Yaakov Kirschen, le dessinateur de « Dry Bones » qui aura illustré les prouesses et les travers d’Israël
Cet immigrant né à Brooklyn - qui aura caricaturé et expliqué la politique et la culture israéliennes en direction d'un public essentiellement anglais, dans son pays et à l'étranger- s'est éteint le mois dernier à 87 ans

JTA – La toute première bande dessinée de Yaakov Kirschen avait été publiée dans le Jerusalem Post en date du 1er janvier 1973. Intitulée « Dry Bones », elle mettait en scène un personnage rappelant Ziggy qui s’appelait Shuldig – un homme ordinaire au crâne dégarni et au visage poupin, passé maître dans l’art du sarcasme – et son chien Doobie.
J’avais, pour ma part, découvert « Dry Bones » à l’école hébraïque, lorsque cette BD avait donné à l’adolescent juif américain que j’étais alors un avant-goût des jérémiades (légères) et des réflexions politiques (parfois pointues) d’un Israélien « anglo » moyen – c’est-à-dire un immigrant d’un pays anglophone, ce qu’était Kirschen.
Un dessinateur qui aura continué à dépeindre ces Israéliens – pour le meilleur et pour le pire – aux yeux d’un public majoritairement anglophone jusqu’au jour de sa mort, le mois dernier, à l’âge de 87 ans.
Une planche typique de « Dry Bones » était peu travaillée, Shuldig choisissant de s’adresser directement au lecteur ou de dialoguer avec Doobie. Dans l’une de ces bandes-dessinées, Shuldig déclare : « Nous sommes sortis d’Égypte avec dix plaies terribles », ce à quoi Doobie répond : « … et les Nations unies n’étaient pas là pour nous condamner… »
Il y incluait parfois des personnalités politiques – comme cela a été le cas dans une BD plus récente, où le Premier ministre Benjamin Netanyahu apparaissait en train de marcher sur la corde raide entre le « tollé public » et « l’Iran ».
Comme c’est le cas pour de nombreuses bandes-dessinées, même parmi les plus populaires, la majorité des planches de « Dry Bones » sont immédiatement oubliables. Mais pendant cinq décennies, elles auront constitué un répertoire visuel indélébile d’Israël et des Israéliens. Du moins, c’est l’effet que ces dessins ont eu pour moi, grand amateur de bandes dessinées. Lors de ma première visite en Israël, peu après l’université, je m’attendais à rencontrer des gens comme le sardonique Shuldig, ou des sabras enjoués et bronzés comme Srulik, le personnage de kibboutznik créé par le dessinateur israélien connu sous le nom de Dosh, ou encore des stéréotypes hilarants – des hassidiques barbus, des chauffeurs de taxi au torse poilu, des hipsters de Tel-Aviv – tels qu’ils étaient dessinés par Michel Kichka. Et c’est ce qui était arrivé.
Kirschen était né à Brooklyn en 1938. Il avait étudié l’art au Queens College et, après quelques années de caricatures dessinées pour Playboy et pour d’autres publications, il s’était installé en Israël en 1971. À son apogée, « Dry Bones » avait été publié par environ 35 journaux en Israël et à l’étranger, parmi lesquels un certain nombre d’hebdomadaires juifs américains. Ces dernières années, les articles parus sur le site d’information de droite Jewish News Syndicate avaient pris une tournure plus tranchante et plus agressive, faisant l’apologie de Donald Trump et ridiculisant les détracteurs d’Israël.
Mais pendant de nombreuses années, Kirschen aura été un satiriste à part entière, ce genre de Juif qui considère l’antisémitisme comme une réalité de la vie et le défi juif comme une source de fierté.

Son travail s’était élargi au-delà de la bande dessinée à quatre volets et il aura notamment compris une Haggadah « Dry Bones », des romans graphiques et, en 2004, le « Dry Bones Project », une association à but non lucratif qui se donnait pour objectif de combattre les « mensonges et la laideur » de l’antisémitisme par l’humour. (En 2006, il avait décerné le prix « Shmendrik » à ceux qui « se sont le plus distingués dans leur soutien apparemment involontaire à l’antisémitisme »). En 2014, il avait remporté le prix Bonei Zion (Bâtisseurs de Sion) décerné par Nefesh BNefesh, un groupe qui encourage l’immigration juive en Israël.
En 1994, Kirschen avait trouvé un public inattendu lorsque des chrétiens born-again avaient adopté son roman graphique « Arbres : …le testament vert » – un livre qui raconte l’Histoire d’Israël du point de vue de ses arbres. Selon un article publié en première page par le Wall Street Journal, il illustrait involontairement « des signes bibliques qui, selon les chrétiens évangéliques, présagent le Second Avènement. Parmi eux : Les Juifs reviendront en Israël, les collines d’Israël seront plantées d’arbres et la terre stérile fleurira ».
Kirschen, qui se disait plutôt agnostique, avait été initialement déconcerté mais il avait finalement fait part de sa gratitude à l’égard de ce nouvel intérêt qui lui était porté, faisant des apparitions dans des émissions de radio et sur des chaînes de télévision chrétiennes.
La caricature de Kirschen dont je me souviens le mieux avait été dessinée pendant la première guerre du Golfe, quand les Israéliens recevaient des masques à gaz et qu’ils construisaient des « pièces sûres », étanches à l’air, pour parer à l’éventualité d’une attaque à l’arme chimique par Saddam Hussein. Israël avait été la cible de missiles, mais avait, en fin de compte, été épargné – et Kirschen, de son côté, avait imaginé une nouvelle fête juive au cours de laquelle les fidèles portaient des répliques de masques à gaz et organisaient un grand dîner dans des salles symboliquement drapées de bâches en plastique. Une idée qui n’était pas aussi farfelue qu’elle paraissait l’être, compte tenu de cet esprit particulier qui régente les fêtes juives – un esprit qui est à même de transformer l’anéantissement en rituel festif (et culianire).
La politique de plus en plus nationaliste de Kirschen n’avait pas plu à tout le monde – mais jusqu’à la fin, le dessinateur aura su capter les Israéliens et les Juifs américains qui n’ont jamais accepté ou qui se sont lassés des discours sur la « paix », qui ressentent de la colère face aux Israéliens et face aux étrangers qui critiquent le gouvernement et qui sont convaincus que la guerre actuelle est un nouveau chapitre dans le livre de la lutte existentielle pour la survie des Juifs.
Il avait exprimé tout cela dans le sillage de l’attaque sanglante qui avait été commise par le Hamas, le 7 octobre, mais il avait également dessiné quelques vignettes avec un ton plus nostalgique – exprimant sa confiance dans le fait que la guerre avait su unir les Israéliens en leur donnant le sens d’un objectif commun.
Au début de l’année, Kirschen avait été victime d’une attaque cérébrale. Sur son blog, son épouse, l’artiste Sali Ariel, avait fait la chronique de ses problèmes de santé et de son déclin. Avec l’aide d’un ami graphiste, « Yaakov continue occasionnellement à faire ses dessins », avait-elle écrit le 14 avril. « Il ressent le besoin de pouvoir contribuer à la lutte pour la cause du peuple juif avec ses dessins satiriques ».
Il était décédé dans la même journée dans un hôpital proche de son domicile à Kfar Saba.
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