« On dit aux enfants de faire attention » : À Paris, la communauté juive dit sa peur
Les Juifs de France restent traumatisés par les attentats de 2015 à Paris (4 morts au supermarché Hyper Cacher) et de 2012 à Toulouse (4 morts devant l'école juive Ozar Hatorah)

Certains préfèrent retirer leur kippa dans la rue, d’autres font état d’insultes : à Paris, des Juifs disent leur désarroi face à l’antisémitisme qu’ils voient progresser depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre.
Près de la Place des Fêtes, dans le 19e arrondissement où vit une forte communauté juive, Jacques Isaac Azeroual voit depuis le 7 octobre « moitié moins de monde » dans sa boucherie casher. « Les gens sont démoralisés, ils ont peur de sortir faire leurs courses », affirme cet homme de 67 ans, qui tire désormais le rideau une heure plus tôt par craintes des agressions.
S’il porte la kippa dans sa boutique, « maintenant, je sors avec une casquette ». « Avec tous les événements qui se passent maintenant, j’ai envie de m’arrêter », ajoute-t-il, dans un contexte de tensions à travers le monde liées au conflit entre Israël et le groupe terroriste du Hamas.
Une cliente, qui préfère rester anonyme, témoigne de cette « peur de sortir » qui la fait s’enfermer dans son cabinet d’opticienne à 17h30 : « On n’est pas rassurés, on a la trouille qu’ils rentrent comme des malades, qu’ils nous canardent, qu’ils nous tuent », ajoute-t-elle.
La communauté juive reste traumatisée par les attentats de 2015 à Paris (4 morts – Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab – au supermarché Hyper Cacher) et de 2012 à Toulouse.
Le 19 mars 2012, Mohammed Merah avait tué par balles l’enseignant juif Jonathan Sandler et deux de ses enfants, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans, ainsi q’une autre petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo dans le collège-lycée Ozar Hatorah, à Toulouse, après avoir abattu Imad Ibn Ziaten, Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad et Abel Chennouf à Toulouse et à Montauban les jours précédents.
« On est sous pression, on dit aux enfants de faire attention et de rentrer tôt », assure Laurent Chicha, âgé d’une cinquantaine d’années.

Depuis le 7 octobre, date de l’attaque sans précédent lancée par le Hamas en Israël, 819 actes antisémites ont été enregistrés en France et ont donné lieu à 414 interpellations, selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Le Times of Israël est déjà revenu en détails à plusieurs reprises sur un certain nombre de ces actes.
Ces chiffres équivalent à « une ou deux années d’actes antisémites », selon le président du Crif Yonathan Arfi, qui déplore « une accélération du phénomène extrêmement puissante ».
« Ce n’est pas l’indignation par rapport aux images de Gaza qui a servi de déclencheur : les actes antisémites ont commencé dès le 7 octobre, avant même la riposte israélienne », affirme-t-il.
Le phénomène avait déjà été perceptible en 2012, explique-t-il. « L’antisémitisme, une fois qu’il apparaît, déclenche mécaniquement un effet d’entraînement, décomplexé par la violence initiale ».
Le phénomène se double ici d’une identification à la cause palestinienne « qui produit des passages à l’acte », ajoute M. Arfi.
Sur X (ex-Twitter), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) relate elle aussi les actes antisémites qui lui remontent : « Sarah sort de cours. Aux toilettes du 14e étage de Tolbiac, il y a écrit ‘Mort aux Juifs' », ou encore : « Dans un Uber, Samuel parle du conflit. Il s’inquiète de l’avenir des Juifs dans les universités. Le chauffeur s’arrête (…) Il demande à Samuel de descendre. »
#AntisemitismeQuotidien
584 signalements d’actes antisémites en France depuis le 7 octobre. Ce n’est pas un chiffre mais une réalité subie par des individus. Les prénoms ont été changés mais les histoires sont réelles. Pour dénoncer l’antisémitisme, toi aussi témoigne !— UEJF (@uejf) October 24, 2023
Parmi les incidents recensés, on trouve « beaucoup d’atteintes aux personnes de faible intensité, des insultes, des menaces », affirme Samuel Lejoyeux, le président de l’UEJF, qui voit là un « antisémitisme d’atmosphère ».
« S’il y avait des émeutes dans les quartiers populaires, ce serait dramatique. Pour le moment, ce n’est pas le cas », ajoute-t-il, rappelant qu’en 2014, lors d’une précédente flambée du conflit israélo-palestinien, des magasins avaient été pris pour cible à Sarcelles (Val d’Oise), où vit une importante communauté juive.
On est également loin de scènes comparables à l’assaut d’un aéroport, dimanche au Daguestan, par une foule hostile à Israël. Mais pour Yonathan Arfi, « la passion antisémite traverse une nouvelle fois l’Histoire et la géographie ».
Selon un sondage commandé par le Crif à l’Ifop, 82 % des Français craignent que le conflit israélo-palestinien ait des répercussions en France.
À Paris, près de la Place des Fêtes, le patron d’un bazar, qui refuse de donner son nom, est fataliste : « Tout à l’heure, on nous a traités de sales juifs, mais c’est un classique. »
Deux jeunes ont alors été emmenés au commissariat, ajoute-t-il, avant de philosopher sur le sens de la vie : « On sait bien qu’on a une heure d’arrivée et une heure de départ. »