A Budapest, une synagogue médiévale endormie depuis des siècles reconsacrée
Il s'agit d'une petite synagogue sépharade située au château de Buda - site appartenant au patrimoine de l'UNESCO - avait été prise aux Juifs après un pogrom dévastateur en 1686
- L'intérieur de la synagogue médiévale, qui accueillera la nouvelle congrégation du rabbin Asher Faith. Une nouvelle arche, une nouvelle estrade et d'autres meubles ont été ajoutés (Crédit :Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
- Le rabbin Asher Faith transporte un rouleau de Torah tout juste consacré pour la congrégation, lors de la consécration de l'espace de prière de la synagogue médiévale de Budapest, le 6 septembre 2018 (Crédit : Márton Merész)
- Des inscriptions en hébreu sur le plafond de la synagogue médiévale montrent un arc et une flèche avec une prière pour la paix et une étoile de David avec une bénédiction rabbinique (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
- Des stèles juives du Moyen-Age à la synagogue médiévale de Budapest. (Autorisation : Gabor Mayer)
- Le président hongrois Janos Ader met une kippa lors de la consécration de l'espace de prière de la synagogue médiévale à Budapest, le 6 septembre 2018 (Crédit : Márton Merész)
- Le rabbin Asher Faith s'adresse à l'assistance lors de la consécration de l'espace de prière de la synagogue médiévale à Budapest, le 6 septembre 2018 (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
BUDAPEST — Devant une assistance composée de centaines de personnes et le président hongrois Janos Ader, une cérémonie organisée jeudi soir a permis de célébrer la renaissance d’une synagogue ancienne, restée endormie pendant des centaines d’années.
Construite en 1364, la maison de prière juive médiévale, une petite synagogue sépharade de deux pièces située au château de Buda – site appartenant au patrimoine mondial de l’UNESCO – avait été prise aux Juifs après un pogrom dévastateur en 1686, lorsqu’une coalition d’armées chrétiennes avait re-capturé la ville de Buda qui se trouvait alors entre les mains des Turcs ottomans.
La synagogue avait été transformée en logement résidentiel et elle a été oubliée jusque dans les années 1960, lorsque des inscriptions juives ont été découvertes sous la peinture d’un plafond intérieur au cours de travaux de rénovation effectués par le gouvernement communiste de la Hongrie de l’époque. Depuis lors, la salle avait été ouverte au public sous la forme d’un musée médiocrement fourni mais elle n’avait jamais servi à nouveau au culte. Jusqu’à maintenant.
Enveloppé dans un châle de prière et se balançant d’avant en arrière, les yeux fermés, le rabbin Asher Faith a récité les bénédictions qui ont cimenté sa nouvelle fonction de rabbin au sein de cette nouvelle congrégation, jeudi dans la soirée. Alors que les responsables et les membres de la Congrégation hongroise unifiée (EMIH) — étroitement affiliée au mouvement hassidique Habad – dansaient et chantaient dans les salles bondées de la maison de prière juive médiévale, les spectateurs se sont retirés pour leur part sous un vaste chapiteau, adjacent au sanctuaire, pour regarder la cérémonie sur des écrans de télévision géants.
« Aujourd’hui, alors que nous avons cette opportunité de rouvrir une synagogue qui était restée abandonnée depuis presque 350 ans, nous accordons nos bénédictions du fond du coeur à ce nouveau rabbin », a déclaré le responsable de l’EMIH, le rabbin Slomo Koves. « En voyant un tel spectacle 70 ans après la Shoah, en présence de notre honorable président, je peux entendre les pas de la rédemption finale d’Israël ».

Parmi les invités, le grand rabbin de Hollande Benjamin Jacobs.
« On ne peut pas détruire la nation juive », a déclaré Jacobs au Times of Israel. « Nous restons. Oui, nous souffrons de temps en temps – mais quand on regarde ce qu’il se passe ici aujourd’hui, qu’on voit qu’il y a un nouveau rabbin, une shul ancienne qui renaît, c’est formidable ».
Il y a l’espoir que l’ouverture de ce centre spirituel dans la capitale saura infuser une nouvelle énergie aux 100 000 Juifs environ de Budapest, qui sont largement non-affiliés et peu intéressés par le judaïsme après la Shoah et des décennies de gouvernance communiste. Des taux de mariage mixte et d’assimilation élevés caractérisent également les Juifs hongrois, et il sont même encore supérieurs dans la jeune génération.
« Ici, au château de Buda, nous avons ouvert une ancienne synagogue dans des circonstances extraordinaires et c’est, à nos yeux, annonciateur de bonnes choses », s’est réjoui Faith, s’adressant au Times of Israel quelques instants après s’être exprimé devant l’assistance dans la salle de la synagogue. Une fois encore, le Shofar va résonner ici pour Rosh HaShana, cette année, et peut-être verrons-nous le messie ».

Le Budapest Juif de l’antiquité
La maison de prière juive médiévale est le témoignage de la longue histoire pleine de couleurs des Juifs en Hongrie, qui remonterait à il y a bien plus de 1 000 ans.
« Les Juifs ont été présents dans la région depuis l’époque romaine et, pendant certaines périodes, les choses se sont très bien passées pour eux », explique Gabor Mayer, un membre de la communauté local actif dans la préservation de ce site juif – et d’autres – à Budapest.
« Par exemple, durant le mariage [à la moitié du 15e siècle] du roi Matthias Ier, les étrangers avaient fait savoir qu’ils avaient vu des Juifs montés sur des chevaux pendant la procession, l’épée au côté – quelque chose dont personne n’avait jamais entendu parler ailleurs à ce moment-là », dit Meyer.

Mayer affirme qu’il y a eu une présence juive presque continue à Buda, pendant l’empire ottoman comme après la conquête de la ville par la coalition chrétienne. La localisation de la maison de prière juive, ainsi que d’autres installations juives de la ville, est également remarquable, ajoute-t-il.
« La synagogue était située dans un endroit très visible, aux abords directs de la porte de la ville, où le roi passait à cheval », explique Mayer. « Et les habitations des Juifs étaient intercalées avec celles des non-Juifs également. Habituellement, les maisons juives – et la synagogue – étaient placées soit hors de la ville, soit dissimulées dans des arrière-cours. Tout cela démontre de bonnes relations avec les voisins ».
Mayer indique que les fouilles réalisées dans les maisons à proximité de la maison de prière juive médiévale ont permis de découvrir des fosses d’ordures qui ont montré que leurs habitants respectaient la casheroute.
« Il y avait des constructions où il y avait des os de poulet et de boeuf mais aucun rejet de porc dans les déchets », poursuit Mayer. « Toutefois, dans la maison d’à côté, on a trouvé des os de porc ».

Il y a également des stèles anciennes qui ont été mises à l’abri dans la maison de prière juive médiévale, dont certaines racontent une histoire unique. Sur l’une d’elles, une longue épitaphe fait l’éloge funèbre d’une épouse et d’une mère adorée, un sentiment inhabituel à ce moment-là.
« On peut voir qu’elle était la lumière de leurs vies », dit Mayer. « Ce n’est pas ce qu’on pourrait penser a priori des attitudes envers les femmes au Moyen-Age ».
Tandis que la maison de prière juive médiévale a assurément une signification et que les inscriptions témoignent de manière évidente de la vie juive pendant l’antiquité, tout le monde n’est pas d’accord sur sa destination d’origine.
« Rien dans l’architecture de la construction établit clairement que cet endroit a été utilisé pour la prière », commente Mayer. « Il n’y a pas d’espace qui ait été ouvert pour accueillir l’estrade ou l’arche. Habituellement, on voit au moins une section élevée pour l’estrade qui montre que le lieu a été en effet utilisé comme synagogue ».
Les spécialistes estiment que les inscriptions – une étoile de David avec une bénédiction religieuse, et un arc et une flèche avec une prière implorant Dieu d’apporter la paix dans une période marquée par les sièges et les guerres – sont la preuve que cet espace a été probablement converti en lieu de culte après son édification initiale.

La maison de prière juive médiévale est le plus petit de deux lieux de cultes juifs qui existaient à quelques mètres seulement l’un de l’autre au Moyen-Age. La plus grande des deux, qui servait la communauté ashkénaze de Buda, plus importante à l’époque, aurait été construite en 1461 pour répondre aux besoins croissants de la communauté et la plus modeste – la maison de prière juive médiévale – aurait donc été destinée à la communauté sépharade qui comptait plusieurs douzaines de familles, dit Mayer.
Les fouilles du gouvernement, dans les années 1960, ont permis de mettre à jour ce qu’il restait de la plus grande synagogue, presque au même moment où la plus petite a également été trouvée. Profondément enterrée de l’autre côté de la rue, les murs de la plus grande synagogue mesurent 6 mètres de haut et représentent l’une des seules structures encore intactes de ce type en Hongrie, raconte Mayer. Quand le site de la plus grande synagogue a été fouillé, des restes de dépouilles de Juifs, qui priaient au moment de leur mort en 1686, ont été retrouvés à l’intérieur, figés ainsi depuis des centaines d’années.
Selon le livre « Chroniques de Buda », qui a été écrit par Itzhak ben Zalman Schulhof, le rabbin de la communauté de l’époque, les Juifs avaient conservé leur loyauté envers les Turcs pendant le siège de la ville. Lorsque les armées chrétiennes qui s’approchaient avaient été prêtes à envahir les lieux, les Juifs s’étaient rassemblés dans la synagogue pour y prier. Et lorsque les chrétiens avaient déferlé sur Buda, ils avaient mis le feu à la synagogue, dont le plafond était en bois, avec les fidèles à l’intérieur, entraînant leur mort.

Schulhof raconte la mort de son épouse et sa propre mise en esclavage dans une histoire de survie déchirante et il décrit la destruction de sa communauté dans les « Chroniques ». Finalement, Schulhof est acheté par des agents travaillant pour la communauté juive autrichienne, qui avait une influence significative grâce à ses richesses et à leurs capitaux, et qui avaient aidé à financer l’avancée des chrétiens.
Mayer explique que la communauté juive autrichienne n’avait pas nécessairement apporté son aide volontairement aux armées chrétiennes dans la mesure où ils étaient eux aussi soumis à leurs dirigeants non-juifs. Alors que la bataille faisait rage, ajoute-t-il, la communauté juive occidentale a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider à protéger et à prévenir le massacre de ses frères juifs, à l’Est.
Une synagogue importante dans l’attente d’une renaissance moderne
Alors même que la communauté juive a pu célébrer la renaissance de la synagogue médiévale, elle déplore toutefois la négligence du plus grand lieu de culte, situé de l’autre côté de la rue. Après la destruction de ce dernier en 1686, il s’est trouvé recouvert de terre. Le niveau de la rue a été surélevé et des constructions ont été érigées sur les ruines existantes.
Lorsqu’elle a été redécouverte par le régime communiste dans les années 1960, la communauté juive a alors espéré que la plus grande synagogue serait restaurée, explique Koves lors d’un entretien accordé au Times of Israel. Cet espoir a été alors alimenté par le gouvernement.
Après une longue période d’attente, la communauté juive s’est finalement tournée vers les Etats-Unis pour obtenir des dons dans l’espoir d’effectuer les travaux nécessaires. Quand elle est parvenue à garantir le financement nécessaire à la rénovation du bâtiment, « les communistes ont dit qu’ils ne voulaient pas de l’argent ‘impérialiste’ des Américains », commente Mayer.

Selon Mayer, qui continue un travail de pression en faveur de la restauration de la synagogue, le gouvernement s’est contenté de recouvrir le terrain et de laisser ce morceau de l’histoire juive de Budapest enterré jusqu’à aujourd’hui.
« On ne nous a pas vraiment donné de raisons », dit-il. « Ils n’ont probablement pas voulu s’occuper de ce chantier et l’identité juive n’était pas véritablement encouragée à ce moment-là ».
En fait, précise Mayer, ce n’est qu’il y a quelques années que le gouvernement post-communiste, en place depuis 1989 en Hongrie, a mis une inscription historique aux abords de la zone. Mayer, aux côtés de nombreux autres, continue aujourd’hui à se battre pour la rénovation de la synagogue à un moment où le gouvernement mène d’autres rénovations dans le secteur du château de Buda.
« On est même en train de reconstruire les anciennes écuries royales », s’exclame Mayer. « On ne peut pas refaire aussi la synagogue ? »

Koves explique qu’il a fallu des années de négociations – elles avaient commencé en 2014 – avec les entités variées pour qu’un accord soit conclu en 2016 sous les termes duquel la congrégation pourrait se réunir pour prier à la maison de prière juive médiévale.
« On voulait prendre une vieille synagogue et la restaurer pour qu’elle puisse assurer sa mission d’origine. Alors, pendant longtemps, nous avons exercé des pressions sur la municipalité et sur le musée d’histoire de Budapest et, il y a un an, nous avons signé un accord qui nous permet de louer l’espace pour la prière », explique Koves. « Cela va donc rester un musée mais nous en refaisons également une synagogue, 600 ans après ».
« Je ne sais pas si une telle chose a déjà été tentée par le passé – ce n’est pas le cas en Hongrie assurément – et si Dieu le veut, ce que nous avons fait, c’est que nous avons retrouvé cet endroit, que nous l’avons à nouveau transformé en synagogue, et que nous l’avons meublé dans un style rappelant celui qui avait été le sien il y a six cent ans ans. Nous rebâtissons une vie communautaire ici alors que ce sont les fêtes », note-t-il.
« Mon espoir est qu’une fois que nous nous serons réétablis ici, la prochaine étape sera d’ouvrir et de rénover la grande synagogue qui se trouve de l’autre côté de la rue », conclut Koves.
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