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Une firme israélienne stérilise des moustiques pour combattre les épidémies

Senecio Robotics prévoit de produire et de disperser massivement des moustiques stériles pour stopper la propagation de maladies mortelles

Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

Un moustique libéré par Senecio Robotics et marqué par une poudre fluorescente identifié dans la nature (Autorisation)
Un moustique libéré par Senecio Robotics et marqué par une poudre fluorescente identifié dans la nature (Autorisation)

Les moustiques sont ceux qui tuent le plus d’êtres humains, plus que tout autre organisme vivant. Ces insectes transmettent la malaria, la dengue, la fièvre jaune, le virus zika et d’autres pathologies à des millions de personnes tous les ans. La malaria à elle seule tue plus de 400 000 personnes chaque année, en particulier des enfants. Le changement climatique offre aux insectes de nouveaux habitats hospitaliers, notamment aux États-Unis et en Europe occidentale. Ce bilan meurtrier est appelé à s’élever.

Aujourd’hui, une start-up israélienne, Senecio Robotics, vient de dévoiler un plan qui vise à combattre cette menace en produisant massivement des moustiques stériles et en les dispersant par avion, ce qui pourrait potentiellement sauver la vie à des millions de personnes.

La « technique des insectes stériles » pour le contrôle de la peste notamment remonte aux années 1950. Des insectes artificiellement stérilisés, habituellement des mâles, étaient lâchés dans la population sauvage en très grand nombre. Lorsque ces mâles stériles s’accouplaient avec des femelles fertiles, ces dernières ne produisaient pas d’oeufs, ce qui perturbait leur cycle de reproduction. Cette technique a été employée avec succès contre des espèces variées de mites et de mouches. Elle a permis de réduire les maladies et les dégâts causés aux êtres humains et à l’agriculture.

Les moustiques sont complètement différents. Ils sont plus fragiles que les mites et les mouches, ce qui rend difficile leur conservation et leur transport en grand nombre, et ils sont difficiles à trier par sexe. La technologie de Senecio a pour objectif de résoudre ces problèmes en automatisant le processus de triage et en permettant la préservation et la dispersion de ces insectes.

Les femelles moustiques mordent, ce qui n’est pas le cas des mâles. Ces derniers ne vivent que pendant environ une semaine, et certaines espèces (on compte 2 700 espèces chez les moustiques) ne s’aventurent qu’à environ 100 mètres du lieu où elles sont nées, tout au long de leur existence.

Pour que la technique soit efficace, il faut donc qu’un nombre très élevé de mâles stériles soit dispersé afin que ces derniers puissent avoir l’avantage sur les mâles sauvages (sachant qu’il faut environ 10 mâles stériles pour un mâle sauvage et 800 moustiques par personne dans la zone ciblée). S’il faut des millions d’insectes par semaine pour couvrir un quartier modeste, ce sont des centaines de millions de moustiques qui sont nécessaires pour une ville, commente le directeur général de Senecio Robotics, Hanan Lepek.

Un personnel de santé indien actionne de fumigènes dans une zone pour empêcher la propagation des maladies transmises par les moustiques à Allahabad, en Inde, le 13 septembre 2018 (Crédit : AP Photo/Rajesh Kumar Singh)

Le contrôle chimique est coûteux, nuit à l’environnement, et peut se révéler inefficace, affirme Lepek. Les moustiques développent rapidement une résistance aux produits chimiques, en raison de leur courte vie.

La technique des insectes stériles utilise pour sa part le comportement naturel des insectes pour venir à bout de la population incriminée, et elle est bonne pour l’environnement.

« C’est leur nature. Ils tentent de trouver des femelles. Ils sont comme des bombes intelligentes », explique Lepek. « On a là un outil qui est très précis, contrairement aux produits chimiques. Il n’y a donc aucun dégât collatéral ».

Le directeur général de Senecio Robotics Hanan Lepek, à côté d’une capsule de dispersion de moustiques montée sous un avion (Autorisation)

Lepek a fondé l’entreprise en 2013 avec pour objectif d’automatiser et de rationaliser le tri, le transport et la dispersion des moustiques mâles.

« Nous avons vu le problème que représentent les moustiques, et nous avons supposé que dans quelques années, lorsque les gens voudraient fabriquer et libérer ces moustiques en grand nombre, il y aurait des problèmes », explique Lepek, qui a fait des études dans le secteur des technologies aérospatiales.

« Nous avons donc pensé que si quelqu’un voulait véritablement résoudre et s’attaquer aux épidémies causées par les moustiques – virus Zika, dengue, fièvre jaune – à grande échelle, il fallait trouver des outils pour une production et une dispersion de masse », ajoute-t-il.

L’entreprise ne produit pas et ne stérilise pas les moustiques elle-même, mais elle prévoit d’automatiser le tri des insectes avec des partenaires locaux qui géreront la production. Jusqu’à présent, les moustiques sont triés de manière mécanique. Les mâles et les femelles sont de taille différente lorsqu’ils en sont encore au stade de larve, et les ouvriers les trient avec minutie, à l’aide d’une sorte de tamis en verre. La tâche est fastidieuse, le travail est intense, mais il n’est pas suffisamment précis, déplore Lepek.

À une telle échelle, même un petit pourcentage de femelles encore présent ajoutera un nombre significatif d’insectes mordeurs dans la nature. L’espèce de moustique vectrice de la malaria ne présente également aucune différence de taille avec les autres, quel que soit le stade de son développement, poursuit Lepek.

Un petit garçon de trois ans avec les symptômes de la fièvre jaune, notamment les yeux jaunes, durant une épidémie au Congo, le 19 juillet 2016 (Crédit : AP Photo/Jerome Delay)

La technologie « BioMosquito » de Senecio, révélée le mois dernier par l’entreprise, automatise le processus de tri en utilisant la technologie de l’imagerie, l’apprentissage artificiel et l’apprentissage automatique. Les ordinateurs de l’entreprise apprennent à faire automatiquement la différence entre mâles et femelles.

Après la stérilisation, les moustiques mâles et femelles sont immobilisés grâce à un processus de réfrigération puis dispersés dans un transporteur – similaire aux courroies de transport utilisées dans la production pharmaceutique. Le transporteur amène lentement les moustiques sous une caméra haute-résolution qui prend des photos d’approximativement 100 insectes à la fois.

L’ordinateur identifie alors les moustiques mâles et femelles, et cette information est transmise à l’étape suivante du transporteur, où des bras robotiques agrémentés de mécanismes d’aspiration suppriment et tuent toutes les femelles individuellement.

Les caméras et les transporteurs multiples, qui fonctionnent lentement mais en continuité – 24 heures sur 24 – peuvent produire des millions d’insectes stériles par jour, précise Lepek.

A la fin du transporteur, un pulseur insère les moustiques dans des cartouches. S’il y a trop de moustiques dans un contenant, les insectes suffoquent et leurs pattes s’entremêlent, comme le Velcro, explique Lepek. Il faut donc que les insectes soient réfrigérés et immobilisés ou non-réfrigérés, mais en moins grand nombre dans une cartouche. Une cartouche non-réfrigérée peut accueillir 1 000 moustiques, mais une cartouche qui l’est peut en contenir des centaines de milliers. Les moustiques réfrigérés, poursuit-il, meurent plus tôt dans la nature et sont moins compétitifs selon le temps qu’ils auront passé dans le froid. La méthode de stockage dépend donc des moyens de dispersion.

Les insectes peuvent être libérés par avion, par drone ou par véhicule terrestre. Les avions peuvent disperser la plus grande partie des moustiques – environ 10 millions par vol – dans des zones plus vastes, mais ce type de transport présente un problème en raison de la fragilité des moustiques. Une rafale de vent à 240 km/h les endommagera gravement. Ils ne peuvent donc pas être dispersés directement depuis l’avion; ce qui est possible avec des drones ou avec des véhicules terrestres.

Le mécanisme aérien mis en place par Senecio Robotics est une capsule spécifiquement conçue qui s’adapte au dessous d’un avion. La libération des moustiques de leur cartouche est synchronisée avec une bouffée d’air. La forme de la capsule de transport et le souffle d’air créent un flux d’air plus doux pour les moustiques lorsqu’ils sont remis en liberté. Ce flux s’accélère alors et les insectes sont alors moins touchés par l’impact total de la vitesse de l’avion. On peut comparer ce processus au fait de garder sa main à l’extérieur d’une fenêtre de voiture au moment de l’accélération et la maintenir en pleine accélération sur l’autoroute.

Une analyse des flux d’air réalisée par Senecio pendant la recherche et le développement de la capsule (Autorisation)

Le mécanisme de libération des insectes a été testé avec succès aux États-Unis. L’entreprise a attrapé des moustiques qu’elle avait marqués avec une poudre fluorescente puis les a libérés de l’avion, en les plaçant dans un groupe de contrôle avec des moustiques sauvages. Les deux groupes ont montré la même espérance de vie.

L’entreprise a établi un partenariat avec la Dynamic Aviation Corporation, basée en Virginie, qui possède une flotte d’avions dont le modèle peut transporter les capsules à moustiques.

Les deux firmes développent et testent leur « usine BioMosquito », en effectuant des recherches sur le triage et les processus de transport. Elles ont reçu les brevets nécessaires à l’exploitation de ce système de libération des insectes dans de multiples pays, dit Lepek.

Avec la Dynamic Aviation, l’entreprise a remporté une subvention de la fondation BIRD. Les deux groupes se concentreront dans un premier temps sur les États-Unis et le Brésil. Ils pourraient chercher à déployer leur technologie à Singapour, en Chine et en Afrique dans le futur. Le développement du système devrait s’achever l’été prochain.

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