Allemagne : près d’un ancien camp nazi, l’extrême-droite favorite pour la mairie
"Ce serait une gifle pour les victimes de la Shoah et leurs descendants", a averti dans la presse Felix Klein, chargé de l'antisémitisme au sein du gouvernement allemand
Jörg Prophet accueille, confiant, ses partisans à son stand de campagne de la petite ville de Nordhausen, dans l’est de l’Allemagne : le candidat du parti d’extrême-droite sait qu’il a de grandes chances de gagner la mairie dimanche.
Et la proximité de l’ancien camp de concentration nazi Mittelbau-Dora, témoin de la plus sombre période de l’histoire allemande, ne semble en rien dissuader ses supporters.
« Je veux être à la disposition de mes électeurs jusqu’au dernier jour », affirme l’ancien entrepreneur de 61 ans, entouré de ballons bleus, couleur du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD).
Lors du premier tour de scrutin dans cette ville de 40 000 habitants, située en ex-RDA, M. Prophet a remporté 42,1 % des suffrages, loin devant son rival, Kai Buchmann (23,7 %).
Maire en exercice depuis six ans et sans étiquette politique, ce dernier a perdu en popularité à la suite de conflits répétés avec le conseil municipal.
La victoire d’un candidat de l’extrême-droite serait « une catastrophe », met en garde, dans un entretien à l’AFP, Jens-Christian Wagner, directeur de la Fondation qui administre les camps de Buchenwald et Mittelbau-Dora.
« Ce serait une gifle pour les victimes de la Shoah et leurs descendants », a aussi averti dans la presse Felix Klein, chargé de l’antisémitisme au sein du gouvernement allemand.
A Mittelbau-Dora, environ 60 000 déportés ont subi le froid, la faim et les mauvais traitements. Ils étaient affectés à la fabrication des fusées V2, ces missiles qui n’ont finalement pas apporté la supériorité militaire escomptée par les nazis. Environ un tiers des prisonniers ont succombé aux conditions de détentions particulièrement brutales.
Le site du camp, à moins de dix kilomètres du centre de Nordhausen, abrite aujourd’hui un mémorial et un musée au milieu d’une campagne verdoyante. D’ores et déjà, M. Wagner prévient : un maire AfD ne sera pas le bienvenu aux commémorations.
« L’AfD est un parti d’extrême)droite dont l’idéologie est compatible ou au moins très similaire à l’idéologie du national-socialisme », observe-t-il.
Comme beaucoup d’autres membres de l’AfD, Jörg Prophet a été accusé d’extrémisme et de révisionnisme.
Dans un post de blog en 2020, il a appelé à la fin du « culte de la culpabilité » allemande, en référence aux efforts du pays pour entretenir la mémoire de la Shoah et en tirer les leçons afin que l’histoire ne se répète pas.
Ses propos controversés n’ont pas refroidi ses électeurs.
« Tout ce que j’entends à Nordhausen suggère qu’il sera élu non pas en dépit de ses positions révisionnistes mais précisément à cause d’elles », observe M. Wagner.
Selon une étude publiée cette semaine par la fondation Friedrich Ebert, les convictions d’extrême-droite sont de plus en plus répandues dans le pays : 8 % des sondés s’en réclament, contre 2 à 3 % dans les études précédentes.
Une victoire de l’AfD dimanche viendrait s’ajouter à une série de succès récents remportés par ce parti créé en 2013 en opposition à l’euro et qui s’est au fil du temps radicalisé pour devenir une formation anti-immigration.
Fin juin, l’AfD a décroché la direction d’une collectivité territoriale en Thuringe, dans le même Etat régional que Nordhausen, et début juillet, elle a fait élire son premier maire dans une commune de quelque 9 000 habitants, en Saxe-Anhalt, autre Land situé dans l’ex-RDA.
Dans les derniers sondages l’AfD pointe en deuxième position au plan national (22 %), devant le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, et juste derrière les conservateurs (27 %), actuellement dans l’opposition.
En Thuringe, la formation affiche des scores particulièrement forts : environ 3 4%, selon une récente enquête d’opinion publiée par la chaîne régionale MDR.
Des élections régionales sont prévues en septembre 2024 dans cet Etat, ainsi que dans deux autres Länder d’ex-RDA, le Brandebourg et la Saxe.
Jens-Christian Wagner croit que l’AfD pourrait remporter au moins l’un des trois scrutins : « Je pensais que les Allemands avaient appris de leur passé. Mais en ce moment, je suis très inquiet ».
Près du stand de campagne de l’AfD, Gerd Wille, retraité mécanicien de 62 ans, estime qu’une victoire du candidat « ferait du bien à Nordhausen ». Il apporterait un « vent frais et pas seulement un vent frais mais un bon vent ».