USA : Les quotas anti-juifs de Harvard cités dans un jugement de la Cour suprême
Dans une décision portant sur la discrimination positive, deux juges ont été sensibles à l'argument d'un groupe qui faisait le lien entre demande de diversité et le désir passé de limiter le nombre d'étudiants juifs
WASHINGTON (JTA) — Les quotas antisémites qui avaient été appliqués au 20e siècle par Harvard ont tenu un rôle déterminant dans la décision prise par la Cour suprême, jeudi, de rejeter le principe de la discrimination positive – le plaignant qui a finalement remporté son action en justice et deux magistrats en ayant fait état dans le cadre de cette affaire historique.
La décision – à six voix contre trois – interdit dorénavant aux universités d’utiliser la race comme facteur explicite lors de la présentation du dossier d’un étudiant en quête d’une admission – mais elle permet à la race d’être citée par les candidats dans les dissertations faisant état de leur expérience de vie.
Le groupe conservateur Students for Fair Admissions, qui avait déposé plainte contre Harvard et contre l’université de Caroline du nord, avait affirmé que l’approche holistique qui était utilisée par Harvard pour procéder à ses admissions – qui consistait à chercher « des groupes extraordinairement diversifiés de jeunes étudiants en menant un réexamen large de tous les aspects de leurs origines et de leurs expériences, et dans toute leur individualité » – était ancrée dans le système de quota qui, dans les années 1920, était utilisé « à des fins de discrimination des candidatures qui étaient déposées par les Juifs ».
En 1922, le président de Harvard, A. Lawrence Lowell, avait remarqué une hausse précipitée du nombre de Juifs acceptés dans son prestigieux établissement et il avait proposé que 15 % d’étudiants juifs seulement soient acceptés, grâce à un système de quota. D’autres universités américaines et canadiennes lui avaient emboîté le pas.
Au moins deux magistrats ont été sensibles à l’argument avancé par le groupe. Neil Gorsuch et Clarence Thomas ont, tous les deux, soulevé la question des quotas juifs dans leur jugement.
« Selon le président de Harvard de l’époque, Abbott Lawrence Lowell, exclure les Juifs pouvait aider à conserver les opportunités d’admission pour les non-Juifs et perpétuer la pureté de la race », a écrit Thomas.
Gorsuch a, pour sa part, cité les conclusions qui avaient été tirées par le groupe dans son jugement. « Harvard avait pris cette initiative, affirme l’organisation SFFA, parce que le président A. Lawrence Lowell et d’autres leaders d’université s’étaient ‘alarmés du nombre croissant d’étudiants juifs qui présentaient leur dossier’ et ils avaient cherché, d’une certaine manière, à limiter le nombre de ces étudiants sans ‘dire franchement’ qu’ils ‘excluaient directement tous les candidats juifs au-delà d’un certain pourcentage’. »
Gorsuch a aussi évoqué les Juifs dans un contexte différent – pour tourner en dérision « l’incohérence », selon lui, de de la discrimination positive. « Il y a aussi des décisions qui ont octroyé le statut d’hispanique à un Juif séfarade dont les ancêtres avaient fui l’Espagne, il y a plusieurs siècles », a-t-il noté, se référant à un dossier de 1995 où la Small Business Administration avait certifié une entreprise comme entreprise appartenant à une minorité en raison de l’origine séfarade du candidat qui avait porté l’affaire à l’attention de l’instance.
Deux groupes juifs ont également parlé de l’antisémitisme qui sévissait, dans le passé, à Harvard – mais à des fins contraires. L’Anti-Defamation League (ADL) a ainsi estimé que le système de quota était une analogie inappropriée parce que Harvard cherchait l’effet contraire – à savoir faciliter l’entrée des minorités. Le Louis D. Brandeis Center for Human Rights Under Law a déclaré que l’analogie, à ses yeux, était bonne, prétendant que l’effet de la politique actuel était d’exclure une autre partie de la population, la population des étudiants asiatiques.
« Nous sommes profondément déçus de la décision prise par la Cour suprême qui a estimé que les programmes d’admission, à Harvard et à l’université de Caroline du nord, sont inconstitutionnels », a dit Steve Freeman, juriste au sein de l’ADL, dans un communiqué. « Cette décision reflète une mauvaise compréhension fondamentale de l’Histoire et des réalités actuelles de discrimination raciale dans ce pays, des raisons qui expliquent pourquoi la discrimination positive est encore aujourd’hui nécessaire ».
Le directeur du Brandeis Center, Kenneth Marcus — qui, en tant que responsable des droits civils au sein du département de l’Éducation sous l’administration Trump avait travaillé sur de multiples dossiers impliquant Israël et l’antisémitisme présumé – a déclaré que la décision était « digne d’éloge pour sa clarté morale ». Dans un communiqué de presse, Marcus a cité la déclaration sur l’honneur dont il avait été notamment l’auteur.
« Tout comme Harvard avait utilisé des méthodes dans les années 1920 et 1930 qui visaient à identifier les candidats présentant ‘le caractère et les aptitudes’ suffisantes comme prétexte pour pratiquer une discrimination à l’encontre des Juifs, l’utilisation actuelle, par Harvard, de ‘l’évaluation personnelle’ pour promouvoir la diversité des étudiants est un prétexte pris pour discriminer les Américains d’origine asiatique », est-il écrit dans cette déclaration sur l’honneur.
Trois autres groupes juifs libéraux ont critiqué la décision : le RAC (Religious Action Center) du mouvement réformé, le JCPA (Jewish Council for Public Affairs) et l’organisation Jewish Alliance for Law and Social Action.
« En tant que communauté juive multiraciale, nous savons que la diversité est notre force et nous reconnaissons qu’ignorer la race ne fera que perpétuer les injustices sociales », a commenté le rabbin Jonah Dov Pesner, directeur du RAC, dans une déclaration.