Israël en guerre - Jour 435

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Interview

Un mufti du Soudan : Il n’y a pas d’opposition islamique au « salaam » avec Israël

Tandis que les plus grands érudits du Soudan sont contre la normalisation, leur confrère Abdel-Rahman Hassan Hamed a rédigé une fatwa soutenant la normalisation

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le cheikh Abdel-Rahman Hassan Hamed du Soudan a émis une fatwa en faveur de la normalisation avec Israël. (Capture d'écran vidéo)
Le cheikh Abdel-Rahman Hassan Hamed du Soudan a émis une fatwa en faveur de la normalisation avec Israël. (Capture d'écran vidéo)

Le mois dernier, alors que l’on rapportait que le Soudan pourrait bientôt normaliser ses relations avec Israël, la principale agence gouvernementale du pays arabe du nord-est de l’Afrique chargée d’interpréter la loi islamique a émis une fatwa, ou décision religieuse, déclarant que les liens avec l’État juif restaient interdits.

Mais conformément à la bonne tradition talmudique, un dignitaire religieux d’un groupe rival d’érudits islamiques a estimé que ses collègues se trompaient et a émis une fatwa affirmant exactement le contraire.

« Ils ont émis leur fatwa. J’ai trouvé cela problématique et contraire aux principes islamiques, qui sont plus souples par nature. J’ai donc pensé à émettre une fatwa qui reflète cette flexibilité inhérente aux principes islamiques », a déclaré le cheikh Abdel-Rahman Hassan Hamed au Times of Israeli lors d’une récente interview téléphonique exclusive.

« C’est un effort pour émettre une fatwa sur la base des réalités actuelles », a-t-il déclaré à propos de son décret religieux, publié au début de ce mois. « Lorsque les circonstances changent, il est de la responsabilité du mufti d’examiner la situation telle qu’elle est, et de l’évaluer sans aucun a priori – pour faire face à la réalité. C’est ce que nous avons fait ».

Hamed, qui dirige le département des fatwas de la Sudan Scholars Organization, a déclaré que la loi islamique ne connaît pas le concept politique moderne de « normalisation ».

« Du point de vue islamique, les termes pertinents sont sulh [traité ou armistice] et salaam [paix] », a-t-il déclaré, s’exprimant en arabe par l’intermédiaire d’un interprète.

« En règle générale, d’un point de vue islamique, il n’y a pas d’opposition au sulh ou au salaam avec Israël. Au contraire, le sulh et le salaam sont des vertus qui se méritent, sans exception ».

Lundi, une percée dans l’effort négocié par les États-Unis pour amener Khartoum à normaliser ses relations avec Jérusalem semblait plus proche que jamais, alors que le président américain Donald Trump a annoncé qu’il retirerait le Soudan de la liste du terrorisme américain. Sa décision, annoncée sur Twitter, semble présager d’un prochain accord dans lequel le Soudan accepterait d’établir des relations diplomatiques avec Israël en échange d’une aide financière massive.

La normalisation ou non des relations avec Israël a fait l’objet de débats houleux au sein du gouvernement de transition du Soudan, dont la branche militaire, dirigée par Abdel Fattah Abdelrahman al-Burhan, s’est prononcée en faveur mais le Premier ministre Abdalla Hamdok s’y est opposé.

Le groupe Islamic Panel of Scholars and Preachers parrainé par le gouvernement, connu sous le nom de Fiqh Council, qui a décidé en septembre que la loi islamique interdisait les relations avec Israël, conseille le gouvernement sur les questions religieuses, mais ses avis ne sont pas juridiquement contraignants, selon le Département d’État américain. « Les érudits religieux musulmans peuvent présenter en public des points de vue religieux et politiques différents », selon son rapport de 2019 sur la liberté religieuse internationale.

C’est exactement ce que Hamed a fait dans sa fatwa, qui a été rendue publique pour la première fois par le Arab Council for Regional Integration, un groupe luttant contre le tabou des relations avec Israël qui existe dans le monde musulman.

« D’abord, la normalisation est un contrat de paix. Les contrats de paix et les déclarations de guerre sont des questions politiques légitimes qui n’ont aucun rapport avec la doctrine islamique », a-t-il déclaré dans son jugement. Les questions de guerre et de paix sont plutôt décidées par les dirigeants politiques sur la base de l’intérêt national, a-t-il soutenu.

Des partisans de la démocratie au Soudan célèbrent un accord final de partage du pouvoir avec le conseil militaire au pouvoir, le 17 août 2019, dans la capitale, Khartoum. (Photo AP)

« Si le dirigeant voit une faiblesse chez les musulmans, comme c’est notre cas ces jours-ci, surtout dans ce pays, où nous souffrons de famine, de fragmentation, de conflits et de guerres internes… et s’il voit qu’il est dans notre intérêt de forger la paix, alors il doit le faire », a-t-il poursuivi.

Sulh avec Israël serait la même chose que sulh avec les États-Unis, la Russie ou la Chine, car ces pays ont occupé et fait la guerre dans des territoires musulmans également, a affirmé le haut dignitaire religieux. « Les terres de l’islam sont toutes considérées comme une seule. Certains pensent que la Palestine a un caractère sacré supplémentaire. Oui, Jérusalem est sainte, mais tous les pays de l’islam ont la sainteté de la Palestine ».

Selon Joseph Braude, le président du Center for Peace Communications, qui soutient le Conseil arabe, la fatwa de Hamed est importante car il n’est pas un acteur marginal au Soudan.

« Son organisation de religieux est un rival non gouvernemental crédible du Conseil islamique du Fiqh, soutenu par l’Etat, qui s’est prononcé contre la normalisation une semaine avant cette fatwa », a déclaré Braude au Times of Israel cette semaine. « Hamed a été un critique courageux de la tendance islamiste dure qui a prévalu au Soudan pendant des décennies. Cette fatwa est une extension logique de ces vues de longue date ».

Dans notre interview, Hamed a déclaré qu’une partie des médias et certains « vestiges du régime précédent au Soudan » s’opposaient à sa fatwa pro-Israël mais que, dans l’ensemble, elle était bien accueillie par les fidèles de sa mosquée.

« Elle a été accueillie et appréciée par les fidèles comme une fatwa fondée sur la raison et la logique. Cela leur a semblé être une fatwa sensée et cela ne posait aucun problème », a-t-il déclaré.

Voici une transcription complète de notre conversation, légèrement modifiée pour plus de clarté.

Le Times of Israel : Qu’est-ce qui vous a incité à lancer cette fatwa ?

Abdel-Rahman Hassan Hamed : L’impulsion est venue du fait que le gouvernement a demandé au Conseil du Fiqh d’émettre une fatwa sur cette question. Ils ont émis leur fatwa. J’ai trouvé cela problématique et non conforme aux principes islamiques, qui sont plus souples par nature. J’ai donc pensé à émettre une fatwa qui reflète cette flexibilité inhérente aux principes islamiques.

S’agit-il de convictions de longue date ou êtes-vous parvenu récemment aux conclusions exprimées dans la fatwa ?

Il s’agit d’un effort pour émettre une fatwa sur la base des réalités actuelles. Lorsque les circonstances changent, il incombe au mufti d’examiner la situation telle qu’elle est et de l’évaluer sans a priori – de faire face à la réalité. C’est ce que nous avons fait.

Dans votre fatwa, argumentez-vous simplement que la normalisation avec Israël n’est pas nécessairement une violation de la loi islamique, ou suggérez-vous que, dans les circonstances actuelles, ce serait en fait une bonne chose ?

Tout d’abord, la normalisation est un terme qui n’existe pas dans le vocabulaire de l’islam. C’est un concept contemporain. D’un point de vue islamique, les termes qui sont pertinents sont sulh et salaam.

En général, l’islam soutient la paix, car c’est une religion de paix. Mais le problème avec Israël est la question de la terre, la question de l’occupation. Cela rend la question particulière.

En règle générale, du point de vue islamique, il n’y a pas d’opposition au sulh ou au salaam avec Israël. Au contraire, le sulh et le salaam sont des vertus qui se méritent, sans exception.

La situation plus spécifique d’Israël aujourd’hui est qu’il y a une occupation. Et l’occupation signifie une circonstance exceptionnelle, et il faut à son tour une circonstance exceptionnelle du côté islamique pour aboutir à un moyen de faire la paix avec Israël, même avec l’occupation en cours.

Cependant, si Israël veut une paix complète et sans réserve, il doit alors rétablir les droits du peuple qu’il occupe. Il n’y aurait alors aucune restriction, ni circonstance particulière nécessaire, du point de vue islamique.

Dans votre fatwa, vous avez brièvement mentionné le concept de sainteté de la terre, en arguant que la Palestine n’est pas plus sainte que les autres terres musulmanes occupées. Pouvez-vous nous en dire plus ? Après tout, la mosquée al-Aqsa est considérée comme le troisième site le plus saint de l’islam, et la Turquie, par exemple, continue de souligner que Jérusalem a été la première qibla [direction de la prière] des musulmans.

Les lieux saints ont en effet un statut particulier dans l’islam : La Mecque, Médine et le Haram al-Sharif [le mont du Temple dans la Vieille Ville de Jérusalem]. Il ne fait aucun doute qu’ils ont un statut spécial.

Une fois que nous avons dépassé la question des lieux saints, il va de soi que chaque État doit défendre son territoire. Mais ce qui a la plus grande valeur dans l’islam, c’est le caractère sacré de la vie humaine. La défense de la vie humaine, c’est ce à quoi l’islam accorde la plus grande valeur.

Des musulmans prient au Mont du Temple pendant le Ramadan. (Autorisation, Atta Awisat)

Compte tenu de la situation géopolitique actuelle et quelle que soit votre interprétation de la loi islamique, pensez-vous personnellement qu’il serait bon que le Soudan suive les traces des Émirats arabes unis et de Bahreïn et établisse des relations diplomatiques avec Israël ?

Cela dépend en fin de compte de la direction du pays. La question est de savoir si les dirigeants, en tenant compte de toutes les circonstances, jugent qu’il est préférable pour le pays d’aller dans cette direction, afin de protéger ce pays – ou plutôt ce qu’il en reste – et de protéger ses intérêts. De notre point de vue, il n’y a aucun problème à le faire.

Quel genre de réactions avez-vous reçues après la publication de la fatwa, de la part de vos fidèles, du gouvernement, des Palestiniens ?

Elle a été accueillie et appréciée par les fidèles comme une fatwa fondée sur la raison et la logique. Elle leur semblait être une fatwa sensée et ne posait aucun problème.

Parmi les vestiges du régime précédent au Soudan, il y avait ceux qui, y compris dans les hautes sphères de l’establishment clérical, cherchaient à enflammer les émotions des gens. Et quand les émotions sont enflammées, la raison disparaît. Et cela a conduit à des réactions de type [négatif].

Des étudiants soudanais brûlent un drapeau israélien alors qu’ils manifestent contre les frappes aériennes israéliennes à Gaza devant le siège des Nations unies à Khartoum, au Soudan, le 29 décembre 2008. (AP/Abd Raouf)

Certains éléments des médias ont même essayé d’attiser les passions contre nous – ce genre de choses peut arriver. Mais pour la plupart, j’ai trouvé un soutien pour [ma fatwa] et je n’ai pas vraiment vu beaucoup de problèmes.

Pas d’intimidation, pas de menaces ?

Non. Même ceux qui, dans l’establishment religieux, se sont opposés à la fatwa ont exprimé leur point de vue avec respect, en disant : « D’accord, ce religieux exerce son ijtihad [raisonnement indépendant] et il a sa position, mais nous ne partageons pas son point de vue. Il n’y a eu aucune expression d’opposition qui n’ait pas été respectueuse.

Souhaitez-vous visiter Israël ? Envisagez-vous de venir ici si le Soudan normalise ses relations ? Et si oui, quels endroits souhaiteriez-vous le plus visiter ?

Je suis allé en Jordanie il n’y a pas longtemps, avec un groupe d’autres religieux. Et on nous a proposé de visiter la mosquée d’al-Aqsa. J’étais intéressé, mais il y a eu une opposition au sein du groupe. Donc malheureusement, cela n’a pas été possible. En principe, est-ce que je voudrais visiter la mosquée al-Aqsa ? La réponse est : pourquoi pas ?

Qu’en est-il de Tel Aviv ou de Haïfa ?

Lorsque l’on visite un pays et que l’on pense à l’endroit où l’on pourrait aller, il doit y avoir des sentiments qui nous relient à un endroit précis. Si vous alliez au Soudan, vous pourriez penser que vous aimeriez visiter certains sites historiques ou voir des vestiges du passé. Quant à Tel Aviv, nous n’avons pas vraiment d’associations ou de sentiments avec ces endroits pour le moment.

Aaron Boxerman a contribué à cet article.

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