« Reconnaissez notre génocide », demande une survivante yézidie de l’EI à la Knesset
Une élue de l'opposition va soumettre une loi réclamant la reconnaissance officielle des atrocités commises par l'Etat Islamique ; le ministère des Affaires étrangères n'y est pas opposé
Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël
Une survivante yézidie qui avait été mise en captivité par l’Etat islamique a vivement recommandé à la Knesset lundi de reconnaître les crimes commis par l’organisation terroriste contre la minorité irakienne yézidie sous la qualification de génocide. Pour sa part, une parlementaire issue de l’opposition a promis de rechercher cette reconnaissance officielle israélienne par le biais d’une législation à la Knesset.
Lors d’une audience organisée au Parlement israélien à Jérusalem, Nadia Murad, 24 ans, ambassadrice de bonne volonté de l’ONU, enlevée par l’Etat islamique pour devenir une esclave sexuelle lorsque les djihadistes ont envahi le nord de l’Irak en août 2014, a fait appel à l’état juif, l’air sombre, pour qu’il reconnaisse officiellement les atrocités commises.
« Ma visite ici aujourd’hui a pour objectif de vous demander de reconnaître le génocide commis contre mon peuple, à la lumière de l’histoire commune de génocides de nos deux peuples », a-t-elle dit lors de cette réunion, accueillie en partenariat avec la législatrice de l’Union sioniste Ksenia Svetlova, qui préside le groupe de la Knesset consacré au renforcement des relations entre l’état d’Israël et le peuple kurde, l’organisation IsraAID et le bureau israélien de la société pour le développement international (SID).
« Les Juifs et les Yézidis partagent une histoire commune de génocide qui a modelé l’identité de nos populations mais nous devons transformer notre douleur en action. Je respecte la manière dont vous reconstruisez une communauté juive globale dans le sillage du génocide. C’est un voyage que ma communauté va devoir effectuer », a ajouté Murad en arabe, s’exprimant par l’intermédiaire d’un interprète.
Au mois d’août 2014, deux mois après avoir balayé le territoire placé au coeur de l’Irak, les djihadistes de l’EI ont fait une seconde poussée dans une zone antérieurement placée sous le contrôle sécuritaire des Kurdes. Des milliers d’hommes yézidis ont alors été massacrés lorsque les djihadistes ont attaqué la ville de Sinjar. Des milliers de femmes et de filles ont été pour leur part enlevées et mises en esclavage. Des charniers ont depuis été mis à jour dans la région.
Les chefs de la communauté yézidie estiment que jusqu’à 3 000 femmes de leur communauté pourraient se trouver encore entre les mains des djihadistes à travers tout le « califat » dont les djihadistes ont proclamé l’existence il y a plus de deux ans et demi dans certaines parties de l’Irak et de la Syrie.
Le minorité kurdophone n’est ni arabe ni musulmane, et elle est majoritairement implantée aux environs des monts Sinjar, entre la ville de Mossoul et la frontière syrienne. Elle pratique sa propre religion, un mélange unique de confessions ancrées dans le Zoroastrisme, tout en empruntant à l’islam, au christianisme et aux autres croyances.
Les Nations unies ont qualifié les massacres de génocide, affirmant que l’EI les avait planifiés et avait intentionnellement séparé les hommes et les femmes pour empêcher la naissance d’enfants yézidis. La Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté à l’unanimité en mars 2016 une motion déclarant que les tueries en masse constituaient un génocide, un positionnement rejoint quelques semaines plus tard par le Parlement écossais, par la Chambre des communes britannique en avril 2016, par le Canada en octobre 2016 et par l’assemblée nationale française au mois de décembre de la même année.
S’exprimant durant cette audience qui a eu lieu lors de la dernière semaine de la session de la Knesset avant un arrêt de trois mois, la législatrice issue de l’Union sioniste Svetlova a indiqué qu’elle présenterait une proposition de loi visant à reconnaître le génocide yézidi lors d’un vote à la Knesset au mois de novembre, lorsque le Parlement se réunira à nouveau.
La proposition de loi appelle Israël à reconnaître les massacres comme constituant un génocide et à instituer une fois par an ce drame, en date du 3 août. Elle recommande également l’adoption par le ministre de l’Education d’un programme sur les atrocités et que le Premier ministre puisse organiser une cérémonie officielle de commémoration. Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul membre de la coalition qui a signé cette proposition de législation, Yehuda Glick du Likud, aux côtés de membres de l’opposition.
Svetlova a toutefois déclaré qu’elle était optimiste, pensant pouvoir convaincre la coalition de soutenir cette reconnaissance qui, a-t-elle averti, en est encore « à ses tous premiers stades ».
« Elle est actuellement débattue au sein du ministère des Affaires étrangères », a-t-elle confié au Times of Israël après la rencontre. « En principe, on nous a dit qu’il n’y aurait aucun problème avec cette loi. Maintenant, cela signifie-t-il que la coalition y apportera un soutien automatique ? C’est difficile à dire en ce qui me concerne. Je l’espère vraiment. Il n’y a aucune raison que la coalition s’oppose à quelque chose de si manifeste et de si naturel ».
Durant la réunion, Svetlova a affirmé qu’Israël avait une obligation de reconnaissance particulière « en tant que peuple, en tant que nation ayant fait l’expérience d’un Holocauste terrible ».
« ‘Plus jamais ça’ est un appel à l’action. C’est une action qui devrait unir toute l’humanité qui reconnaît l’Holocauste », a-t-elle dit à l’assistance.
« Trois années ont passé et nous attendons encore une déclaration officielle de la part du gouvernement d’Israël. Je pense que c’est une honte et j’appelle notre gouvernement à ouvrir les yeux », a dit Svetlova.
Tandis que le leader de l’opposition Isaac Herzog et le législateur issu de l’Union sioniste Stav Shaffir ont assisté à la réunion, aucun membre de la coalition ne se trouvait dans la salle, le vice-ministre Michael Oren, qui devait faire une allocution, s’est excusé de ne pouvoir être présent.
Malgré son statut d’ambassadrice de bonne volonté pour la dignité des victimes survivantes de trafic d’êtres humains, Murad, la femme yézidie, a fustigé les Nations unies pour l’absence de volonté de l’organisation de donner suite aux accusations de crimes de guerre proférées à l’encontre de l’Etat islamique.
« Malgré des rapports indépendants variés qui ont apporté les preuves d’un génocide en cours, et malgré avoir demandé de manière répétée aux Nations unies de faire prendre leurs responsabilités aux auteurs de crimes de l’EI, la communauté mondiale n’a pas répondu », a-t-elle déploré. « L’ONU n’a envisagé aucun passage à l’action visant la création d’un mécanisme pour poursuivre en justice l’EI ».
Au mois d’avril 2015, la Cour pénale internationale (CPI) a exclu la possibilité de poursuivre l’Etat islamique. Ni l’Irak ni la Syrie ne faisant partie du Traité de Rome qui donne à l’instance un droit d’action sur ces pays.
Dans son discours, Murad a fait une brève référence au siège de Sinjar, durant lequel sa mère et six de ses frères sont morts.
« Ils ont entouré plus de 200 000 yézidis qui s’enfuyaient sur les monts Sinjar, sans eau, sans nourriture, sans refuge. Une grande partie de mon peuple a péri dans les montagnes », a-t-elle dit.
« Ils ont également systématiquement enlevé des milliers de femmes et d’enfants, dont moi. Les femmes et les fillettes étaient réduites en esclavage et converties de force. Les garçons subissaient l’endoctrinement de l’EI et étaient entraînés pour devenir des combattants. Même si certaines zones ont été libérées de l’EI, le génocide continue aujourd’hui. »
Murad, qui vit dorénavant en Allemagne, est parvenue à s’enfuir et elle est devenue depuis la porte-parole de la cause de son peuple. En 2016, elle a été nominée au Prix Nobel de la paix.
« Nous, Yézidis, sommes un peuple pacifique », a-t-elle déclaré. « Jamais, dans notre histoire de 5 000 ans, nous avons combattu et tué les autres. Mais ce caractère pacifique ne nous a pas rendu service. Nous avons dû affronter 74 pogroms, souvent motivés par des interprétations extrêmes de l’islam. Et j’ai peur que ce génocide, celui qui continue aujourd’hui, ne soit mené à bien si nous ne pouvons pas retourner sur la terre qui nous a vus naître ».
L’AFP a contribué à cet article.