Quand les Juifs néerlandais trouvaient un refuge dans la Hongrie antisémite
Le nouveau film du réalisateur israélo-néerlandais Willy Lindwer met en avant la complexité et l'ambiguïté de la Shoah dans certains pays marqués par une histoire en dents de scie

AMSTERDAM (JTA) — Lorsque ses camarades de classe ont été envoyées depuis la Hollande occupée vers les camps de la mort, Emmy Korodi et sa famille juive néerlandaise se trouvaient en sécurité en Hongrie – l’un des alliés les plus proches de l’Allemagne nazie.
Cette famille a fait partie des quelque 90 Juifs qui, au paroxysme de la Seconde Guerre mondiale, ont survécu pour les raisons les plus improbables : après avoir fui les Allemands et la police locale aux Pays-Bas – un pays qui, selon de nombreuses personnes, a été marqué par les initiatives prises par sa population pour sauver des Juifs – ils ont trouvé la sécurité en Hongrie, une nation perçue comme active dans les crimes commis pendant la Shoah.
L’histoire de ces réfugiés juifs néerlandais en Hongrie est racontée pour la première fois cette année dans un documentaire intitulé « le voyage en train », réalisé par le réalisateur israélo-néerlandais lauréat Willy Lindwer.
La toute première projection du film, le jour de commémoration de la Shoah aux Pays-Bas, au mois de mai, a été accompagnée par la publication d’un livre du même titre écrit par Lindwer et a bénéficié d’une attention intense de la part des médias néerlandais.

Le récit narré dans le film met en exergue de manière frappante la complexité et l’ambiguïté du génocide dans des pays marqués par des passés pour le moins en dents de scie.
« En comparaison avec la vie en Hollande, la vie à Budapest était fantastique », explique Korodi, survivante de la Shoah, qui était encore qu’une petite fille lorsque ses parents ont fui vers la Hongrie en 1942, dans le documentaire.
« On pouvait sortir, il y avait une piscine merveilleuse entre Buda et Pest avec des sources chaudes. On pouvait y voir des hommes jouer aux échecs dans l’eau ».
Les forces de police collaborationnistes en Hollande ont d’abord laissé la famille Korodi tranquille avant de l’autoriser à partir en Hongrie, parce qu’ils étaient citoyens hongrois placés sous la protection active du gouvernement pro-nazi du pays, avec à sa tête Miklos Horthy. Les Juifs hongrois, en Hollande, étaient même exemptés de l’obligation du port de l’étoile jaune.
L’éradication de la communauté juive hongroise a commencé sérieusement au début du mois de mai 1944, sous Horthy. Entre le 15 mai et le 9 juillet, 430 000 Juifs hongrois ont été déportés – sauf depuis Budapest.
Horthy a défendu la vaste majorité des Juifs de Budapest, empêchant leur assassinat. L’homme était toutefois un antisémite endurci dont les politiques d’exclusion avaient forgé la réputation du pays comme l’une des nations les plus antisémites.
Quelques années avant l’ascension des nazis au pouvoir, la Hongrie, sous la présidence de Horthy, était devenue le premier pays européen à mettre en place un quota sur le nombre de Juifs autorisés à fréquenter l’enseignement supérieur ou à adopter certaines professions.
Ses politiques avaient mené des milliers de Juifs à quitter le pays, et notamment pour la Hollande. Parmi eux, le père de Korodi, officier à la retraite qui avait ouvert un commerce d’appareils dentaires aux Pays-Bas.
« Quand il était arrivé en Hollande, il avait vu que c’était un endroit charmant, qu’il n’y avait pas d’antisémitisme et après la Première Guerre mondiale, il s’est installé là-bas », raconte Korodi en évoquant son père.

« Horthy protégeait les intérêts de tous les Hongrois qui vivaient à l’étranger – même ceux des Juifs », commente le réalisateur Willy Lindwer. « Antisémite convaincu, les sentiments nationalistes de Horthy étaient toutefois plus forts », ajoute-t-il.
Pendant ce temps, aux Pays-Bas, une démocratie dont la tolérance relative avait encouragé le père de Korodi à s’y installer avant l’occupation allemande, en 1940, la police locale et des volontaires pourchassaient les Juifs – y compris hongrois.
En 1942, Korodi se rappelle de son arrestation brève par la police aux côtés de son père – jusqu’à ce que sa mère obtienne leur libération à tous deux au motif de leur citoyenneté hongroise.
Alors que les Pays-Bas devenaient de plus en plus dangereux pour les Juifs hongrois, le gouvernement leur a fait savoir qu’il était impossible d’assurer leur sécurité en Hollande et les autorités ont organisé des voyages en train pour les ramener dans leur pays natal.
Les hommes juifs hongrois, et notamment ceux qui étaient revenus de Pologne, ont été enrôlés dans des unités de travail spéciales supervisées par la police et les militaires.
Un grand nombre d’entre eux sont morts en raison des conditions éprouvantes dans lesquelles vivaient les travailleurs. Ceux qui étaient attrapés après avoir échappé à ce recrutement étaient froidement exécutés, parfois avec leurs proches.
Mais au moins, leurs enfants et leurs épouses étaient en sécurité.

Vivre en Hongrie signifiait également disposer d’une meilleure nourriture et en plus grande quantité qu’aux Pays-Bas, où environ 22 000 personnes sont mortes de la famine pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Nous étions extrêmement heureux parce qu’il y avait à manger à Budapest », s’exclame Vera Gyergyoi-Rudnai, une autre survivante de la Shoah, sauvée après avoir fui la Hollande pour trouver refuge en Hongrie.
Mais le renversement de Horthy en 1944 et son remplacement par le gouvernement de Ferenc Szalasi du mouvement des Croix fléchées fascistes et pantin des nazis, a alors menacé la survie des 360 000 Juifs environ qui vivaient à Budapest. Connus pour leur soif de sang juif, les hommes de Szalaszi ont assassiné des milliers de membres de la communauté de Budapest.
Emmy Korodi, en 1944, a failli devenir l’une des victimes des Croix fléchées, qui mutilaient les Juifs dans la rue et les exécutaient en groupe sur les rives du Danube.
Alors qu’elle faisait des courses pour sa famille parce qu’elle était blonde et qu’elle ne correspondait pas aux stéréotypes juifs, elle a été néanmoins arrêtée par les redoutables Croix fléchées, qui ont déclaré qu’elle avait fui le ghetto.
En temps habituel, tout individu devant répondre d’une telle accusation aurait été immédiatement exécuté.
Korodi se souvient avoir vu les corps d’une famille entière décimée par les miliciens des Croix fléchées puis placés sur le banc d’un parc. Plaisanterie perverse ? Tentative de terroriser d’autres victimes ?

Et pourtant, elle et de nombreux réfugiés néerlandais devaient survivre même à ces purges grâce à un autre rebondissement de leur histoire fatidique : En obtenant des documents qui devaient leur sauver la vie de la part de Raoul Wallenberg, un diplomate suédois qui aura sauvé des milliers de Juifs hongrois en leur donnant des visas de toutes sortes pour la Suède.
« Je leur ai montré les papiers de Wallenberg et ils m’ont laissé passé », se rappelle Korodi dans le documentaire, qui sera distribué l’année prochaine à l’international et notamment en Israël et aux Etats-Unis.
Sur les 89 Juifs qui avaient fui la Hollande pour la Hongrie, 73 ont survécu.

Aucun d’entre eux n’est resté dans le pays.
Pour Lindwer, l’histoire des 89 Juifs qui ont fui la Hollande pour la Hongrie illustre combien la « profonde complexité et l’imprévisibilité » de la Shoah « défient les généralisations radicales et les perceptions populaires ».
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