Six mois après le cessez-le-feu, le nord se remet peu à peu, incertain de l’issue du cessez-le-feu
Les habitants de Shtula tentent de se réinstaller au milieu des débris de la guerre et le kibboutz Sasa pleure la mort de personnes âgées qui n'ont pas supporté l'évacuation

SHTULA – Shula Giladi, connue sous le nom de « Shula de Shtula », avait l’habitude d’accueillir les touristes dans sa maison du nord d’Israël en leur servant des plats kurdes et en leur racontant la vie de ses aïeux, au Kurdistan, il y a de cela un siècle.
Puis le groupe terroriste libanais du Hezbollah a commencé ses tirs de missiles antichars et de roquettes et ses attaques au drone explosif depuis l’autre côté de la frontière, ce qui a endommagé des centaines d’habitation – dont la sienne.
Aujourd’hui, du haut de ses 72 ans, cette femme déplacée en plaisante, non sans amertume, en se présentant comme « Shula avec sa valise ».
La maison de Giladi est située à moins de 500 mètres de la frontière libanaise – une frontière calme depuis fin fin novembre dernier, depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu conclu pour mettre fin à 13 mois d’intenses hostilités entre l’organisation soutenue par l’Iran et Israël.
Mais six mois après la fin des combats, nombre d’habitants du nord du pays, comme Giladi, continuent d’en subir les conséquences, à commencer par leurs maisons, détruites, et leurs communautés, éparpillées.
Assise dans son jardin, autrefois luxuriant et verdoyant et qui est aujourd’hui l’ombre de ce qu’il était, notre hôtesse, pourtant habituée à accueillir des visiteurs, n’a même pas un verre d’eau ou des toilettes à proposer au journaliste venu la rencontrer.
Giladi espère pouvoir rentrer chez elle une fois les travaux terminés mais elle attend pour cela que les experts rendent leur rapport et que le gouvernement approuve les dépenses. Elle n’a aucune idée du temps que cela pourrait prendre.
« J’ai retiré le mot ‘retour’ de mon vocabulaire », confie Giladi.
Ce sentiment de déracinement est celui de bon nombre des 60 000 habitants des 32 communautés du nord d’Israël, privés de leur maison depuis leur évacuation, le 8 octobre 2023, lorsque le Hezbollah et ses alliés ont commencé à attaquer Israël en signe de soutien au Hamas et pour dénoncer la guerre déclenchée par l’organisation terroriste au pouvoir à Gaza en commettant un pogrom dans le sud de l’État juif, 24 heures plus tôt.
Les combats, dans le nord du pays, ont donné lieu à des attaques quotidiennes et aveugles du Hezbollah, avec pour cibles les communautés les plus proches de la frontière – et parfois même celles situées un peu plus au sud, ce qui lui a valu des représailles de la part d’Israël.
Le conflit qui couvait est brutalement monté d’un cran, fin septembre dernier, quand Israël a décapité l’organisation terroriste en tuant ses dirigeants et lancé une incursion terrestre limitée dans le sud-Liban, en redoublant de tirs sur le nord. Il s’est achevé par une trêve, le 27 novembre 2024, suivie en février dernier d’un cessez-le-feu permanent, quoique fragile.
En l’espace de 13 mois, les attaques ont coûté la vie à 46 civils en Israël et à 83 soldats israéliens, sans compter les centaines de blessés. Dans plusieurs dizaines de villes du nord d’Israël, maisons, entreprises, exploitations agricoles et infrastructures ont subi d’importants dégâts et le tourisme, autrefois florissant, en a fait les frais.

Selon le Centre de recherche et d’éducation Alma, organisation indépendante à but non lucratif spécialisée dans les problèmes de sécurité à la frontière nord d’Israël, 61 % des personnes évacuées sont revenues dans leur communauté depuis la fin des combats.
Certaines ont préféré attendre la fin de l’année scolaire, d’autres n’ont tout simplement plus de maison. À Shtula et dans le kibboutz voisin de Sasa, ils sont nombreux à se poser des questions sur la solidité du cessez-le-feu avec le Hezbollah.
Au cours des six mois qui se sont écoulés depuis le cessez-le-feu, Israël a mené des attaques sporadiques contre des individus identifiés par son armée comme étant des hommes armés du Hezbollah dans le sud-Liban. Des soldats israéliens restent déployés en quatre lieux – quatre postes considérés comme déterminants, de l’autre côté de la frontière – afin de garantir que le groupe terroriste ne se dote pas d’un nouveau point d’appui militaire dans les environs. Jusqu’à présent, le Hezbollah – que l’on dit considérablement affaibli par la guerre – n’a pas réagi.
« Entre 2022 et l’été 2023, le Hezbollah était à 100 % prêt à envahir le nord d’Israël », affirme le lieutenant-colonel Sarit Zehavi – désormais à la retraite -, fondateur et PDG du Centre Alma, lors d’une conférence au kibboutz Lochamei HaGhettaot, le 21 mai dernier. « Nous sommes actuellement dans ce que je qualifierais de trêve. Nous ne pouvons plus nous bercer d’illusions après le 7 octobre ».
Le 7 octobre 2023, des milliers de terroristes placés sous la direction du Hamas se sont introduits en Israël pour y tuer plus de 1 200 personnes, essentiellement des civils et faire 251 otages conduits de force dans la bande de Gaza. Ce pogrom a rappelé aux habitants du nord d’Israël, de la plus effrayante et effroyable manière, ce qui aurait pu leur arriver si le Hezbollah avait pu mettre son plan à exécution, à savoir, selon Israël, une attaque transfrontalière de grande ampleur.

Voitures et abribus détruits
Le moshav de Shtula, situé dans l’ouest de la Galilée, a été fondé en 1969 par plusieurs familles originaires du Kurdistan et d’Irak. La famille de Giladi, qui avait alors 16 ans, en fait partie. Les habitants vivaient alors pour l’essentiel des revenus tirés des petites exploitations agricoles familiales. Giladi, elle, rêvait d’ouvrir un établissement hôtelier, mais la situation géographique de la communauté, à la frontière nord, l’inquiétait.
« Qui pourrait bien venir manger à Shtula ? », se demandait-elle alors.
Avant la guerre, 300 personnes environ vivaient dans le moshav. La communauté était fière de son hétérogénéité – avec des religieux plutôt traditionnalistes qui côtoyaient « tous ces jeunes gens avec leurs chiens et leurs tatouages », selon une autre habitante de Shtula, Hadas Lahav.
Depuis la fin de la guerre, les routes endommagées par les chenilles des chars ont été réparées. Mais il reste des carcasses de voitures détruites et des abribus démolis qui sont autant de rappels de ce qui s’est passé. Nombre de maisons portent encore les stigmates des éclats d’obus.

Giladi, qui est membre de la commission temporaire en charge de la planification au sein du moshav, précise que 20 % des habitants sont déjà revenus. Elle pense que d’autres leur emboiteront le pas en juillet, une fois l’année scolaire terminée.
Seuls 2 % des habitants ont fait savoir qu’ils ne reviendraient pas. La communauté espère néanmoins s’agrandir, et 15 familles ont fait part de leur intérêt pour s’y installer.
La communauté espère également que les visiteurs feront leur retour au sein de la petite communauté.
Ohad Hatan, propriétaire du café « À la frontière », installé dans le moshav, dit être en train de finir les travaux de rénovation de son établissement, dans l’espoir de rouvrir rapidement et que les clients reviennent.
Le café est blotti sous les arbres, à côté de ce qu’on appelle la « frontière des murs qui parlent, une barrière en béton érigée pour protéger la ville et ornée depuis 2018 de fresques murales de la main d’artistes étrangers.

Les premiers temps de son évacuation, Giladi les a passés chez ses enfants, puis dans un hôtel de Tel Aviv, où elle a tenu un restaurant de cuisine kurde éphémère et s’en est bien tirée.
« Mais une maison, ce n’est pas que quatre murs, c’est aussi mon histoire, mes souvenirs, ce qui fait que je suis moi », souffle-t-elle. Aux pires moments de la guerre, elle a eu « des moments difficiles mais je sais comment trouver le bonheur. Mes amis, qui n’avaient eux rien d’autre à faire que de rester assis dans le hall de l’hôtel, étaient inconsolables. »
À l’occasion de la conférence du Centre Alma, Dmitry Apartsev, directeur principal du département des relations gouvernementales du quartier général de la reconstruction du Nord, a déclaré que le gouvernement avait alloué 8 milliards de shekels sur quatre ans aux besoins des communautés du nord situées en première ligne. Cet argent permettra d’apporter « des solutions globales et complètes, pas des réponses ponctuelles ou dictées par la seule urgence ».
Shula Giladi chante une chanson de son enfance en ladino devant sa maison endommagée par les roquettes du Hezbollah, à Shtula, le 21 mai 2025 (Photo : Diana Bletter/Times of Israel)
Giladi se dit optimiste mais aussi pragmatique.
En raccompagnant son visiteur à la porte, elle arrache une feuille de raisin à un pied de vigne, qu’elle plie habilement avant de la ranger dans une enveloppe, tout en expliquant qu’elle s’en servira pour faire du koubbe – des feuilles de vigne farcies – qu’elle servira à ses invités, ce qui n’arrivera pas avant un petit moment.
« Je ne peux rien y faire « , regrette-t-elle.
Kibbutz Sasa, dont 12 de ses membres les plus âgés sont morts ‘de chagrin’
À une quinzaine de kilomètres à l’est, les membres du kibboutz Sasa parlent nourriture autour de longues tables dans la salle à manger de la communauté.
Pendant la guerre, la quasi-totalité des 450 membres du kibboutz ont été évacués, mais 90 % d’entre eux sont revenus.
Varda Yatom, 79 ans et installée dans le kibboutz depuis 1964, explique que lors de l’évacuation, « 12 membres âgés du kibboutz sont morts de chagrin. »
« C’était trop dur pour eux de vivre loin du kibboutz », estime Yatom.
Entouré de vignes, de pommiers et d’arbres, Sasa se trouve à 3 kilomètres environ de la frontière libanaise, une courte distance néanmoins manifestement suffisante pour le mettre à l’abri des importants dégâts qu’a connus Shtula.
Mise à part une salle de classe fortement endommagée par un impact direct, le reste de la communauté est indemne.
Yatom veut croire que les dirigeants du Hezbollah ont décidé de ne pas détruire le kibboutz, comme « les nazis n’ont pas touché à Paris, pour le plaisir d’y aller en vacances ».

Mondialement connue, l’artiste a posé ses valises au kibboutz Nachsholim le temps de son évacuation, sans trouver d’endroit approprié à ses activités artistiques.
Pendant la guerre, elle est revenue à plusieurs reprises dans son atelier du kibboutz, alors que les tirs faisaient rage.
« Je n’ai pas eu peur », assure Yatom depuis la galerie de son kibboutz, où elle expose ses sculptures. « Je préfère mourir les mains pleines d’argile plutôt que de ne pas travailler. Une journée sans art est une journée perdue. »
Une autre membre du kibboutz, Edna Angelica Calo Livne, 69 ans, est restée dans le kibboutz lors de la guerre pour être aux côtés de son époux, membre de l’équipe d’intervention d’urgence du kibboutz.

Calo Livne, qui a quitté l’Italie pour s’installer dans le kibboutz en 1975, est la fondatrice de Beresheet LaShalom, une troupe de théâtre communautaire qui réunit Juifs, Musulmans, Druzes et Chrétiens, pour favoriser le dialogue par les arts de la scène.
Pendant les combats, elle s’est rendue à plusieurs reprises en Italie pour y parler de ce qu’elle vivait. Les gens étaient surpris d’entendre que même en temps de guerre, elle croyait toujours en la paix, confie-t-elle.

Ils sont encore nombreux, dans le nord, à douter du caractère pérenne de cette accalmie. La semaine prochaine sera le 43e anniversaire de l’invasion du Liban par Israël, opération annoncée à l’époque comme vectrice de la paix en Galilée – une promesse démentie par des décennies d’escarmouches et désormais deux guerres majeures.
« Le Hezbollah n’a pas abandonné son rêve de détruire Israël », estime Tal Beeri, directeur du département de recherche d’Alma, lors de la conférence du 21 mai. « L’idéologie du Hezbollah n’a pas changé. »
Cela n’affecte pas Calo Livne.
« Si on ne croit pas en la paix, alors il n’y a pas d’avenir », explique-t-elle. « Chaque jour, nous nous découvrons des ressources, de l’énergie, des réponses. La vie ne cesse jamais de nous apprendre de nouvelles choses – de celles que l’on ne voit pas venir. »
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