du matin, la veille de Pessah, dernier moment où les Juifs sont autorisés à posséder du hametz. Des dizaines de rabbins et Brown se pressaient autour de la table d’une salle de conférence du Young Israel de Riverdale pendant que Willig lisait le contrat.

Ensuite, Brown payait pour le hametz avec des piles de pièces de monnaie – quelques centimes pour chacun des milliers de ménages dont il achetait la nourriture. Cette somme symbolique était censée être un acompte sur les marchandises qu’il achetait.

Brown indiquait ensuite qu’il avait conclu la transaction conformément à la loi juive de quelques autres manières – en prenant et reposant un stylo sur la table, en signant un document et en serrant la main du rabbin. Il répétait le même processus avec chaque rabbin. Il a fini par acquérir une telle expérience des particularités de la pratique juive qu’il a commencé à enseigner à d’autres rabbins comment procéder.

« Il s’intéressait toujours à eux et corrigeait les rabbins novices qui confondaient l’ordre des transactions, qui lui serraient la main avant de lever le stylo », se souvient Hain.

Des gens portent des masques pour se protéger du coronavirus alors qu’ils achètent du matzah, un pain non levé traditionnellement consommé pour Pessah, dans un supermarché de Jérusalem, le 31 mars 2020.
(Yossi Zamir/Flash90)

En plus d’acheter les produits au levain stockés chez les particuliers, Brown achetait symboliquement les actions que les gens possédaient dans des entreprises, telles que des hôtels, qui vendaient du hametz pendant Pessah.

Année après année, il faisait temporairement l’acquisition des animaux domestiques : les Juifs ne sont pas autorisés à profiter du hametz de quelque manière que ce soit, et ne sont donc pas autorisés à en donner à leurs animaux domestiques. Pour contourner cette restriction, de nombreuses personnes vendent leurs animaux de compagnie en même temps que leur hametz, de sorte que les animaux qui mangent la nourriture interdite à Pessah ne leur appartiennent pas techniquement.

« Il y a quelques années, nous avons commencé à dire à Brown qu’il allait posséder un certain nombre de chiens, un certain nombre de chats », a raconté Hain. « [Il] avait de l’humour lorsqu’il s’agissait de certains problèmes plus ridicules, aux enjeux moins importants. »

Même après avoir pris sa retraite et quitté Riverdale pour Minerva, une ville située au nord de l’État de New York, Brown faisait chaque année le voyage de près de quatre heures pour revenir à New York afin d’acheter du hametz et revoir son ancien quartier. En retour, Willig soutenait l’activité immobilière de Brown en disant aux gens de mentionner son nom lorsqu’ils appelaient son ancienne agence pour qu’il reçoive une commission. Et les rabbins qui vendaient du hametz à Brown lui donnaient également une bouteille de liqueur en guise de remerciement.

Alors qu’il dressait la liste des types d’aliments au levain interdits à Pessah lors de la vente de 2015, qui a été filmée, Willig a mentionné les produits fermentés et a déclaré : « j’oserais dire, M. Brown, que les fermentations d’alcool sont probablement les articles les plus précieux parmi ceux qui vous sont vendus. »

« À en juger par la qualité que j’ai vue ici, je suis d’accord », avait répondu Brown.

Sur cette photo du 10 août 2017, du whisky est versé à la distillerie de whisky Milk and Honey à Tel Aviv, Israël. (Autorisation : AP / Sebastian Scheiner)

Jacobs a raconté que certaines années, Brown revenait de la vente « avec une boîte d’alcool, mais John aimait boire et il avait des amis qui buvaient. Alors avait-il un énorme bar ? Non, parce qu’il en profitait. » (Jacobs a toutefois fait remarquer que si l’alcool de prédilection de Brown était le whisky irlandais, les rabbins lui achetaient souvent du scotch single-malt, qu’il réservait à ses invités).

Certaines années, la vente de hametz n’était que le début de l’observance de Pessah par Brown. Après la vente, a-t-il raconté, il se rendait chez Jacobs à Washington, D.C., où la famille organisait un seder le soir même.

« C’est assez drôle qu’en tant que goy désigné, il soit quand même allé au seder », a déclaré M. Jacobs. « John a toujours eu beaucoup de respect pour la communauté juive et la tradition. »

Brown aimait particulièrement la codification du processus à la fin de Pessah, lorsqu’il revendait le hametz à ses propriétaires d’origine – en feignant toujours de regretter de ne pas avoir pu conclure la vente initiale de plusieurs millions de dollars.

Une Mimouna, fête juive marocaine célébrant la fin de Pessah. Illustration. (Crédit : Abir Sultan/Flash90)

« Il exprimait un certain plaisir dans le processus par lequel il apparaissait lors de la cérémonie finale et s’excusait de ne pas avoir pu trouver l’argent pour la transaction finale, il devait donc rendre » l’objet de la vente, a déclaré Jacobs.

L’année dernière, en raison de la pandémie, Brown n’a pas pu venir à Riverdale. Lorsque Willig a tenté de le joindre cette année, il a appris son décès. Il cherche maintenant quelqu’un pour perpétuer l’héritage de Brown.

« Il a dit que nous devions trouver quelqu’un pour continuer à le faire, et j’espère que cette personne survivra à mon mandat à Riverdale », a déclaré Hain à propos de Willig. « Pour lui, c’était un moment où il voyait ça comme la fin d’une époque. »

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