Pourra-t-on la jouer comme Beckham à Shabbat avec un ministre ultra-orthodoxe ?
L'association de football menace de stopper la saison si Aryeh Deri n'autorise pas la ligue à jouer pendant Shabbat
Lorsque Sports Channel d’Israël a proposé à la deuxième meilleure ligue du pays d’avoir une chance de passer à la télévision, personne ne pensait que cela se transformerait en une guerre religieuse.
La ligue nationale de football d’Israël est un parent pauvre de la première ligue, dont les joueurs évoluent à l’étranger et gagnent des salaires à six chiffres. Les équipes de la ligue nationale, comme Hapoel Katamon, sont souvent composées de soldats et d’étudiants ainsi que d’athlètes professionnels qui touchent un salaire modeste et se font rarement arrêter pour des autographes.
Mais plus tôt cette année, la chaîne sportive, Sports Channel, a décidé de diffuser les matchs de la ligue nationale à la télévision – à condition que les matchs soient joués pendant Shabbat, le repos juif, qui commence à partir du coucher du soleil le vendredi jusqu’à la tombée de la nuit samedi.
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Ce qui est arrivé ensuite est une série d’événements qui, selon les propres propos du porte-parole de l’Association de football d’Israël, pourrait « mettre fin au football dans l’Etat d’Israël ».
Shlomi Barzel, le porte-parole de l’Association de football d’Israël, une organisation qui représente les directions des clubs, a décrit ce qui est arrivé.
« La Cinquième chaîne avait un spot de libre parce qu’ils avaient perdu le droit de diffuser la ligue espagnole. Nous avons pensé : ‘jouons à Shabbat, car alors nous pourrons être diffusés’. Cela signifierait plus d’argent pour la ligue nationale, plus de visibilité et plus de sponsors, parce que si vous êtes à la télévision, les sponsors aiment ça ».
« Tout le monde pensait que c’était une bonne idée, mais il s’est avéré que les joueurs de football, qui avaient rejoint le syndicat des travailleurs de la Histadrout il y a huit mois, ont déclaré : ‘Vous changez les règles. Nous ne voulons pas jouer pendant le Shabbat’. C’était une semaine avant l’ouverture de la saison et leur syndicat ont dit qu’ils ne le feront pas. Certains d’entre eux ont affirmé que la raison pour laquelle ils ont choisi de jouer dans la ligue nationale était parce qu’il n’y a pas de jeux le samedi. Je n’y crois pas. Ils sont dans la ligue nationale parce qu’ils ne sont pas assez bons pour être dans la première ligue ».
Aucune des deux parties ne bouge sur ce point. Les gestionnaires de club ont insisté pour que les équipes jouent à Shabbat, alors que les joueurs, dont certains observent la religion et d’autres pas, refusent de jouer.
Le 17 août, les joueurs du New Israel Football Association (représentant les joueurs) ont envoyé une lettre aux (gestionnaires représentés par) l’Israel Professional Football League exigeant qu’ils modifient le calendrier immédiatement ou alors ils feront face à un procès.
La lettre a affirmé qu’obliger les joueurs à jouer le jour du Shabbat violait la loi sur les heures de travail et de repos d’Israël, une loi en grande partie ignorée datant de 1951 qui interdit aux travailleurs de travailler le jour du Shabbat, sans une dispense spéciale du ministre de l’Economie.
Le 20 août, un juge de la Cour du Travail a indiqué à la ligue de football : « Vous n’êtes pas autorisé à travailler le jour du Shabbat. Vous enfreignez la loi. Demandez au ministre de l’Economie l’autorisation. Si vous ne recevez pas la permission, je ne vais pas vous la donner et je ne vais pas tolérer un acte criminel ».
Barzel, le porte-parole de l’Association de football, a déclaré au Times of Israel : « Donc, nous allons lâcher une bombe. À moins que nous n’obtenions l’autorisation la semaine prochaine, nous allons arrêter tous les matchs de football en Israël ».
« Que vous l’observez d’une manière religieuse ou non, vous y avez droit. Si Israël ne peut même pas offrir à son propre peuple le Shabbat, en quoi est-il un Etat juif ? »
Tous les matchs ?
« Si le ministre ne nous donne pas la permission de jouer pendant le Shabbat, le football va s’arrêter. De niveau professionnel aux ligues des juniors, il n’y aura plus de football en Israël ».
Et qui est le ministre de l’Economie qui tient le sort du football israélienne entre ses mains ?
Le chef du parti ultra-orthodoxe, Shas et député de la Knesset, Aryeh Deri.
Deri autorisera-t-il le football à Shabbat ?
« Il est évident qu’Aryeh Deri ne signera jamais une décharge pour permettre de travailler le jour de Shabbat », a affirmé Kim Melchior, un membre du conseil d’administration du Hapoel Katamon, une équipe de la ligue nationale basée à Jérusalem. « Il n’y a aucune chance ».
Melchior, qui se décrit comme quelqu’un qui observe la religion, dit que, historiquement, la ligue nationale n’a pas joué de matchs pendant Shabbat – la plupart du temps.
« Dans les plus petites ligues, ils ont toujours fait en sorte que les matchs ne soient pas pendant le Shabbat. Par exemple, dans la ligue nationale, il y avait toujours cinq matchs le vendredi après-midi et trois le lundi soir. Certains des matchs de vendredi se sont occasionnellement poursuivis pendant le Shabbat ».
Melchior a ajouté que Hapoel Katamon a eu quelques joueurs pratiquants au cours des années, et que l’équipe faisait toujours en sorte qu’ils aient un endroit pour dormir près du terrain le vendredi pour qu’ils n’aient pas à violer le Shabbat en rentrant à la maison.
Mais plus tôt cette année, lorsque la question du Shabbat a été soulevée, Hapoel Katamon a offert un compromis en suggérant que les matchs du vendredi soient diffusés plus tôt et qu’une fois toutes les huit semaines, l’équipe jouerait un match dans le milieu de la journée de samedi ».
« Les Israéliens ont joué au football pendant Shabbat avant la création de l’Etat. Nous avons offert le compromis parce que nous ne croyons pas à la coercition religieuse ».
Mais selon Melchior, un groupe de joueurs de pratiquants plus extrêmes, qui inclut Avi Ivgi de Hapoel Petah Tikva, est allé à la Cour du Travail.
« A la minute où vous présentez l’affaire à la cour, c’est de la contrainte, pas du dialogue ; cela créé des extrêmes. Toute la question est devenue extrême ».
« Nous sommes dans une impasse », convient Barzel.
Le Shabbat comme un droit
Selon Judith Shulevitz, une journaliste américaine et auteure du livre Sabbath World, la question des événements sportifs pendant Shabbat n’est pas nouvelle et n’est pas propre à Israël.
« Dans les années 1950 [certains Américains] n’approuvaient pas les événements sportifs le dimanche », a-t-elle précisé.
Shulevitz a ajouté que l’impasse sur le football pendant Shabbat lui semble être comme à la fois une question de discrimination et une question de travail.
« Si vous avez besoin de tout le monde pour jouer pendant le Shabbat alors les joueurs religieux ne peuvent pas participer. Il est difficile pour moi de croire que certains des joueurs qui ne sont pas eux-mêmes religieux ne sont pas motivés par le désir d’être solidaires avec leurs camarades de jeu qui eux sont religieux ».
Melchior est d’accord.
« Je suis le père d’enfants qui aiment le sport, mais il n’y a aucune possibilité pour un enfant religieux qui observe le Shabbat de jouer au football en Israël. Nous parlons beaucoup de la coercition religieuse. Cette contrainte est laïque. Non seulement pour le football, mais le tennis, le judo et la natation. Chaque compétition se joue pendant le Shabbat ».
Mais le Shabbat est aussi une question de travail, a ajouté Shulevitz.
« Parce que le travail a été tellement décimé à notre époque qu’on en a oublié que l’un des grands enjeux du mouvement syndical pendant le 19e siècle et au début du 20e a été de limiter les heures de travail à une semaine de travail à 40 heures avec des journées de 8 heures de même que pour la création des jours de repos. Ce fut un énorme accomplissement ».
En Israël, le jour de repos est le samedi.
« Que vous l’observez d’une manière religieuse ou non, vous y avez droit. Si Israël ne peut même pas offrir à son propre peuple le Shabbat, en quoi est-il un Etat juif ? ».
Mais y a-t-il une valeur au-delà d’être religieux pour accepter d’avoir un jour de repos qui vous est en quelque sorte imposé ?
« Cela vous est imposé. Je dirais comme le juriste de la Cour suprême, Louis Frankfurter, que c’est dans l’intérêt général d’avoir un jour où les gens sont en mesure d’être avec leurs familles et avec les uns les autres. Frankfurter a écrit que le Shabbat est ‘un atout culturel d’importance, une délivrance de la routine quotidienne, une chasse gardée de la paix mentale, une opportunité de s’auto-disposer’. »
« Je suppose que je suis d’accord avec cela. Si nous ne garantissons pas aux membres d’une communauté un temps pendant lequel ils n’ont tous pas à travailler en même temps, il n’y aura jamais un tel moment. Le capitalisme ne les laissera jamais fixer leurs propres heures si l’argent doit être fait en les mettant au travail ».
Un compromis peut-il être trouvé ?
Barzel est confiant qu’un compromis peut être trouvé et cela implique de laisser les équipes jouer pendant le jour du Sabbat.
« Je ne pense pas que nous aurons une guerre de religion parce que je pense que les gens religieux ont compris avec les années que si vous avez décidé d’être religieux, que vous deviez en payer le prix. Aryeh Deri est ultra-orthodoxe mais d’autre part, il s’agit d’un homme pragmatique ».
« Israël n’a pas suffisamment de terrains de football ou de jours de la semaine. Partout ailleurs dans le monde, les matchs se jouent pendant le week-end. En Angleterre, tous les matchs sont le samedi et le dimanche. Avant même la création de l’Etat, nous avons joué au football pendant le Shabbat. Vous voulez changer cela ? L’Etat d’Israël devra dépenser des milliards de shekels pour permettre que cela se produise – avec des installations, avec assez de place pour accueillir tous les matchs et les entraînements qui, auparavant, avaient lieu pendant le Shabbat. »
D’ailleurs, a ajouté Barzel, pour de nombreux Israéliens le football est une religion.
« Vous vous préparez à cela toute la semaine, vous l’anticipez toute la semaine. Ensuite, vous arrivez au match avec un sentiment de respect et de sainteté ».
Les deux parties ont une audience le 7 septembre. Les gestionnaires de la première et des ligues nationales de football ont déclaré mardi leur intention de faire grève si Deri ne signait pas une dispense pour les matchs pendant Shabbat.
Eitan Dotan, le porte-parole de l’Association israélienne de football, a déclaré à l’AFP que « si le gouvernement nous refuse l’autorisation de jouer pendant le Shabbat, tous les matchs, y compris les matchs de la ligue nationale et le championnat des jeunes, seront annulés jusqu’à nouvel ordre, à compter du 12 septembre ».
Sauf réaction gouvernementale, la décision entrera officiellement en vigueur à cette date.
Le bureau de Deri a refusé de commenter cette affaire pour le Times of Israel.
Melchior pense que s’il y a une grève, elle ne durera pas très longtemps, parce qu’il y a trop d’argent, trop de gens et trop d’amour pour le jeu en jeu. Mais il ne propose sa propre solution au problème.
« Israël doit adopter une loi pour transformer le dimanche en un autre jour de congé. Le ministre de l’Intérieur, Silvan Shalom a fait cette proposition à la Knesset. Le moment où cela se produira, le dimanche pourra être le jour où tous les parents emmèneront leurs enfants regarder des matchs ».
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