Une inversion cruelle : Des survivants de la Shoah pleurent leurs soldats bien-aimés
Alors que les Israéliens commémorent les victimes de la Shoah, les soldats tombés au combat et les victimes du terrorisme, les personnes âgées pleurent les jeunes bénévoles qui leur rendaient régulièrement visite et qui ont perdu la vie depuis le 7 octobre

Il y a deux ans, lors de ce qui allait être son dernier Yom HaShoah, le Jour du Souvenir de la Shoah, le sergent-chef (Rés.) Omri Ben Shachar a accompagné le survivant de la Shoah Moshe Adler à une cérémonie commémorative. Les deux hommes avaient tissé des liens étroits grâce aux visites régulières de Ben Shachar, dans le cadre d’un programme national de bénévolat qui met en relation de jeunes Israéliens avec des survivants aujourd’hui âgés.
Cette année, dans un revirement trop cruel pour être compris, Adler a allumé une bougie pour Ben Shachar, tombé à Gaza trois mois après le début de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas. Le conflit actuel a débuté le 7 octobre 2023, lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont envahi le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 personnes et en enlevant 251 autres pour les emmener de force dans la bande de Gaza.
« Il est inconcevable que moi, survivant de la Shoah, je doive subir une telle perte dans le dernier chapitre de ma vie », a déclaré Adler au Times of Israel.
Ce renversement est au cœur d’une initiative conjointe de la Foundation for the Welfare of Holocaust Victims et de l’International Fellowship of Christians and Jews (IFCJ) intitulée « Il était comme un petit-fils pour moi », lancée pendant la période sombre entre Yom HaShoah, qui tombait cette année les 23 et 24 avril, et Yom HaZikaron – le Jour du Souvenir -, une semaine plus tard.
Ce projet préserve la mémoire de plusieurs binômes composés de survivants de la Shoah et de jeunes volontaires tués dans la guerre actuelle, à travers les témoignages personnels des survivants eux-mêmes. Certains de ces soldats avaient commencé à faire du bénévolat au lycée dans le cadre du programme « Connectés », qui mettait en relation 800 élèves de Première et Terminale du réseau scolaire ORT et 400 survivants à travers Israël.
Yaël Eckstein, la présidente de l’IFCJ, qui a qualifié le souvenir de « trait le plus remarquable du peuple juif », a déclaré que son organisation s’était engagée « à se souvenir des survivants âgés de la Shoah vivant en Israël et des familles des jeunes soldats tombés au combat dans cette longue guerre ».

Adler est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans un camp de travail en Transnistrie, en Ukraine. Il a grandi dans une famille où la Shoah n’était jamais évoquée. Enfant, il a découvert que son père, avant d’épouser sa mère et de fuir en Italie, avait été marié à une autre femme avec laquelle il avait eu quatre enfants. Tous les cinq ont été assassinés par les nazis.
Des décennies plus tard, Ben Shachar a franchi le seuil de la maison qu’Adler partageait avec son épouse Malka à Ramat Gan, pour ce qui allait être la première d’une longue série de visites. Le 7 octobre 2023, Ben Shachar a été le premier à appeler les Adler à 6 h 30 pour s’assurer qu’ils étaient en sécurité, alors que les premières informations faisant état de l’invasion du sud d’Israël par le Hamas commençaient à circuler.
Ben Shachar, combattant dans la brigade des parachutistes, a été tué le 8 décembre 2023 à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza. Adler fumait une cigarette dehors lorsque Reuven, le père de Ben Shachar, l’a appelé pour lui annoncer la mort de son fils.
« Je ne pouvais pas parler », a déclaré Adler.

« Je lui ai dit de parler à Malka. C’était trop pour moi. » Aujourd’hui encore, des autocollants et des photos de Ben Shachar recouvrent les murs de la maison des Adler.
« Nous aimions cet enfant. Aujourd’hui encore, je dis aux gens que mon petit-fils a été tué », a déclaré Adler.
L’inversion des rôles entre les survivants et les jeunes lors de cette semaine de commémoration a trouvé un écho au-delà du projet commémoratif. La semaine dernière, devant les crématoires d’Auschwitz, les grands-parents de l’otage Bar Kupershtein ont qualifié l’enlèvement de leur petit-fils à Gaza de « seconde Shoah ».
Le même jour, le sergent-chef (Rés.) Asaf Kafri a été tué par un tir de sniper dans le nord de la bande de Gaza, au moment même où son arrière-grand-mère, âgée de 96 ans, visitait le camp de Bergen-Belsen où elle avait été emprisonnée pendant la Shoah.

Comme Adler, Aviva Ben Yakar est née à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et comme lui, elle était accompagnée de son compagnon bénévole, le sergent-chef Shay Arvas, médecin militaire, pour ce qui allait être sa dernière cérémonie de Yom HaShoah avant qu’il ne soit tué à Gaza, quelques semaines seulement après le début de la guerre.
« Quand j’ai appris ce qui était arrivé à Shay, ça a été extrêmement difficile. Traumatisant », a déclaré Ben Yakar au Times of Israel.
« À présent, pour moi, le Jour du Souvenir de la Shoah, c’est le 7 octobre. »
Arvas avait commencé à rendre visite à Ben Yakar, une veuve de Holon, alors qu’il était au lycée. Après avoir obtenu son baccalauréat, il s’est enrôlé dans l’armée israélienne, mais a continué à lui rendre visite. Avant même de rentrer chez lui pour sa première permission, il s’est présenté à sa porte, son sac à dos militaire encore sur le dos.

« Nous parlions de tout », raconte Ben Yakar.
« Et cela m’a fait du bien, à moi qui suis seule. »
Arvas rêvait d’ouvrir une pâtisserie. « Il apportait des gâteaux chaque fois qu’il venait nous rendre visite, car il disait : ‘On ne boit pas de café sans gâteau’ », a confié Ben Yakar.
Elle était assise dans un café avec des amis lorsqu’ils ont appris qu’un soldat nommé Shay avait été tué. Ce n’est qu’une fois rentrée chez elle qu’elle a appris qu’il s’agissait de « mon Shay ».
« J’avais l’impression qu’une partie de moi m’avait été arrachée », a-t-elle expliqué.
Asher Wolach est un autre survivant de la Shoah qui rend hommage à son défunt bénévole, le rabbin Avi Goldberg, père de huit enfants, tué dans le sud du Liban en octobre.
Né en ex-Yougoslavie, Wolach avait sept ans lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Il a passé quatre ans caché dans une forêt.
« Yom HaShoah est le jour le plus difficile de l’année », a-t-il déclaré dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.

Il y a six ans, Rachel Goldberg, l’épouse de Goldberg, a été chargée d’accompagner Wolach durant la sirène marquant Yom HaShoah, dans le cadre de l’initiative de la Foundation for the Welfare of Shoah Victims visant à s’assurer qu’aucun survivant ne soit seul à ce moment-là. Une fois rentrée chez elle, elle en a parlé à son époux, qui lui a alors révélé qu’il était lui aussi bénévole pour Wolach.
« Nous nous aimions. Il prenait soin de moi comme si j’étais son père », a déclaré Wolach.
Depuis la mort de Goldberg, sa veuve et ses enfants continuent de rendre visite à Wolach dans sa maison de Jérusalem.
Aviva Ben Yakar a déclaré qu’après la mort d’Arvas, la fondation avait envoyé d’autres bénévoles lui rendre visite, mais aucun n’avait laissé la même empreinte. « J’étais tellement attachée à Shay que je n’ai pu nouer de liens avec personne d’autre après lui », a-t-elle déclaré.
Adler, quant à lui, a demandé à la fondation de n’envoyer que le frère jumeau de Ben Shachar, Nadav. Il lui rend visite depuis lors.
Reuven Ben Shachar se souvient de son fils comme d’un « héros et d’un battant, qui avait un optimisme à toute épreuve ».
Il a salué ce projet commémoratif, « unique à notre petit pays si précieux », comme un moyen pour les gens de « se souvenir d’Omri et des jeunes soldats comme lui qui sont tombés en défendant leur patrie ».
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