Retour sur la visite du Rebbe anti-sioniste de Satmar en France
C’est la première fois que le leader du mouvement orthodoxe se déplaçait dans l’Hexagone, du 4 au 6 juillet, pour renforcer une spiritualité “en perdition”
« Si les Juifs cessaient d’imiter les goyim [non Juifs], alors ils éviteraient de terribles souffrances. A chaque fois qu’ils l’ont fait, ils ont été persécutés. En revanche, les goyim nous laissent tranquilles lorsque nous suivons la seule voie de la Torah. »
C’est l’un des messages que le Rebbe (« rabbin » en yiddish) de Satmar, chef de la dynastie hassidique du même nom, a délivré le 4 juillet aux docks Pullman d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), devant une foule de 2 200 personnes, dont 600 femmes, au bas mot.
C’est inédit : jamais le Rebbe actuel, Zalman Leib Teitelbaum, qui quitte rarement New York, ne s’était déplacé dans l’Hexagone. Il était accompagné d’un autre gadol hador (« grand de la génération »), vénéré lui aussi dans les milieux ultra-religieux, le Rebbe de Pshevorsk qui vit à Anvers (Belgique). Il partage avec les fidèles du mouvement Satmar une aversion profonde pour l’Etat d’Israël.
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Cet anti-sionisme viscéral n’était pas forcément du goût de tous les rabbins français présents ce soir-là à la tribune. Les principaux étaient les leaders orthodoxes Mordekhaï Rottenberg, Itzhak Katz et Yehouda Tolédano. Les trois hommes ont demandé au Rebbe de Satmar d’effectuer ce voyage exceptionnel qui l’a conduit 48 heures durant dans différentes synagogues, institutions et écoles juives de la région parisienne.
Un appel pressant au moment où le judaïsme de ce pays serait menacé à leurs yeux de « perdition » spirituelle. Les départs massifs vers Israël enregistrés au cours des cinq à six dernières années, spectaculaires au sein du noyau dur – et pratiquant – de la communauté organisée, ont en effet provoqué une moindre fréquentation des lieux de prière et d’étude.
Certains donateurs habituels ont déserté eux-mêmes et les finances des associations religieuses sont dans le rouge.
Quant à ceux qui effectuent leur alyah, ils exposent leurs enfants, selon la logique des Satmar, à « l’assimilation » pure et simple. Les responsables de cette mouvance radicale estiment que les systèmes scolaires hiloni (« laïc ») et même confessionnel israéliens incitent trop souvent les jeunes à abandonner les mitzvoth (« commandements » divins) qu’ils observaient naturellement lorsqu’ils étaient encore inscrits dans les écoles juives de France.
Il faudrait « sauver leur âme ». Dans le même esprit, ils considèrent que le respect de la Torah est hautement bénéfique en Terre Sainte, mais qu’en revanche « vivre là-bas comme un goy » est un péché majeur, pire encore que l’absence de religiosité en diaspora. Ils veulent inciter chacun à pratiquer les mitzvoth « là où il se trouve ».
L’alyah provoquerait « l’abandon » de la Torah
Les Satmar ne fustigent pas seulement l’existence de l’Etat juif parce que cet état n’est pas régi par la Torah mais aussi parce que son avènement ne saurait être que la conséquence de la venue du Messie.
En tout cas, c’est ainsi qu’ils interprètent les textes bibliques et talmudiques. Hâter l’avènement en question au moyen de décisions politiques et de rapports de force est pour le Rebbe un blasphème.
La situation est d’autant plus catastrophique, a-t-il martelé en substance – et en yiddish, traduit ultérieurement -, qu’il est certes déconseillé de s’installer en Israël mais… dangereux d’arborer la kippa et de « s’habiller en Juif » dans l’Hexagone, du fait de la montée de l’antisémitisme.
Il a loué ceux qui ont néanmoins « le courage » de vivre séparés de la société, de ne céder à aucune « tentation » profane comme l’insertion des jeunes dans le réseau universitaire, mais il a noté que cette attitude était difficile à suivre dans ce pays ultra-laïc.
Zalman Leib Teitelbaum a donc pris le taureau par les cornes : une centaine de donateurs, américains pour la plupart et proches des Satmar, ont participé au voyage. Il s’agissait de les convaincre de pallier les problèmes budgétaires des orthodoxes.
Second objectif : le hizouk, autrement dit le « renforcement » spirituel des Juifs français à travers le meeting d’Aubervilliers et d’autres rencontres organisées au pas de charge du 4 au 6 juillet.
Il est probable que cette initiative inédite ait quelques conséquences financières bénéfiques pour les institutions concernées. Le dîner de gala à l’intention des bienfaiteurs potentiels, à l’hôtel Trianon Palace de Versailles où ils étaient logés, a remporté un vif succès (bien qu’aucune promesse de don n’ait été prononcée publiquement).
En revanche, il serait téméraire d’apprécier ses éventuelles retombées en matière de pratique religieuse. Toutefois, le simple fait qu’un maître ashkénaze anti-sioniste remplisse une salle aussi vaste que celle des docks Pullman, sur un territoire où l’immense majorité des Juifs attachés à la Torah sont des séfarades également attachés à Israël et soutenant son gouvernement, est un événement en soi.
« Sauver l’âme » de la nouvelle génération
Les personnes présentes, interrogées par le Times of Israël, ont insisté sur la « grandeur spirituelle » des participants de la soirée, laissant de côté leur positionnement politique contestable.
« Au demeurant, a affirmé Yossef, enseignant en école communautaire, aucun Juif authentiquement orthodoxe n’est choqué par ce positionnement. L’important est l’amour du prochain et la fidélité à la Loi. Qui peut prétendre que le cabinet israélien est vraiment animé par ce souci de l’autre ? »
Zvi, retraité, a relevé à notre intention que le meeting coïncidait avec « l’anniversaire du jour funeste où le roi Saint-Louis a fait brûler 24 charretées d’exemplaires du Talmud en place de Grève », à Paris. C’était en 1242 et cela a conduit à l’exil du plus grand rabbin français de l’époque, Yehiel.
Pour notre interlocuteur, le judaïsme est « en danger ici comme à cette époque et il est temps de le réveiller avant qu’il ne soit trop tard. La question du soutien ou non à Israël est secondaire. Ce qui compte est la nechama [âme en hébreu] de la nouvelle génération… Et si la communauté organisée a des problèmes d’argent, ce n’est pas par hasard : ce n’est pas dû mécaniquement à l’alyah de ses forces vives – pour de mauvaises raisons d’ailleurs, purement sécuritaires. La richesse est toujours donnée par Dieu. S’il nous en prive, il faut se demander pourquoi et réfléchir à nos péchés. »
Si les Satmar sont quasi-inexistants dans l’Hexagone, en revanche ils sont puissants et influents à Jérusalem, Bnei Brak (où ils évitent, autant que possible, tout contact avec l’administration israélienne, ne paient pas d’impôts, refusent les aides sociales publiques, militent contre l’enrôlement dans l’armée des religieux…), en Belgique, au Royaume-Uni, au Canada et surtout aux Etats-Unis. Ils seraient plus de 120 000 au total et représenteraient le groupe orthodoxe le plus fort en nombre.
Originaire de Transylvanie, dans une région située à l’époque en Hongrie et aujourd’hui en Roumanie, cette branche récente du hassidisme a été fondée par le rabbin Joël Teitelbaum en 1929. Ce dernier a échappé à la Shoah, tandis que la plupart de ses disciples d’avant-guerre ont péri en 1944, lors de la déportation massive des Juifs hongrois.
Il s’est installé en Palestine mandataire – sous contrôle britannique – en 1946, où il a fondé une yeshiva (école talmudique), avant de s’établir dans le quartier new-yorkais de Williamsburg. Sous son impulsion, le mouvement a pris une importance considérable dans le paysage juif américain. Le Rebbe Zalman Leib est son petit-neveu.
Son statut de leader de la dynastie est contesté par son propre frère, Aaron Teitelbaum, considéré par une partie des fidèles comme le Rebbe légitime. C’est une querelle familiale qui n’a aucune conséquence idéologique. L’un et l’autre défendent peu ou prou la même cause.
Notons encore que le grand public israélien confond souvent les Satmar et les Neturei Karta. Il existe pourtant une nette différence entre les deux : les premiers s’opposent au sionisme sans lui porter préjudice au plan diplomatique. Les seconds, en revanche, militent volontiers aux côtés des Palestiniens aspirant à l’élimination d’Israël et même de leaders iraniens négationnistes, auprès desquels ils s’affichent de temps à autre.
Le Rebbe Zalman Leib comme son frère estiment que cette attitude dessert les critiques anti-israéliennes des orthodoxes. Pour eux, les Neturei Karta ne sont pas les « gardiens de la cité » (traduction de leur nom en araméen) mais ses « destructeurs ».
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