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Comment Howard Kohr a fait de l’AIPAC un puissant levier pro-Israël en toute discrétion

Sous sa direction de M. Kohr, sur le départ fin 2024, jamais les fonds collectés n'ont été si importants. Soupçonnée de virer à droite, l'AIPAC maintient son soutien à la solution à deux États

Howard Kohr, directeur exécutif de l'AIPAC, s'adresse à la conférence politique du lobby, le 4 mars 2018 (Capture d'écran Aipac)
Howard Kohr, directeur exécutif de l'AIPAC, s'adresse à la conférence politique du lobby, le 4 mars 2018 (Capture d'écran Aipac)

WASHINGTON (JTA) – C’était en septembre 2015, à la veille de ce que l’AIPAC qualifie de l’un des votes les plus difficiles de toute l’histoire du Congrès américain – pour ou contre l’accord sur le nucléaire iranien du président Barack Obama, moqué par le Premier ministre Benjamin Netanyahu et une grande partie de la communauté centriste pro-israélienne.

Contrairement à ses habitudes, Howard Kohr, président du puissant lobby pro-israélien, faisait une apparition publique dans une synagogue du Maryland. Il n’avait pas l’air particulièrement à l’aise.

Un smartphone à la main, l’air un peu emprunté, il tentait d’expliquer :
« Allez dans vos contacts, là où vous ajoutez de nouveaux numéros », devant un parterre de 1 600 personnes, dans les locaux de Beth Tfiloh, dans la banlieue de Pikesville, caractérisée par une forte population juive.
« Appelez la sénatrice [Barbara] Mikulski ou le sénateur [Ben] Cardin et demandez-leur de s’opposer à cet accord. »

Cardin est bien l’un des quatre sénateurs Démocrates à avoir voté contre l’accord, mais cela n’a pas suffi : malgré la forte opposition de l’American Israel Public Affairs Committee, l’accord de limitation du programme nucléaire iranien en échange d’un allègement des sanctions a passé le cap de l’opposition du Congrès quelques jours plus tard.

C’est là un des rares échecs de Kohr. Et l’épisode de la synagogue est le témoin de sa très nette préférence pour le travail en coulisses, et non sous l’oeil de tous.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu salue Howard Kohr (3e à droite), Directeur exécutif de la Commission des affaires publiques d’Israël, avant de s’adresser à la Conférence sur les politiques de l’AIPAC au Walter Washington Convention Center le 4 mars 2014 à Washington (Crédit : Chip Somodevilla/Getty Images/AFP)

Aujourd’hui âgé de 68 ans, Kohr, qui a annoncé cette semaine sa décision de faire valoir ses droits à la retraite en fin d’année, a utilisé ses talents de fin négociateur pour faire de l’AIPAC une institution incontournable à Washington, qu’il a dirigée durant près de 30 ans, entre scandales et succès, tout en restant l’essentiel du temps éloigné de l’oeil du public.

« Je pense qu’il y a eu de sa part la volonté de ne pas se prêter à un quelconque culte de la personnalité autour de la direction de l’AIPAC, de manière à ce que ce soit la cause – à savoir la relation entre les États-Unis et Israël -, l’organisation qui priment, et non la personne assise dans le fauteuil du président », explique William Daroff, président de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines et grand habitué de Washington D.C. dans une interview.

En 2007, lorsque GQ a fait de lui la sixième personne la plus puissante de Washington, Kohr n’a pas jugé bon de commenter.

La note de Kohr au conseil d’administration de l’AIPAC est le reflet de sa manière de faire, quelque chose comme « Assez parlé de moi, au boulot ! ».

« Je vais avoir du temps pour réfléchir lorsque je quitterai mes fonctions dans un peu plus de neuf mois », a-t-il écrit. Mais d’abord, a-t-il ajouté, l’AIPAC doit faire adopter « la demande d’urgence de 14,3 milliards de dollars du président pour Israël » (chose faite depuis mercredi. Il s’agit de 17 milliards de dollars).

Les discours de Kohr à la conférence annuelle de l’AIPAC à Washington, aujourd’hui le plus grand rassemblement de Juifs aux Etats-Unis, ont toujours mis en avant le caractère incertain d’un monde au bord de la catastrophe et le rôle primordial de Kohr et des participants – auxquels il s’adressait comme à ses (15 000) amis les plus proches – pour le sauver du naufrage.

« C’est à nous de le faire », assurait Kohr dans son discours, somme toute très classique, en 2011, inquiet des manifestations du Printemps arabe cette année-là. « Il faut remettre l’attention des décideurs politiques sur ce que fait l’Iran en cette période de troubles : le développement de cinquièmes colonnes dans les pays voisins pour les rallier à ses objectifs, le recours au terrorisme par procuration, sa marche implacable vers l’arme nucléaire.

Lorsque Kohr se hisse au poste le plus élevé de l’organisation, en 1996, le conseil d’administration fait le choix d’une personnalité qui n’attira pas l’attention sur le lobby pour de mauvais motifs.

Le président américain de l’époque, George W. Bush (au centre), est accueilli par Robert Asher, membre du conseil d’administration de l’American Israel Public Affairs Committee (à gauche) et Howard Kohr (à droite), le directeur exécutif, le 18 mai 2004, au Washington Convention Center à Washington, DC. (Crédit : Paul J. Richards / AFP)

Tom Dine, le prédécesseur de Kohr, est poussé vers la sortie en 1993, officiellement pour avoir froissé les Juifs orthodoxes. Mais un membre important de l’organisation assure que Dine, très érudit et particulièrement fringant, était beaucoup trop dans l’oeil des médias. (Dine n’a pas souhaité s’exprimer sur ce point.)

Embauché par l’AIPAC à la fin des années 1980 après avoir travaillé au sein de ce qui allait devenir la Coalition juive républicaine – à l’époque, la Coalition juive nationale -, Kohr est nommé directeur général du lobby en 1993. Il succède à Dine.

Kohr aurait préféré se voir confier le poste le plus élevé, mais le conseil d’administration en décide autrement, ébloui par la personnalité de Neal Sher, le célèbre chasseur de nazis. Il se voit offrir un poste de co-directeur, qu’il refuse. Le poste revient à Sher.

Deux ans plus tard, Sher quitte ses fonctions et Kohr prend sa suite. Les membres du conseil d’administration admettent que Sher n’était pas le bon candidat ; Sher dira plus tard que Kohr a fait un travail de sape à son encontre.

En 2007, Sher, qui décédera en 2021, disait vouloir en terminer avec certaines tensions entre l’AIPAC et le défunt Premier ministre Yitzhak Rabin, qui considérait le lobby comme un indésirable dans les relations américano-israéliennes au moment des accords d’Oslo.

Rabin et le président américain Bill Clinton ne voulaient pas que la question du statut de Jérusalem fasse partie des très fragiles pourparlers de paix avec les Palestiniens. Selon Sher, Kohr n’en aurait pas tenu compte, utilisant ses contacts Républicains au Congrès pour faire émerger un projet de loi reconnaissant la ville comme capitale d’Israël. Ce projet de loi de 1995 serait présenté par le sénateur du Kansas Robert Dole, candidat Républicain à la présidence l’année suivante.

Pour Kohr, était-ce grave « que le projet soit en contradiction directe avec la politique de l’AIPAC » ? », dira Sher. — Pas le moins du monde.

Lors des entretiens avec la presse, Kohr, toujours impeccable, et son directeur général et co-PDG de l’époque, Richard Fishman, sont les deux faces de la même médaille. Kohr, avec sa voix douce et son goût du mystère, et Fishman, décédé l’an dernier, volontiers grégaire, volubile et sarcastique.

La Secrétaire d’État américaine de l’époque, Hillary Clinton, est accueillie par Howard Kohr, directeur exécutif de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), avant son allocution lors de la conférence politique de l’AIPAC à Washington, le 22 mars 2010. (Crédit : Nicholas Kamm / AFP)

Les formidables compétences de Kohr en matière de collecte de fonds expliquent son incroyable longévité à ce poste – il est en effet le tout premier directeur de l’AIPAC depuis 1974 à prendre volontairement sa retraite sans être poussé vers la sortie. Il touche un salaire annuel de l’ordre d’un million de dollars.

En 2022, le lobby lève près de 164 millions de dollars de fonds, contre 105 millions en 2011, selon les données des services fiscaux. Son équipe passe de 40 à 300 membres sous le mandat de Kohr. Dans les années 2000, Kohr dirige lui-même la collecte de fonds pour l’établissement d’un nouveau siège social rutilant, avec sa propre salle de sport, non loin du Capitole.

C’est grâce à l’AIPAC qu’Israël obtient les 3,8 milliards de dollars d’aide annuelle pour sa défense. L’organisation joue par ailleurs un rôle clé dans la prise de sanctions contre l’Iran.

Lorsqu’il organise des conférences de très grande ampleur, ce qu’il fera jusqu’à la pandémie, le lobby attire jusqu’à 18 000 personnes auxquelles il sert le plus grand dîner casher des États-Unis, avec 500 kg de houmous en 2005.

Lors des dernières élections, son comité d’action politique, lancé par Kohr et Fishman, soutient 365 candidats dans les 470 scrutins ; 98 % d’entre eux l’emportent. Un deuxième super PAC, le United Democracy Project, dispose de 100 millions de dollars pour les besoins de ce cycle.

Sous la direction de Kohr, le lobby est soupçonné de pencher du côté Républicain. Son comité d’action politique, l’AIPAC PAC, cible les progressistes éloignés de ses bases pro-israéliennes et soutient plus de 100 Républicains qui ont refusé de valider le résultat des élections de 2020. Le super PAC – l’UDP – dépense l’essentiel de ses fonds pour se rapprocher des Démocrates progressistes au moment des primaires.

L’AIPAC s’oppose ouvertement à Obama sur la question de l’accord avec l’Iran. A l’été 2015, l’AIPAC fait venir par avion des centaines de militants qui tentent de persuader les membres du Congrès de pilonner le projet de loi et écourtent une réunion avec de hauts responsables de la Maison Blanche.

Cela n’empêche pas Kohr de s’opposer parfois à la droite : il se sépare ainsi en 2007 de l’un de ses donateurs les plus généreux, le magnat des casinos Sheldon Adelson, pour ne pas avoir à renoncer au soutien aux négociations avec les Palestiniens en vue d’une solution à deux États, qui avait à l’époque les faveurs du gouvernement israélien. En 2016, il se joint à d’autres dirigeants de l’AIPAC, sur scène, pour reprocher au candidat de l’époque, Donald Trump, de s’être moqué d’Obama. Trump ne le pardonnera jamais au lobby et ne prendre plus jamais la parole lors de ses conférences.

Kohr n’a pas que des victoires à son actif. En 2004, des agents fédéraux enquêtent sur deux importants membres de l’AIPAC – l’ex-mentor de Kohr, Steve Rosen, et Keith Weissman – qu’ils soupçonnent d’avoir eu connaissance d’informations classifiées.

Un visiteur tient un dossier de l’AIPAC dans un ascenseur de l’immeuble Rayburn House, le 12 mars 2024 au Capitole, à Washington, DC. (Crédit : Alex Wong/Getty Images via AFP)

L’affaire fait grand bruit au sein de la communauté des libertés civiles – on craint des retombées négatives sur la fonction de lobbyiste, voire de journaliste. Mais en l’espace d’un an, avec Kohr, l’AIPAC lâche les deux hommes. Il se dira plus tard que les autorités fédérales ont obtenu que l’AIPAC limoge les deux hommes sous la menace de poursuites contre le lobby.

L’une des premières décisions de l’administration Obama consiste à abandonner les charges, mais les dégâts sont bel et bien là : l’AIPAC, intimidé par les enquêtes, limite grandement son action auprès de l’exécutif.

En 2022, Kohr met fin à des décennies de prudente réserve vis-à-vis des élections directes en instaurant deux comités d’action politique.

Le changement est radical, mais Daroff estime qu’il a du sens, surtout aujourd’hui, avec la guerre entre Israël et les terroristes palestiniens du Hamas, l’hyper-polarisation de la société et la mobilisation de la gauche pour évacuer des politiques du Parti démocrate le soutien à Israël. Quelques législateurs Républicains s’opposent également au soutien à Israël.

Daroff explique : « Au vu des réactions au 7 octobre, dans certains milieux politiques, si l’AIPAC n’avait pas entamé ce pivot lors des dernières élections, il aurait dû le faire maintenant pour s’adapter aux dynamiques évolutives du paysage politique. »

Pour les amis de l’AIPAC, avec Kohr, la règle était de ne pas faire de bruit. Jonathan Kessler, directeur étudiant du lobby aujourd’hui à la tête d’un groupe de dialogue judéo-arabe, estime que Kohr et Fishman se démarquent clairement des autres dirigeants du groupe.

« J’ai connu et travaillé avec chacun des six directeurs exécutifs et co-PDG de l’AIPAC », se rappelle-t-il. « Howard Kohr et son inséparable partenaire, Richard Fishman, ont dirigé l’AIPAC avec une perspicacité, une passion, une discipline et une grâce à ce jour inégalées. »

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