Golda Meir, Première ministre, amie de Ben Gurion et l’amante de David Remez
Une femme forte, qui a participé à la création de l'État, la matriarche d'Israël... Francien Klagsbrun propose une nouvelle perspective sur la vie de l'ex-chef du gouvernement

Le 24 septembre 1969, près de 5 000 Juifs américains enthousiastes attendaient à l’aéroport international de Philadelphie, pour accueillir la première femme Premier ministre d’Israël Golda Meir.
Cette visite d’état était à la fois personnelle et nostalgique.
Après tout, Meir était en partie américaine. Née Golda Mabovitch, le 3 mai 1898, à Kiev en Ukraine, l’immigrée européenne a vécu à Milwaukee, dans le Wisconsin, quand elle avait onze ans, puis s’est installée en Palestine mandataire avec Morris Myerson, son mari, à l’âge adulte, en 1921. Elle dédiera sa vie au sionisme et à la politique socialiste.
L’auteur et journaliste new-yorkaise Francine Klagsburn a expliqué que jusqu’à sa visite officielle en 1969, aucun Premier ministre israélien entrant aux États-Unis n’avait été accueilli avec tant d’enthousiasme, d’adoration et de respect par la communauté juive.
« Golda était une personne très charismatique, qui comprenait l’Amérique parce qu’elle y avait grandi », a expliqué Klagsbrun, chroniqueuse au Boston Globe, au New York Times, au Jewish Week et au Newsweek.

Klagsbrun a récemment publié Lioness : Golda Meir and the Nation of Israel, une biographie complète de la Premier ministre, sur 700 pages. « Elle savait comment atteindre le cœur de chaque Juif américain, et venait constamment en Amérique pour ramasser de l’argent », dit-elle.
« En 1948, David Ben Gurion savait que les pays arabes allaient envahir Israël », a ajouté Klagsbrun. « Et c’est pour cela, à la recherche d’armements qu’il a envoyé Golda aux États-Unis, où elle a récolté 55 millions de dollars. »
Golda, comme la presse l’appelait affectueusement, aussi bien en Israël qu’aux États-Unis, avait une côte de popularité dans les sondages qui frôlait les 90 %, quand elle est devenue Première ministre en 1969. Cependant, Meir a été contrainte de démissionner après la guerre de Kippour en 1973.
Israël avait été surpris par cette guerre, et Meir et son gouvernement travailliste ont été tenus pour responsables du manque de préparation militaire du pays ayant eu pour conséquence un bilan élevé du côté israélien.

Mais la guerre de Kippour ne définit pas, et ne devrait pas définir, la carrière politique de Meir, affirme sa biographe. « Le patrimoine de Golda, c’est son intégrité, son dur labeur et sa dévotion à l’État et au peuple d’Israël.
« Golda n’avait pas le bagage intellectuel que d’autres [dirigeants israéliens] avaient », explique Klagsbrun. « Son hébreu n’était pas terrible, et elle n’était pas familière avec la philosophie juive et le Talmud. Mais elle était une oratrice très efficace, une politicienne brillante, et une femme du peuple, ce qui était très utile pour l’État [d’Israël]. »
Klagsbrun est clairement passionnée par le sujet, mais n’a aucun scrupule à montrer du doigt les nombreux défauts de Meir.
« Le problème avec la réussite de Golda, et ce qu’elle a réussi au cours de sa carrière politique, était que cela n’a pas rejailli sur les autres femmes en Israël », estime Klagsbrun. « Elle ne s’est pas démenée pour aider les autres femmes, elle n’était pas une personne avec qui il était facile de travailler, elle pouvait être cruelle envers les gens qu’elle n’aimait pas, et elle ne comprenait pas les Palestiniens. »

Klagsbrun consacre des détails considérables à ce dernier point de sa biographie.
De manière spécifique, l’auteur souligne une interview publiée dans le Sunday Times donnée au mois de juin 1969 dans laquelle le journaliste britannique Frank Giles demande à Meir si elle pense que l’émergence des forces de combat palestiniennes est un facteur important au Moyen-Orient.
La réponse de Meir est brusque. « Ce n’est pas comme s’il existait un peuple palestinien, que les Juifs étaient venus expulser et qu’ils leur avaient pris leur pays. Ils [les Palestiniens] n’existaient pas », avait répondu Meir au journaliste.
« Golda ne comprenait pas du tout le nationalisme palestinien », explique Klagsbrun.
Des documents déclassifiés offrent un nouveau regard
Il y a eu un certain nombre de biographies écrites en hébreu et en anglais sur la vie de Meir à ce jour. Aucun livre n’est toutefois au même niveau de détails que celui-ci.
Klagsbrun a entrepris la tâche énorme de l’écriture d’une biographie aussi étendue et complète sur Meir parce qu’un certain nombre d’archives essentielles à son sujet ont été déclassifiées.
Les recherches méticuleuses effectuées par Klagsbrun l’ont emmenée dans un certain nombre de pays, où elle a étudié plus de mille documents, transcriptions d’entretiens téléphoniques et comptes-rendus de réunions gouvernementales américaines, israéliennes, britanniques et russes.
Toutes les réunions historiquement pertinentes avec – ou impliquant – Meir ont été inscrites sur papier.

Un enregistrement historique crucial manquant des archives concernait une réunion capitale entre Meir et le président américain Richard Nixon le 25 septembre 1969, conduite sur la pelouse de la Maison Blanche pour garantir qu’aucun espion ou informateur potentiels ne puissent entendre ou documenter cette conversation.
A titre privé, Nixon était – de manière notoire – un antisémite. Mais il était désireux de créer des liens étroits avec Israël en raison de sa localisation stratégique au Moyen-Orient.
Cela a été particulièrement vrai durant la période tumultueuse de la Guerre froide, à la fin des années 1960, lorsque quelques pays arabes de la région se sont tournés vers le communisme et d’autres vers le panarabisme, deux choix bien éloignés de l’ordre du monde occidental dirigé par les Américains.
Les deux leaders se trouvaient ostensiblement là pour débattre des besoins économiques et militaires d’Israël.
Mais Klagsbrun affirme qu’il y a dorénavant des preuves significatives apportées par les notes de Henry Kissinger — alors secrétaire d’Etat et conseiller à la sécurité nationale de Nixon – qui confirment que Meir « a dit au président Nixon qu’Israël possédait l’arme nucléaire ».

La politique israélienne en termes d’arme nucléaire – qui, selon les services de renseignement étrangers, aurait commencé en secret dans les années 1950 – est qualifiée « d’opaque », ce qui est un euphémisme. A la base, explique Klagsbrun, la politique était de ni confirmer ni infirmer la possession présumée par l’Etat juif de l’arme nucléaire. Israël maintient aujourd’hui ce positionnement ambigu.
« L’attitude de Golda, dès les tout débuts, était qu’Israël devait laisser entrevoir aux Etats-Unis que le pays possédait l’arme nucléaire », dit l’auteur. « Dans les réunions de cabinet, par exemple, elle évoquait toujours la nécessité d’être ouvert sur ce sujet. Elle ne voulait pas le développement des armes nucléaires en premier lieu. Lorsqu’il y en a eu, elle les a acceptées. Mais elle a voulu au moins révéler aux Etats-Unis quelle était la situation ».
Israël avait clairement choisi ses alliés dans la Guerre froide lorsque Meir a prétendument confessé à Nixon les capacités nucléaires présumées d’Israël en 1969. Mais c’était à un moment où les inclinaisons idéologiques n’étaient pas aussi clairement déterminées, comme le livre aime le souligner. Meir a toujours été une socialiste engagée, quoique quelque peu naïve.
Dans un chapitre, Klagsbrun rappelle que Meir, à une occasion, s’était référée à la période de « lune de miel » qu’avait connu l’Etat juif avec l’Union soviétique.

Au mois de septembre 1948, Meir avait commencé à servir au poste d’ambassadrice israélienne en Union soviétique. Les journaux russes Izvestia et Pravda avaient détaillé son arrivée avec effervescence à ce moment-là et en particulier sa tentative de présenter Israël comme une petite nation pionnière, vivant simplement conformément aux idéaux socialistes.
Klagsbrun explique que Meir n’avait pas pleinement saisi les distinctions considérées de Staline à propos de la relation existant entre Israël et l’Union soviétique et celle entretenue par la communauté juive soviétique avec le petit état.
Staline voulait que les Juifs soviétiques soient seulement fidèles à la mère Russie. Je ne pense pas que Golda, ou les autres Israéliens, aient très bien compris cette distinction », explique l’auteure.
« Cela n’a pas été le cas non plus des délégués israéliens qui n’ont pas compris combien l’Union soviétique était secrète. Ils étaient observés et enregistrés à chaque fois qu’ils allaient là-bas », ajoute-t-elle.
Une femme pionnière dans une société pionnière
La politique d’Israël était dominée par une culture patriarcale, au cours de ses premières années d’existence, à mesure que l’État se formait et évoluait. La responsabilité et le prestige dont a bénéficié Meir à ce moment là n’était pas la règle mais bien l’exception pour les femmes au sein de l’Etat naissant.
Selon Klagsbrun, c’est au père fondateur et premier Premier ministre d’Israël, David Ben Gurion, que devrait revenir le mérite de la décision d’intégrer une femme en politique, notamment à une époque où la présence féminine n’était pas monnaie courante dans les cercles politiques, en Israël ou ailleurs.
En mars 1948, après que Meir a récolté une somme d’argent considérable aux États-Unis afin d’acheter des armes pour le futur État, Ben Gurion affirmait à Golda Meir qu’un « jour, quand l’Histoire sera écrite, on y racontera qu’il y avait une femme juive ayant obtenu les fonds pour faire de ce pays une réalité ».
Ce même mois de mars, Ben Gurion a assuré à nombre de ses collègues du parti du Mapai qu’il est « essentiel d’avoir des femmes au gouvernement ».
« Golda était très proche de Ben Gurion », explique Klagsbrun.
Néanmoins, il leur arrivait de ne pas être d’accord.

« Leur point de discorde était l’Allemagne », analyse Klagsbrun. « Ben Gurion était très tolérant, et probablement à juste titre, au sujet de ce qu’il appelait la nouvelle Allemagne après la Shoah. Il considérait l’Allemagne comme un soutien financier pour Israël. Golda suivait, mais en son for intérieur, elle n’était pas emballée. » Comme beaucoup de juifs du Yishouv.
« Golda ressentait qu’Israël était composé de survivants de la Shoah, et que Ben Gurion n’y était pas très sensible », a ajouté Klagsbrun.
Ils divergeaient également au sujet de l’affaire Lavon, en 1954, quand 11 jeunes juifs égyptiens ont saboté des opérations en Égypte afin de créer le chaos et contraindre la Grande-Bretagne à garder le contrôle du canal de Suez.
Le Premier ministre de l’époque, Moshe Sharett, et le ministre de la Défense Pinhas Lavon avaient nié avoir connaissance de l’opération, mais Binyamin Gibli, qui était à la tête du renseignement militaire, a affirmé qu’il avait donné les ordres, de la part de Lavon en personne.
« Ben Gurion aurait voulu traduire Lavon en justice », a expliqué Klagsbrun, « et les autres ministres, dont Golda, bien qu’ils n’eussent pas particulièrement affectionné Lavon, voulaient juste classer cette affaire. »
« C’est devenu toute une histoire quand Ben Gurion est devenu obsédé par l’idée d’une commission judiciaire », a poursuivi Klagsbrun. « Golda voulait avancer et accepter l’appel de la commission ministérielle pour innocenter Lavon. C’est devenu un sujet de discorde entre eux, et c’est ce qui a mis fin à la relation [politique]. »
« Cependant, ils ont fini par se réconcilier », ajoute Klagsbrun. « Et quoi qu’il se passait entre eux, Golda disait toujours que Ben Gurion était le vrai responsable de la création de l’État d’Israël, elle lui vouait un respect et un amour profond. »
Focus sur sa vie privée
Le livre de Klagsbrun ne se focalise pas uniquement sur la vie politique de Meir. La biographe s’est également penchée sur la vie personnelle – haute en couleurs et assez peu conventionnelle – de l’ancienne Première ministre, et notamment des difficultés qu’elle a rencontrées pour concilier vie politique et vie familiale.
Elle a eu du mal à trouver un équilibre entre les deux mondes. Sa relation avec son mari, Morris Myerson est devenue, selon Klagsbrun, assez pragmatique, perdant une dimension physique ou affective.
Meir avait écrit un essai intitulé « Borrowed Mothers », dans lequel elle avait évoqué ses « luttes internes et ses désespoirs de mère partant au travail, qui sont sans équivalent dans l’expérience de la vie ».
Souvent, avec l’aide de Morris, et d’autres proches qui mettaient la main à la pâte, Meir laissait ses enfants en bas âge pendant plusieurs mois, pour dédier sa vie au sionisme et à la politique socialiste.
« Les enfants lui en voulaient, mais en grandissant, ils ont été fiers d’elle », a expliqué Klagsbrun.

Bien que Morris et Golda n’aient jamais officiellement divorcé, leur mariage était sur la fin bien avant qu’il ne décède, en 1951. Klagsbrun affirme que des rumeurs apparaissaient régulièrement, au sujet des liaisons qu’auraient entretenues Meir avec des membres du parti Mapai, entre autres. Elle aurait même eu une histoire avec un arabe palestinien aristocrate.
Mais c’était avec David Remez, le premier ministre des Transports, et signataire de la déclaration d’Indépendance, avec qui Meir a établi des relations physiques et émotionnelles.
Le livre de Klagsbrun reprend des lettres intimes, rédigées en hébreu et truffées de langages codées, entre les deux amants, pour éviter d’être surpris par leurs conjoints respectifs.
« Je pense que David Remez, avec qui Golda avait une liaison, était le véritable amour de sa vie », affirme Klagsbrun.
« J’ai aussi eu l’impression qu’elle avait eu une liaison avec Harry Morgenthau, directeur de l’Appel Juif Unifié [et ancien secrétaire du Trésor aux États-Unis], avec qui elle a travaillé en étroite collaboration pour récolter des fonds aux États-Unis », a-t-elle dit.
« [Je pense] qu’il y avait d’autres hommes avec qui elle a entretenu des liaisons, mais je n’ai pas pu trouver de documents permettant de le prouver », a conclu Klagsbrun. « C’était une femme en avance sur son temps, dans ce domaine. Elle cherchait à profiter au maximum de la vie. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel