Quand Christian est Juif : Une vie juive avec un prénom chrétien
Les porteurs de prénoms stéréotypés "non-juifs" disent devoir quotidiennement invalider les hypothèses des gens et être parfois soumis à des interrogatoires à leur entrée en Israël
JTA – Après s’être présenté, Christian Goldenbaum est habitué à ce que les gens marquent un temps d’arrêt. Presque tous les jours, alors qu’il vivait à l’étranger, à New York, Londres et Jérusalem, ce natif de São Paulo, âgé de 28 ans, s’est vu demander : « Comment se fait-il qu’un type nommé Goldenbaum ait comme prénom Christian ? ».
Un rabbin orthodoxe a un jour insisté pour l’appeler par son prénom hébreu, Avraham, et le second mari de sa grand-mère l’appelait « le garçon » en grandissant, pour éviter d’avoir à dire son prénom. Une autre fois, un Israélien âgé lui a demandé de changer de prénom.
« Il était manifestement très agressif. Il disait en gros : ‘Tu n’es pas l’un des nôtres avec ce nom' », se souvient Christian Goldenbaum.
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Beaucoup de ceux qui le rencontrent réagissent au conflit que suppose son nom complet – alors que son nom de famille est stéréotypé comme étant Juif, son prénom contient le nom du messie chrétien. Cette combinaison est rare, mais il n’est pas le seul concerné.
L’animateur de Fox News, Chris Wallace, est peut-être l’exemple le plus célèbre d’un Juif portant un nom traditionnellement chrétien. Ses parents juifs ont décidé d’appeler leur fils Christopher, car né le jour du Colombus Day, selon un portrait du New York Times, qui le décrit dans sa première phrase comme « un enfant de deux Juifs qui garde un chapelet à son chevet ». (Le chapelet est un cadeau de son épouse catholique, que le présentateur accompagne chaque année à l’église à Noël et à Pâques.)
Né en 1947, il a été nommé à une époque où les pratiques juives américaines en matière de dénomination étaient en pleine évolution. Bien que les premiers Juifs américains aient probablement donné à leurs enfants des noms bibliques, il n’a pas fallu longtemps pour que les Juifs commencent à essayer de s’adapter aux conventions américaines en matière de prénoms, selon l’historien Gary Zola, qui indique qu’au 19e siècle, il n’était pas rare de trouver des Juifs portant les noms de George Washington, Abraham Lincoln et d’autres dirigeants américains importants.
Avec le temps, les Juifs ont commencé à pencher de plus en plus vers des noms américains plus généraux.
« Ils peuvent donner à leur enfant un nom comme James ou Isidore, qui est plus américanisé qu’Israel… Au lieu de Shalom ou Shmuel, vous devenez Seymour ou Sy, et vous utilisez alors le nom hébreu qui vous est donné à la synagogue », explique Gazy Zola, directeur exécutif du Centre Jacob Rader des Archives juives américaines et professeur à l’Hebrew Union College-Jewish Institute of Religion à Cincinnati.
Cette tendance s’est poursuivie jusqu’au milieu du 20e siècle, lorsque des prénoms considérés comme plus éloignés de la tradition ont commencé à entrer dans la communauté. Dans certains cas, des Juifs non religieux appréciaient certains prénoms – comme Christopher – et ne les considéraient pas comme nécessairement liés à une autre religion.
« Ce genre de choses est rare, mais cela a été observé dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale », commente l’historien. « Ils aiment ce prénom et ils le donnent donc à leurs enfants. »
Les mariages mixtes ou les conversions signifient également que la convention juive qui veut que l’on honore les parents décédés en prénommant ses enfants d’après eux peut entraîner la transmission de noms provenant d’autres religions.
Hannah Christianson, une étudiante de 20 ans au Barnard College de New York, tire son nom de famille de son père non-juif, qui a des racines norvégiennes. Parfois, dit-elle, elle estime qu’elle doit « surcompenser » pour que les gens sachent qu’elle est Juive.
À la fin de sa première année d’université, elle a rencontré une amie qui travaillait comme recruteuse pour Birthright Israel dans le cadre d’un événement Hillel. L’amie n’a pas essayé de convaincre Hannah Christianson de s’inscrire à un voyage en Israël, que Birthright rend gratuit pour les Juifs de 18 à 26 ans, car elle a supposé, en se basant sur son nom de famille, qu’elle n’était pas Juive.
Je me souviens qu’après avoir parlé, je me sentais vraiment bizarre parce que je me suis rendu compte que les gens dans la classe ne savaient pas que j’étais Juive, donc on aurait dit que je faisais des suppositions sur la communauté juive que je n’étais pas qualifiée pour faire
Parfois, l’étudiante se sent gênée de parler de judaïsme, car elle s’inquiète de la façon dont ses commentaires seront perçus par ceux qui supposent qu’elle n’est pas Juive. C’est le cas dans un cours sur le judaïsme qu’elle suit ce semestre.
« Je parlais parfois dans ce cours, et nos noms apparaissent dans le coin de l’écran parce qu’il se fait sur Zoom, et je me souviens qu’après avoir parlé, je me sentais vraiment bizarre parce que je me suis rendu compte que les gens dans la classe ne savaient pas que j’étais Juive, donc on aurait dit que je faisais des suppositions sur la communauté juive que je n’étais pas qualifiée pour faire », dit-elle.
Dans certains contextes, elle a constaté qu’il était avantageux de pouvoir passer pour non-Juif.
« Dans les espaces très gauchistes et antisionistes, je me sentirais un peu mal à l’aise de parler de mon judaïsme, et donc je ne dis rien », indique-t-elle. « Les préjugés qui vont de pair avec le fait d’être Juif peuvent parfois rendre un peu inconfortable le fait de le révéler, et j’ai l’impression d’avoir un certain privilège en ce sens que je peux ne pas le révéler dans certains espaces. »
Les préjugés qui vont de pair avec le fait d’être Juif peuvent parfois rendre un peu inconfortable le fait de le révéler
L’histoire derrière le nom de Christian Goldenbaum est un peu différente. Ses grands-parents maternels sont des Juifs d’Allemagne qui ont fui au Brésil avant la Seconde Guerre mondiale et qui voulaient que leur petit-fils ait un nom à consonance allemande en guise de clin d’œil à leur héritage.
Ses grands-parents paternels, en revanche, sont arrivés d’Égypte et ont fui leur pays dans les années 1950, lorsque des dizaines de milliers de Juifs ont été chassés. (La famille de son grand-père paternel était originaire d’Europe, d’où le nom de Goldenbaum.) Ce traumatisme a fait que son père a surtout voulu que son fils ait un nom qui lui permette de passer pour un non-Juif.
C’est ainsi que la famille a choisi Christian. L’intéressé affirme que son prénom a moins de connotations ouvertement chrétiennes dans son Brésil natal – en portugais, le mot pour une personne chrétienne est « cristão ».
« Ici, quand je dis mon prénom, les gens ne se disent généralement pas : ‘Ce type est un Juif qui s’appelle Christian [chrétien en français].’ Ils ne s’en rendent même pas compte », dit-il.
Au Canada, le nom de Justin Christopher Tobin a « certainement fait sourciller », confie-t-il. Bien qu’il ne donne généralement pas son deuxième prénom, cet étudiant de 23 ans de l’université Memorial de Terre-Neuve a dû faire face à des difficultés lorsqu’il a tenté d’entrer en Israël en tant que participant puis membre du personnel lors de voyages Birthright il y a quelques années. À l’aéroport, il a été interrogé par les agents d’El Al : comment un Juif peut s’appeler Christopher ?
« Cela m’a presque fait mal d’entendre que je n’étais pas assez Juif ou que j’étais un imposteur, même si je savais que je ne l’étais pas et que j’avais tous les droits de naissance – littéralement – pour être là. Cela peut être intimidant », se souvient Justin Tobin, qui porte le nom de son père catholique irlandais.
Il a également été confronté à une certaine confusion à la synagogue, lorsqu’on l’appelait pour lire la Torah et qu’il donnait le nom de son père lorsqu’on lui demandait le nom de ses parents. Mais ces expériences n’ont pas atténué sa fierté pour son nom et son héritage – sa famille comprend des personnes aux racines juives, catholiques irlandaises et canadiennes indigènes.
« Je suis assez fier de mon nom », confie-t-il. « Je n’aime pas quand quelqu’un en fait toute une affaire, mais en même temps c’est une chance d’éduquer quelqu’un et de partager [mon histoire] avec quelqu’un. Ce n’est pas parce que l’interlocuteur est d’origine entièrement juive que je le suis, et ce n’est pas grave ! »
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