A Londres, la première ferme collective juive prend racine
Un concours de circonstances improbables a conduit un couple à quitter la capitale britannique pour se familiariser avec ses coreligionnaires et "l'agriculture juive"
CHELSFIELD, Royaume-Uni (JTA) — Il y a cinq ans, Talia Chain et son mari avaient un mode de vie parfait. Ils vivaient dans un appartement du centre de Londres, et étaient entourés de jeunes professionnels de la high-tech comme eux.
Inaccessible pour la plupart des Britanniques, ce rêve anglais était à portée de mains pour Chain, fondatrice d’une start-up de marketing de mode, et Josh Charig, un brillant analyste de données et amateur de bières.
Mais par un concours de circonstances incroyables, le couple juif londonien s’est installé l’année dernière dans la banlieue rurale de la capitale, où ils sont tous deux en train de créer la première ferme collective juive sur le sol britannique depuis des décennies.
Grâce au financement d’un philanthrope local et de donateurs en ligne, le couple âgé de 29 ans, et quelques employés et bénévoles ont créé un espace où les juifs de tous âges peuvent se rapprocher de l’agriculture et de l’environnement au travers de leur foi – et vice versa.
« Le judaïsme est, en son cœur, une religion agricole, mais beaucoup d’entre nous avons perdu le contact avec cette pierre angulaire de notre foi », a déclaré Chain, qui se décrit elle-même comme une « fille de la ville » dont le nouveau look se caractérise par des pantalons larges, des bottines sans talon et une mèche rebelle de cheveux roux ondulés. Alors que la popularité des mouvements environnementalistes augmente, tout particulièrement parmi les jeunes juifs qui rejettent la religion organisée, « c’est un potentiel exceptionnel pour s’engager », a-t-elle déclaré.
Voilà pourquoi en 2016, Chain a mis en place la ferme Sadeh, dont le nom signifie « champ » en hébreu, à la Skeet Hill House – une commune de villégiature de la communauté juive à 25 kilomètres au sud-est du centre de Londres. Il y a une piscine intérieure, une cuisine casher, des dortoirs, et un grand terrain qui était jadis abandonné et couvert de mauvaises herbes.
Un an après le début du projet, le champ plein de mauvaises herbes dispose d’un composte rempli des déchets biodégradables provenant de la cuisine ; un verger florissant avec des arbres fruitiers bibliques comme le figuier et le pommier ; un centre « havdalah » où les visiteurs et les résidents de la ferme se rassemblent chaque semaine pour une cérémonie religieuse célébrant la fin du Shabbat ; une zone shemita – avec une partie de la terre que l’on peut laisser en jachère pour une année tous les sept ans, comme l’ordonne la Torah. « A l’avenir », a déclaré Chain, « la ferme disposera aussi d’animaux et même de la faune sauvage ».
Sadeh accueille chaque mois des centaines de visiteurs, dont beaucoup sont des étudiants d’écoles juives de la région de Londres qui y passent la nuit, mais aussi des travailleurs issus d’organisations juives, et d’autres qui viennent pour un week-end de détente.
Les visiteurs ne sont pas une nouveauté dans la ville. Des groupes juifs viennent ici depuis la création de la Skeet Hill House dans les années 1940 en tant que centre de villégiature pour les enfants juifs pauvres de Londres, au moment où la ville était dévastée par les bombardements. Depuis cette époque, des visiteurs juifs viennent à Skeet Hill House pour se détendre à la piscine, jouer au foot et faire du cheval.
« Mais, étonnamment, il n’y avait pas d’agriculture juive sur cette, et bien, exploitation juive », a déclaré Chain.
Mais la situation a changé grâce à un don de 200 000 dollars de David Dangoor, un philanthrope britannique né en Irak. Des enfants qui visitent le site travaillent la terre, s’occupent des plantes et entretiennent les bacs de composte. Des adultes qui participent à des séminaires d’entreprise participent à des ateliers de nettoyage conduits par Chain et sa poignée de volontaires. Sadeh a levé 23 000 dollars supplémentaires à travers un financement en ligne. La ferme a encore besoin d’une somme similaire pour que Chain puisse réaliser ses projets.
Les travailleurs et les visiteurs prient et chantent à l’extérieur, discutent de textes juifs sur la nature, et apprennent sur le terrain les innombrables lois et coutumes juives liées à l’agriculture et la façon dont elles peuvent être appliquées pour arrêter le gaspillage, aider les pauvres et soutenir la planète, selon Chain. Il y a aussi un office de prière le mercredi matin.
Les invités peuvent également dormir dans une vieille maison de trois étages du 18ème siècle, avec une cheminée, de grandes fenêtres donnant sur le jardin et un fantôme sympathique du nom de Lady Cynthia. La légende locale veut qu’elle a été pendue après avoir tenté de s’échapper à travers un tunnel secret de la famille Hart Dyke, qui possédait autrefois le Château de Lullingstone et ses terres, y compris ce qui est maintenant Sadeh. Il n’y a pas de preuve historique à l’appui de ce mythe, mais cela permet de raconter des histoires effrayantes lors des nuits pluvieuses anglaises, selon Chain.
Lorsque Chain a commencé à recevoir des invités à Sadeh, elle a été choquée de voir à quel point certains étudiants juifs « répugnaient à toucher de la terre, ils la trouvaient sale ». Certains « n’osaient même pas manger une feuille » directement d’une laitue ou d’un plant de haricot.
« Je pense que c’est dramatique », a-t-elle dit. « C’est une déconnexion majeure entre notre peuple et notre Torah, notre foi, la base de toute notre tradition. »
En Amérique du Nord, les fermes juives sont un phénomène assez courant, avec des organisations comme Hazon qui travaillent pour impliquer des jeunes juifs qui se soucient de l’environnement à travers la dimension agricole du judaïsme.
Il y a le Pearlstone Retreat Center près de Baltimore ou Shoresh et ses terres agricoles dans la région de Toronto. En 2010, la Californie a vu l’ouverture d’Urban Adamah, une ferme soeur sur la Côte Ouest de celle fondée en 2003 à Falls Village, dans le Connecticut. Son site Internet explique qu’on y « cultive le sol et l’âme pour produire la nourriture, construire et transformer les identités ». La Yiddish Farm à New Hampton, dans l’état de New York, est quant à elle, une ferme pour les locuteurs yiddish.
Mais les fermes juives étaient inexistantes en Grande-Bretagne, où cette activité s’est développée à une large échelle il y a des décennies, dans des camps d’entraînement pour les futurs immigrants des implantations sionistes en Israël.
C’était lors d’un stage de trois mois en 2015 à Adamah dans le Connecticut que Chain a puisé l’inspiration pour établir quelque chose de similaire dans son pays d’origine.
« Quand je suis allée faire ce stage, je m’ennuyais au travail et je me sentais déconnectée du judaïsme. A Adamah, tout semblait à sa place », a déclaré Chain, qui est la petite-fille du biochimiste britannique Ernst Chaine, né en Allemagne. En 1945, son grand-père a remporté le prix Nobel pour la découverte de la pénicilline avec Alexandre Fleming et Howard Florey.
La passion de Talia Chain pour l’agriculture appliquée selon les principes bibliques est encore rare au Royaume-Uni.
Mais son sentiment d’aliénation face aux institutions juives est assez courant chez les juifs britanniques, selon une étude réalisée en 2016 par l’Institut de recherche politique juive dans le pays. Elle a constaté qu’en 2016, le nombre de membres des synagogues avait diminué de 20 % depuis les années 1990 au Royaume-Uni, pour s’établir à 79 597 ménages juifs dans tout le pays. C’est le chiffre le plus bas jamais enregistré depuis des décennies.
Ces antécédents ont joué un rôle important dans la décision prise par David Dangoor de financer Sadeh, explique-t-il.
« Aujourd’hui, il est devenu plus difficile pour les jeunes et les personnes instruites de s’engager dans le judaïsme. Ils ne sont tout simplement pas attirés par les anciens paradigmes et institutions », a-t-il dit. « Mais le point de rencontre de l’environnementalisme et de la spiritualité juive », a-t-il déclaré, »pourrait ouvrir une nouvelle voie vers un engagement plus important ».
« Les persécutions antisémites comme celle qui a forcé la famille de Dangoor à quitter l’Irak dans les années 1950 ont dissuadé les juifs de se tourner vers la terre en Diaspora », a-t-il dit.
« Nous avons compté sur nos cerveaux à la place, nous éloignant de la terre », a-t-il noté.
Et pourtant, a-t-il ajouté, « revenir à la terre est quelque chose qui est inscrit en nous de manière presque instinctive ».
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