Dans la bande de Gaza : marcher des kilomètres pour du pain ou de la farine
Déjà dysfonctionnelle avant la guerre, toute la chaîne d'approvisionnement de l'enclave tourne désormais au ralenti
Tout le monde en cherche mais personne n’en trouve : la farine est en passe de devenir une sorte d’or blanc à Gaza où la population palestinienne, éprouvée par la guerre, multiplie les appels à l’aide face à une grave pénurie de pain.
Devant les rares boulangeries encore ouvertes dans la bande de Gaza, des foules se forment chaque matin devant le point de distribution, espérant pouvoir obtenir un sac de pain, parfois minuscule.
Par-dessus les têtes, chacun essaie de tendre la main le plus loin possible pour attraper du pain. Une petite fille, en larmes, serre une pièce de monnaie entre ses doigts en se frayant un chemin parmi les adultes.
Ces derniers mois, de nombreux Palestiniens ont confié à l’AFP se lever aux aurores dans le seul but d’obtenir du pain, un aliment de base devenu une denrée de plus en plus rare dans le territoire assiégé et en proie à la guerre entre Israël et le Hamas depuis bientôt 14 mois.
A Khan Younès (sud), des photographes de l’AFP ont vu des dizaines de personnes rassemblées aux abords d’un point de distribution, les corps pressés les uns contre les autres.
Vendredi, deux femmes et une jeune fille sont mortes, piétinées, lors d’une bousculade devant une boulangerie de Deir el-Balah (centre).
« Pour avoir un sac de pain, ça peut prendre une journée entière, entre 8 et 10 heures », notait le frère de l’une des femmes, Jamil Fayyad.
Sa sœur « a souffert » pour nourrir les dix membres de sa famille et « tout le peuple palestinien souffre » à cause, selon lui, de « l’occupation » israélienne mais aussi du Programme alimentaire mondial (PAM), qui gère des boulangeries industrielles, et des « commerçants qui veulent se faire de l’argent sur le dos des gens ».
Des habitants expliquent combien il est difficile de trouver les sacs de farine de 50 kilos, ceux qu’ils achetaient avant la guerre pour plusieurs semaines.
« Il n’y a rien sur les marchés », déplore Nasser al-Shawa, 56 ans, qui, comme la majorité des Gazaouis, a été déplacé par la guerre et vit actuellement avec ses enfants et petits-enfants dans le centre du territoire palestinien.
Les sacs de 50 kilos se vendent aujourd’hui entre 500 et 700 shekels israéliens (entre 130 et 180 euros environ).
« Huit kilomètres »
Déjà dysfonctionnelle avant la guerre, toute la chaîne d’approvisionnement de la bande de Gaza tourne désormais au ralenti.
La guerre a détruit la moitié du bâti selon l’ONU et le secteur de la production est quasi éteint. Quant à la farine, des minoteries, des entrepôts de blé et des boulangeries industrielles ont été trop lourdement endommagés.
L’aide humanitaire entre au compte-goutte, les ONG dénonçant de très nombreuses contraintes imposées selon elles par les autorités israéliennes, ce que ces dernières démentent.
Dimanche, l’agence controversée des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) a annoncé la suspension de la livraison d’aide dans la bande de Gaza depuis un point de passage clé avec Israël, l’acheminement étant devenu « impossible », en partie en raison des pillages par des bandes organisées.
Cette décision est « comme une balle en pleine tête », décrit Layla Hamad, 39 ans, réfugiée avec son mari malade du cancer et ses sept enfants sous une tente d’al-Mawasi (sud). Auparavant, elle recevait régulièrement « une petite quantité » de farine de l’Unrwa, dit-elle.
« A présent, on se dit tous les jours qu’on ne survivra pas, soit à cause des bombardements, soit à cause de la famine ».
L’Unrwa a annoncé mardi une distribution exceptionnelle de farine pour les familles de plus de dix membres dans un premier temps, mais elle reconnait n’avoir qu’un stock limité.
Quant aux entreprises privées qui avaient été autorisées par Israël à faire entrer des denrées alimentaires dans la bande de Gaza, la plupart disent ne plus pouvoir le faire.
Comme l’eau, les produits frais, ou les médicaments, le pain est un casse-tête quotidien au milieu de l’anarchie ambiante.
« J’ai dû marcher huit kilomètres pour en obtenir », raconte Hatem Kullab, un jeune déplacé qui vit aujourd’hui dans une tente dans un camp de fortune.