De l’esthétique au fonctionnel : des designers se mettent au service des combattants
Les écoles de design Bezalel et Shenkar mettent en place des équipes de bénévoles pour personnaliser l'équipement des troupes et des réservistes
Dans une salle de classe du Shenkar College of Engineering and Design de Tel Aviv, des dizaines de machines à coudre tournent à plein régime, chaque table étant remplie de bandes rectangulaires de tissu vert militaire.
Le pays est entré en guerre, alors une armée de 400 stylistes de mode, étudiants en design, professeurs et diplômés de Shenkar et un journaliste de mode se sont inscrits pour des « tours de garde » de quatre ou cinq heures chaque jour, afin de concevoir, couper, coudre et piquer la myriade de poches, de languettes et de sangles qui sont attachées aux gilets pare-balles dotés de plaques en céramique portés par les soldats de combat.
Les poches spacieuses, cousues sur les gilets à l’aide de grandes languettes permettant de les soulever facilement, sont destinées à contenir des grenades, des balles, des lampes frontales, des cartes et d’autres objets nécessaires sur le champ de bataille.
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« Tout le monde est passé de la mousseline et du lin aux ceintures, à la toile et au sergé », explique Ilan Beja, qui dirige le département de création de mode de Shenkar. « On ne peut pas ne pas être précis ; il faut que ce soit de cette taille et de ce poids. Nous devons faire preuve de créativité et de souplesse, en passant de l’esthétique au fonctionnel. »
Un jour ou deux après les choquants événements du 7 octobre, au cours desquels des terroristes palestiniens du Hamas ont franchi la barrière frontalière de la bande de Gaza, tué plus de 1 400 personnes dans le sud d’Israël, pour la plupart des civils, et en ont enlevé au moins 212, Beja a été contacté par un membre de l’establishment de la Défense qui lui demandait de l’aide pour coudre des pièces essentielles de l’équipement de l’armée.
Environ 360 000 réservistes ont été appelés au lendemain des massacres perpétrés par le Hamas. Israël est entré en guerre contre le groupe terroriste qui règne sur la bande de Gaza, avec la ferme intention de l’éradiquer. Il s’agit de la plus grande mobilisation depuis la Guerre de Kippour, en 1973.
« Au début, il leur manquait quelques centaines de poches et de languettes qui sont habituellement cousues sur les gilets dotés de plaques en céramique destinés aux soldats de combat », explique Beja.
Cette demande a suffi à trois membres du personnel du Shenkar – Ofir Ivgi, concepteur et conférencier, Anna Solo, experte en technologie, conceptrice et maître de conférence, et Maya Arazi, conceptrice et maître de conférence – pour que les volontaires se mettent au travail et mobilisent suffisamment de couturiers pour fabriquer un prototype et le reproduire.
« Ce n’était que le début », souligne Beja. « Les demandes ne cessent d’affluer, car le nombre [de réservistes] est très élevé. Notre studio et nos salles de couture sont devenus une chaîne de fabrication. »
L’objectif est de préparer au mieux les réservistes, explique Shelly Boneh, designe industriel et diplômée de Bezalel, qui a créé un atelier de couture similaire à l’École d’art et de design Bezalel de Jérusalem.
L’école d’art a cousu quelque 700 articles au cours des cinq derniers jours, a déclaré Boneh, qui était en vacances en Thaïlande avec sa sœur lorsque la guerre a commencé le 7 octobre.
Le partenaire de Boneh, réserviste dans une unité des forces spéciales, a été appelé immédiatement, ses camarades ayant déjà subi des pertes à la suite des attaques du Hamas dans le sud. Boneh, qui a également servi dans une unité spéciale de Tsahal pendant son service militaire, a commencé à mettre en place un atelier de couture pour fournir aux soldats réservistes ce dont ils ont besoin pour fonctionner correctement.
L’atelier de Bezalel compte aujourd’hui 80 bénévoles qui travaillent de 9h à 20h, en coordination avec les autres ateliers du pays et l’équipe de tailleurs de l’armée.
À Shenkar, à Tel Aviv, une centaine de personnes travaillent par équipe, mais Beja doit restreindre le nombre de volontaires en raison du nombre limité de miklatim – pièces sécurisées – disponibles. Les tirs de roquettes sont fréquents à Tel Aviv depuis le début de la guerre.
Chaque jour, chaque atelier de couture du pays reçoit sa mission, explique Boneh, et lorsqu’il est prêt, le lot est ramassé et apporté à l’unité de l’armée qui en a besoin.
« Nous demandons aux unités ce qui leur manque », explique Boneh. « Il s’agit de choses qui doivent être cousues de A à Z. Ce ne sont pas des choses que l’on peut acheter, ce ne sont pas des lampes de poche. »
Bezalel accepte les dons afin d’acheter des fournitures, qui peuvent être faits par l’intermédiaire de Bezalel en Israël et des Friends of Bezalel Abroad (« Amis de Bezalel à l’étranger »).
À Shenkar, ajoute Beja, le chef du département textile est originaire du kibboutz Reim, la localité frontalière de Gaza où des terroristes du Hamas ont massacré les fêtards et tué au moins 260 personnes lors du festival Supernova.
Aujourd’hui, l’atelier participe également à la fabrication de tee-shirts et de chemises à manches longues pour les habitants de Reim, de Beeri et de Zikim, des communautés décimées par le Hamas. C’est un petit quelque chose qui leur remonte le moral, dit Beja, et ils ont reçu une aide financière de la part d’entreprises high-tech locales.
« Nous ne pouvons pas faire grand-chose dans une telle situation », a-t-il déclaré.
À Jaffa, le designer Oz Zechovoy a mis à profit son expérience militaire au sein de Yiftach, une petite unité d’anciens combattants, de designers industriels et d’ingénieurs qui développent des armes et des solutions spéciales. Il a également mis a profit toute son expérience professionnelle dans la décoration intérieure d’hôtels, la menuiserie, les voitures et les motos personnalisées et chez Bio, son entreprise de construction de petites maisons, pour l’a transformée la semaine dernière en un nouveau type de gilet tactique pour les soldats combattants.
En plus d’être aussi très beau, ce gilet est dit-il « le plus confortable qu’il n’ait jamais porté ».
« On dirait involontairement que c’est Gucci qui l’a fabriquée », a osé Zechovoy.
Au milieu de la semaine dernière, Zechovoy et ses partenaires de Havie, un studio de design situé à proximité, avaient mis sur pied un atelier complet composé de volontaires, de concepteurs industriels et d’autres personnes ayant l’expérience de la fabrication de ce type d’équipement pour les unités d’élite.
Les soldats enrôlés disposent de l’équipement dont ils ont besoin, mais ce n’est pas toujours le cas des combattants de réserve, qui reçoivent souvent un équipement qui n’est pas fait sur mesure. Sur le champ de bataille, « le confort est essentiel », explique Zechovoy. « Si vous devez sortir une arme ou une grenade, vous devez le faire rapidement. C’est aussi important que d’avoir le bon type de costume lorsque vous vous mariez. »
La plupart des soldats personnalisent leur propre gilet, mais c’est un processus qui prend du temps. Il doit y avoir de petites poches pour les cartes, les grenades, les phares, les radios – « chaque personne aime avoir son équipement sur elle », explique-t-il. « Il devrait être modulable. »
Zechovoy, qui a été officiellement libéré du service de réserve il y a plusieurs années, n’a pas décollé des informations durant les deux premiers jours de la guerre, essayant de comprendre ce qui se passait et sachant que certains de ses amis proches se trouvaient dans le sud, en train de combattre les terroristes.
Il a passé une autre journée frustrante à essayer de se porter volontaire, ce qui l’a amené à recevoir un vieux fusil en mauvais état, couvert de sang, et un équipement de mauvaise qualité pour conduire une patrouille à Ashkelon, une ville du sud qui a été durement touchée par des tirs de roquettes et qui a connu une incursion terroriste au cours du deuxième jour de la guerre.
« Ils m’ont donné des équipements qui avaient l’air d’avoir 50 ans », a déclaré Zechovoy. L’armée m’a appris que lorsque vous recevez votre équipement, vous devez l’adapter pour qu’il vous serve. »
Il a pensé aux caractéristiques de son ancienne unité, qui consiste à trouver des solutions rapides à des problèmes immédiats.
Zechovoy s’est associé à Havie, ses voisins de Jaffa, et ils sont désormais en contact avec plusieurs unités d’élite et leur demandent ce dont ils ont besoin pour les secouristes et les soldats et le mettant rapidement en place dans l’atelier.
L’entrepreneur en design utilise également ses connaissances en matière de petites maisons pour construire un atelier de couture mobile à l’intérieur d’une camionnette 4×4 mise à disposition par un ami. Il prévoit de le stationner dans le sud pour réparer ce dont les troupes ont besoin avant de se rendre à Gaza.
« Si demain on m’appelle pour construire un avion, je ferai ce que je peux », a-t-il promis.
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