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'La vérité est dispersée dans toute sorte de poussière'

L’ordre du jour : comment les industriels ont choisi Hitler

Le nazisme s'effondrera mais, rappelle Eric Vuillard, BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken "sont là, parmi nous, entre nous"

L'écrivaint Eric Vuillard pose avoir son livre après avoir reçu le Prix Goncourt pour L'Ordre du Jour, le 6 novembre2017 au restaurant Drouant à Paris. (Crédit : AFP / Eric FEFERBERG)
L'écrivaint Eric Vuillard pose avoir son livre après avoir reçu le Prix Goncourt pour L'Ordre du Jour, le 6 novembre2017 au restaurant Drouant à Paris. (Crédit : AFP / Eric FEFERBERG)

L’ordre du jour d’Éric Vuillard, qui a décroché lundi le Goncourt, est un récit saisissant sur l’arrivée au pouvoir d’Hitler, l’Anschluss et le soutien sans faille des industriels allemands à la machine de guerre nazie.

L’écrivain lyonnais de 49 ans a une façon unique de se glisser dans les coulisses de l’Histoire pour donner à ses lecteurs une autre grille de lecture d’événements a priori archi connus.

Après la chute de l’empire Inca (Conquistadors, 2009), la conquête coloniale (Congo, 2012) et la Révolution française (14 juillet, 2016), L’ordre du jour est l’occasion de revisiter l’arrivée au pouvoir des nazis.

Le 20 février 1933, un mois avant les élections générales, une réunion secrète se tient à Berlin autour d’Hermann Goering et du nouveau chancelier allemand Adolf Hitler.

Adolf Hitler et Hermann Göring au balcon de la Chancellerie, à Berlin, le 16 mars 1938. (Crédit : Bundesarchiv, Bild/Wikipedia)

Elle réunit « le nirvana de l’industrie et de la finance ». « Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet », raconte Éric Vuillard.

Parmi ces vingt-quatre, Gustav Krupp, Wilhelm von Opel, le patron de Siemens, d’IG Farben… Avec Éric Vuillard, nous sommes dans ce salon à Berlin et aujourd’hui, en 2017.

« A présent, Opel est bien plus vieille que de nombreux États, plus vieille que le Liban, plus vieille que l’Allemagne même… », écrit-il. Ces industriels vont donner aux nazis tout l’argent qu’ils réclament pour les élections. Si les nazis l’emportent, « ces élections seront les dernières pour les dix prochaines années et même pour cent ans », dit Goering dans un éclat de rire sans provoquer l’effroi.

Le nazisme s’effondrera mais, rappelle Vuillard, BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken « sont là, parmi nous, entre nous ». « Tous survivront au régime et financeront à l’avenir bien des partis à proportion de leur performance ».

Aujourd’hui encore, « notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent (…) Ces noms existent encore. Leurs fortunes sont immenses ».

Orfèvre en écriture

On pense évidemment en lisant Vuillard au mythe terrible de Faust.

Les nazis installés solidement au pouvoir, il y aura d’autres réunions où nous introduit Vuillard le passe-partout. En novembre 1937 après l’annexion de la Sarre, la remilitarisation de la Rhénanie, Hitler reçoit le Britannique Lord Halifax. Le vieil aristocrate britannique est fasciné par ses hôtes. « Pour ce qui est des idées (des nazis), il n’est pas bégueule Halifax », écrit méchamment Vuillard.

L’écrivain est d’une ironie acide lorsqu’il raconte les rencontres en 1938 entre Hitler et Kurt Schuschnigg, « le petit dictateur autrichien » qui ne voit pas venir l’Anschluss. La description du repas mondain qui a lieu à Downing Street le jour où les soldats allemands envahissent l’Autriche ressemble à un vaudeville atroce.

Cette invasion, rappelle au passage Vuillard, présentée comme une promenade de santé par la propagande nazie, a failli en fait tourner au fiasco : quasiment tous les chars nazis sont tombés en panne à peine la frontière autrichienne franchie.

 » ‘L’ordre du jour’ montre qu’un groupe d’hommes, pas très nombreux, peut arriver, par l’intimidation, en comptant sur la veulerie des autres, le bluff et la brutalité, à circonvenir un pays et à déclencher plus tard une catastrophe mondiale », a résumé Bernard Pivot.

La fin du récit sonne comme une mise en garde pour le temps présent. « On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d’effroi ».

Le président de l’académie Goncourt, Bernard Pivot, a reconnu avoir été impressionné par ce texte d’une écriture à la fois simple et sidérante. « Le livre est une leçon de littérature par son écriture et une leçon de morale politique », a-t-il reconnu.

Orfèvre en écriture, Éric Vuillard a choisi de raconter l’Histoire en insistant sur les détails. « La vérité est dispersée dans toute sorte de poussière », écrit-il. En 160 pages, l’écrivain au regard implacable – rien n’est inventé, tout est vrai – embrasse de façon magistrale cette tragédie européenne du XXe siècle.

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