Quand les mariages des juifs de France se délocalisent…
Les cérémonies de mariage de Français en Israël ne cessent d'augmenter. Avec quelles conséquences pour les deux pays ?

Aujourd’hui, aisés ou non, de plus en plus de couples de Français cèdent aux sirènes du mariage dans leur pays de cœur, là où les houppas [dais nuptial] dominent la mer et où, pour le prix d’une seule soirée parisienne, on peut s’offrir henné [cérémonie orientale qui a lieu normalement une semaine avant le mariage religieux pour les mariés originaires d’Afrique du Nord. Le mot provient du terme ‘Hen’ qui veut dire ‘trouver grâce’ en hébreu], mariage et beach party… Pourquoi se priver ?
« En Israël, les salles sont modernes, il fait beau, le décor est sublime et, surtout, la Cala [mariée] est traitée comme une princesse, résume Eden, qui s’est mariée en août dernier à Ashdod, dans le sud d’Israël. En plus tout est moins cher… A Paris, simplement pour ajouter les paroles de Boi cala sur la mélodie pour accompagner mon entrée dans la synagogue, on me demandait 200 euros ! »
Moins cher, plus festif, assez loin pour opérer un filtre naturel entre les invités auxquels on tient et les autres, les atouts des mariages en Israël ne manquent donc pas pour les juifs français.
Parmi les quelque 1 700 couples qui décident de s’engager chaque année, 17 % environ préfèrent désormais s’exiler de l’autre côté de la Méditerranée le temps d’une semaine et d’un serment. C’est beaucoup… Et la tendance ne cesse d’augmenter.
Assez pour bousculer l’équilibre économique du marché entre les deux pays et perturber la santé financière de nombreux prestataires à Paris, Marseille, Bordeaux ou Strasbourg.
« Une semaine de fêtes en Israël peut coûter 100 000 euros pour un public qui a de l’argent. Et pour la seule soirée de mariage, 50 000 euros, affirme Emmanuel Richter, directeur général de l’agence d’organisation de mariage Just Perfect, installée à Tel Aviv qui, devant l’affluence de demandes, a même créé une seconde agence, Even’t For You, pour des budgets moins élevés.
« A Paris, un repas chez un traiteur correct revient à environ 100 euros par invité. En Israël, pour 90 euros par personne, on peut avoir le repas, la salle, et parfois même le DJ, le photographe ou la houppa », résume Eden la jeune mariée qui a vite fait les comptes.
L’Ile-de-France souffre bien sûr particulièrement de la situation. En 2015, pour 900 mariages qui y étaient célébrés, 160 couples partaient s’unir en Israël, soit 20 de plus qu’en 2014.
De plus en plus, avec les alyah, les familles sont déjà en partie sur place et la décision de se marier loin de son lieu de résidence s’avère parfois plus facile.
« Bien sûr que les traiteurs français tirent la langue ! Entre les mariages en Israël et les départs, notre situation devient très difficile », soupire David Levy, directeur de L’Etoile K, traiteur casher haut de gamme à Paris.
L’Etoile K, qui a baissé ses prix après une année 2014 « catastrophique », est parvenu à un retour à l’équilibre. Mais David Levy sait que ce qui était réservé à des familles riches il y a encore une dizaine d’années, se généralise et que la situation ne va pas s’améliorer.
Le mariage en Israël n’est plus un truc de « riches » ou de « religieux »
Et en France, où la communauté juive se bat pour sa survie, les dents grincent forcément.
Chaque année un consistoire comme celui de Paris perdrait environ 400 000 euros sur les mariages : somme versée à la synagogue pour l’occuper le jour J, qui peut coûter entre 500 à 3 000 euros par cérémonie selon le lieu choisi, taxes de surveillance sur le vin et la viande, ainsi que le forfait payé au Consistoire par les traiteurs par soirée.
Des sommes que de nombreux Français commencent à contester mais qui ont une véritable légitimité, selon Michel Gurfinkiel, membre du consistoire qui se confie au Times of Israël, à titre personnel.
« Beaucoup de gens fréquentent une synagogue sans rien payer. Il faut trouver des moyens de faire vivre les communautés et un de ces moyens est le label de la casheroute ».
Pour compenser le manque à gagner, certains relèvent aussi le prix des certificats de judaïté et de célibat exigés pour le mariage, ainsi que les prix liés aux procédures de… divorce.
« Je ne vois pas pourquoi on pratiquerait la politique de l’autruche, analyse le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim. Si le manque à gagner est réel, ce n’est pas le problème prioritaire. Le mariage juif, où qu’il ait lieu, est magnifique et doit être accompagné par le Consistoire. Mais sur un plan purement spirituel, je regrette qu’en Israël les mariages aient rarement lieu dans les synagogues. D’une part, la synagogue donne à l’évènement un caractère de solennité, de gravité et de sainteté, de l’autre, c’est souvent la seule occasion pour des juifs qui se sont éloignés de la religion de retrouver le chemin du lieu de culte ».
Même regret pour Joël Mergui, président du Consistoire de France, qui a lui-même négocié un accord avec la Rabanout israélienne pour que les Ketoubas [actes de mariage religieux] des couples français qui s’y marient puissent être établies en France, à leur demande.
Et Joël Mergui de rappeler l’importance de la vitalité économique des communautés, et donc des synagogues.
« Si les juifs français considèrent Israël comme une belle salle de mariage, alors on rate une occasion. La Ketouba du consistoire peut constituer un lien entre nous et
eux ».
Loin de ces considérations spirituelles qui rythment la vie juive française, une dizaine d’organisateurs se disputent, en Israël, le marché des quelque 500 amoureux qui viennent chaque année, entre juillet et octobre, s’unir sur la terre sainte.
Des wedding planners [organisateurs] indispensables dans un pays où, trop souvent, les Français sont vus comme des « vaches à lait » faciles, des riches qu’on exploite d’autant plus qu’ils se comportent plus ou moins bien avec les prestataires qu’ils sélectionnent.
Sans oublier les différences culturelles…
Les mariages juif et israélien sont deux choses différentes et mieux vaut être accompagnés de professionnels pour s’assurer que nos « codes » seront respectés.
Rencontre des mariés devant la houppa et pas chez le coiffeur plusieurs heures avant la cérémonie, cérémonie religieuse d’une heure plutôt que de dix minutes avec un public assis et non debout, cérémonie au coucher du soleil et non la nuit, musique hassidique et horas plutôt que techno.
« Le déroulé d’une journée de mariage est très différent entre les deux pays », signale Emmanuel Richter.
Mieux vaut se faire assister d’un intermédiaire pour éviter les mauvaises surprises qui pourraient rappeler qu’Israël n’est pas qu’un état juif, mais aussi un autre pays avec ses propres codes et habitudes….
Là où la spiritualité disparaît, les cultures reprennent leurs droits.
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