La grand-mère juive iranienne qui entend nourrir toute l’armée israélienne
Membre d'une célèbre famille juive de Téhéran, « Chicki » Elghanian, 84 ans, originaire de New York, prépare 300 repas par jour et prie pour la fin de l'actuel régime iranien
Cet appartement chic de la ville d’Herzliya, qui surplombe la Méditerranée, est depuis quelque temps envahi de cartons, de vivres, de caddies et bien d’autres choses encore.
Tout ce désordre bouche la vue – imprenable – sur le port, tandis que le délicieux fumet des petits plats maison se répand partout et qu’une dizaine de bénévoles s’active en cuisine, hache, cuit et rissole.
Ce chaos est administré avec beaucoup de douceur par la propriétaire de l’appartement, Shekoufeh « Chicki » Elghanian, vive et élégante veuve de 84 ans qui a fait son alyah en septembre dernier. Depuis l’attaque sans précédent du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, qui a donné lieu à l’actuelle guerre entre Israël et le Hamas, Elghanian prépare depuis chez elle des petits plats pour les soldats sans montrer le moindre signe de lassitude.
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Son appartement a aujourd’hui tout de la cuisine solidaire, du centre social ou de l’entrepôt de marchandises, à tel point que, dans la chambre d’amis, le climatiseur est réglé au plus froid afin de servir de réfrigérateur. Sa décoratrice d’intérieur italienne aurait « une crise cardiaque » si elle voyait l’appartement en ce moment, dit-elle en haussant les épaules.
Née à Téhéran au sein d’une famille juive influente et très en vue, elle a émigré aux Etats-Unis avec toute sa famille en 1947, à l’âge de six ans. Ils se sont installés à New York, où elle a grandi. Jusqu’à la révolution islamique de 1979, qui a eu pour conséquence la confiscation des entreprises de la famille et l’exécution de son oncle, l’homme d’affaires Habib Elghanian, chef de facto de la communauté juive, ils se rendaient régulièrement en Iran.
Cette mondaine calme et affectueuse parle couramment le farsi, l’anglais, l’italien et le français. Mère de quatre enfants et grand-mère/arrière-grand-mère de 48 petits-enfants et arrière petits-enfants (avec deux autres en route), elle fait une pause autour d’un café avec le Times of Israël.
« Le 7 octobre, lorsque je suis rentrée de la synagogue – j’avais laissé mes deux téléphones sur la table -, mon fils m’avait laissé 10 messages. Nous avons compris que la guerre était déclarée. Mes enfants me disaient de verrouiller toutes les portes et de rester chez moi », explique Elghanian.
Mais elle n’a pas vu les choses ainsi. « Après ce Shabbat, j’ai pris mon sac à main et mon déambulateur et j’ai foncé au supermarché. Le soir même, j’ai fait parvenir des vivres aux soldats grâce aux amis de mon petit-fils. C’était incroyable, ils étaient tellement heureux », dit-elle.
C’est ainsi qu’Elghanian a commencé à cuisiner et envoyer des petits plats tous les jours aux unités de Tsahal dont elle avait entendu parler par ses proches. Grâce au bouche-à-oreille, elle a réuni une équipe de bénévoles de tous âges et horizons et désormais, tous les jours ou presque, 10 à 15 personnes viennent cuisiner et conditionner les repas. Un bénévole très dévoué s’occupe de trouver des chauffeurs et d’organiser les livraisons, et toute cette équipe prépare 300 à 400 repas chaque jour – le double le jeudi, avant le Shabbat.
Elghanian reçoit souvent des appels de personnes désireuses de donner de leur temps, et nombreuses sont les entreprises qui ont mis des employés à disposition pour venir cuisiner pendant un jour ou deux, dit-elle. Un jour, il y a de cela quelques semaines, on a frappé à sa porte : c’était le maire d’Herzliya, Moshe Fadlon, qui avait entendu parler de « sa cuisine » et était venu lui remettre les clés de la ville et une plaque.
Ces bénévoles, qui font désormais partie intégrante de la vie d’Elghanian, « ont un grand cœur, ils se sentent très concernés. Je suis très heureuse, vous ne pouvez pas imaginer. Pour moi, c’est un cadeau, c’est un grand privilège d’avoir tous ces anges du ciel », confie-t-elle.
Lors de l’attaque planifiée du 7 octobre 2023, 3 000 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël sous une pluie de roquettes. Plus de 1 200 personnes, pour la plupart des civils, ont été brutalement assassinées, et 240 environ ont été kidnappées et emmenées à Gaza, sans oublier les atrocités perpétrées par les terroristes.
En conséquence, Israël a déclaré la guerre au Hamas, mobilisé un nombre sans précédent de réservistes et mené d’intenses opérations qui ne montrent pas de signes d’essoufflement. Depuis le 7 octobre, Israël a connu une incroyable mobilisation de bénévoles civils, notamment pour soutenir le moral des troupes en leur livrant de bons petits plats. Certains ont depuis réduit leur activité : pas Elghanian.
Lors de la visite du Times of Israël, ce jeudi, le menu du jour était typiquement israélien : mujadara (riz et lentilles), poulet et pommes de terre rôtis, des pâtes avec une sauce à la viande, des salades, du harif (sauce chili épicée), des gâteaux et bien d’autres choses encore. Tout est strictement casher, et Elghanian surveille la préparation dans ses moindres détails.
« Je veux que les soldats gardent le moral, que cela leur rappelle un peu la maison. Que les parfums de ces plats leur rappellent la cuisine de leur mère. C’est ce qui me motive. Plus je donne, plus je reçois. Les soldats prennent mon numéro, m’appellent, ils sont un peu comme mes enfants », dit-elle, montrant les dizaines de vidéos de remerciement que les soldats lui ont envoyées.
Elghanian finance absolument tout elle-même. « C’est mon héritage que je dépense », ironise-t-elle, ajoutant qu’elle a « déjà pris soin de mes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ».
Cela représente des frais considérables, et récemment, un de ses petits-fils, entrepreneur aux États-Unis, a mis en place une collecte de dons pour la soutenir via une maison Habad du New Jersey.
Une guerre très personnelle
La conversation en vient à sa vie et son identité de juive iranienne. « C’est comme si c’était hier, je me souviens de tout », dit-elle à propos de son enfance en Iran. Dans les années 1940, lorsque l’entreprise de son père a été menacée par les menées du gouvernement en faveur du communisme et de la nationalisation des entreprises, sa famille proche a quitté le pays.
Partir vivre à New York a été un choc, et elle se souvient que sa mère, qui « avait toujours eu cinq ou six femmes de chambre et un majordome », avait non seulement dû apprendre une nouvelle langue, mais aussi à cuisiner, faire le ménage et les courses.
Malgré ses origines sociales, elle fréquente une école publique très ordinaire à Forest Hills. « Je ne veux pas trop te gâter », lui disait son père qui, grâce à ses affaires, est parvenu à améliorer la situation financière de la famille.
Elle s’est mariée à 20 ans et a eu quatre enfants, dont deux sont religieux et vivent en Israël, ce qui l’a motivée à faire son alyah après des années d’allers-retours entre les deux pays. Aux États-Unis, elle possédait une entreprise de bijoux, qu’elle dirigeait avec l’un de ses fils, sans jamais oublier de consacrer du temps à ses enfants ou aux malades.
Ses origines perses ont été très présentes tout au long de sa vie, mais tout a changé en 1979 lorsque les ayatollahs sont arrivés au pouvoir. L’exécution de son oncle Habib Elghanian, quelques mois seulement après le début de la Révolution islamique, a fait la une des journaux du monde entier. A ce moment précis, nombreux sont les Juifs iraniens à avoir fui le pays.
Sa mort a été « une tragédie, c’était quelqu’un de très influent », se souvient-elle, se souvenant que son père est presque mort en apprenant le décès de son frère.
En raison de son histoire familiale, Elghanian considère l’actuel régime islamique iranien comme son ennemi et voit dans la guerre menée par Israël contre le Hamas, organisation grandement financée par les autorités iraniennes, une sorte d’extension « très directe » de cette lutte.
« J’ai encore de la famille en Iran, des amis… Cela me fait de la peine de savoir qu’ils souffrent. Ce régime est horrible. Elle évoque des dirigeants iraniens « stupides et ignorants », malheureusement « au pouvoir… Ils devraient tous être fusillés par un peloton d’exécution. Je me ferais un plaisir d’appuyer sur la gâchette. »
Certains soldats qu’elle a nourris lui ont dit il y a peu qu’ils lui rendaient hommage d’une manière absolument unique : « J’ai une roquette à mon nom, sur laquelle est écrit ‘L’armée israélienne aime Chicki’ », dit Elghanian en souriant.
« J’aimerais pouvoir l’envoyer directement à tous les mollahs, pour les faire disparaître de la surface de la Terre. Croyez-moi. Ils ont fusillé mon oncle, alors qu’il n’avait absolument rien fait de mal. Ils l’ont traité d’espion pour Israël… Ils ont tout détruit », dit-elle avec fermeté.
Regardant par la fenêtre avant de retourner cuisiner, elle aperçoit un hélicoptère de Tsahal qui survole la Méditerranée, mettant le cap au sud.
« Oh mon Dieu, ils vont à Gaza », dit Elghanian, qui s’interrompt pour murmurer une prière pour leur sécurité.
« Je prie pour eux parce que je m’inquiète. Je me couche à deux heures du matin et je me réveille à quatre ou cinq heures, comme un soldat. Je ne sais pas comment je vais survivre, mais ce n’est pas grave, ça ne me dérange pas. J’ai à cœur de faire de mon mieux, et je remercie Dieu pour chaque jour de plus. »
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