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Analyse

Ce ne sont pas les fuites à la presse qui sont au cœur de la nouvelle enquête du Shin Bet

Le fait qu'un employé de l'agence de sécurité ait, semble-t-il, retransmis des informations classifiées à un ministre proche du chef de gouvernement fait de cette affaire la continuation d'un modèle périlleux

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) aux côtés du ministre des Affaires de la Diaspora Amichaï Chikli, lors du plénum de la Knesset, à Jérusalem, le 26 juin 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) aux côtés du ministre des Affaires de la Diaspora Amichaï Chikli, lors du plénum de la Knesset, à Jérusalem, le 26 juin 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Pour mieux comprendre le contexte plus large des délits qui auraient été commis par l’employé du Shin Bet connu sous le nom de « A » – qui a été arrêté la semaine dernière, soupçonné d’avoir transmis des documents classifiés à partir des ordinateurs de l’agence de sécurité – il suffit de se pencher sur le récent scandale qui a aussi porté sur des documents de sécurité, impliquant cette fois-ci le bureau du Premier ministre. Et pour la même raison que dans ce premier scandale, il s’avère que le terme de « fuite » n’est pas approprié pour évoquer ce qui est au cœur de l’affaire du Shin Bet.

D’abord, les faits : la magistrate Michal Barak-Nevo du tribunal de district central, à Lod, a rejeté mardi l’appel qui avait été déposé par l’employé du Shin Bet, qui remettait en cause la décision prise de prolonger sa détention. Elle a décidé qu’il resterait en garde à vue jusqu’à mercredi, date à laquelle il a été libéré et assigné à résidence.

Dans le même temps, l’embargo généralisé qui avait été imposé au dossier a été réduit et il est désormais possible de rendre publics tous les détails connus, à l’exception du nom du détenu et des informations susceptibles de permettre de l’identifier.

Selon le jugement rendu par la Cour, le suspect – un réserviste du Shin Bet – a transmis des informations et des documents au ministre de la Diaspora Amichai Chikli, ainsi qu’aux journalistes Amit Segal, de la chaîne d’information N12 et Shirit Avitan Cohen de Yisrael Hayom – et peut-être à d’autres personnes également.

Les documents en question concernaient à la fois une enquête interne du Shin Bet portant sur de possibles infiltrations de membres de l’extrême-droite kahaniste au sein de la police israélienne et sur l’examen, par le Shin Bet, des événements du pogrom du 7 octobre.

Selon les informations qui ont été mises à disposition, le suspect a admis les actes qui lui sont attribués et il a expliqué qu’il avait agi pour des raisons idéologiques, pensant servir l’intérêt public. Le mobile du suspect raconte néanmoins une histoire plus large qui se déroule sous nos yeux, au-delà des seuls faits juridiques crus et tels qu’ils sont inscrits dans le droit pénal.

Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, arrive à une audience au tribunal à Lod de l’employé du Shin Bet arrêté pour suspicion de fuite d’informations classifiées, le 15 avril 2025 (Crédit : Jonathan Shaul/Flash90)

Il y a une quinzaine d’années, Anat Kamm – une jeune femme qui venait de terminer son service militaire – avait été accusée et condamnée pour des délits qualifiés « d’espionnage grave » et de « possession non-autorisée d’informations classifiées » au regard du code pénal. Elle avait alors retiré des centaines de documents classifiés du bureau du chef du Commandement central de Tsahal où elle travaillait avant de les transmettre à un journaliste de Haaretz, Uri Blau.

Un dossier qui avait également soulevé une question : Était-il approprié de qualifier cet acte de « fuite » et de l’inscrire dans la dynamique de ces personnes qui, d’une manière ou d’une autre, prennent la décision de divulguer des informations à des journalistes ?

Alors qu’il est incontestable qu’une personne qui divulgue des informations classifiées commet une infraction pénale ou disciplinaire, les fuites en direction des médias sont généralement considérées comme quelque chose de positif dans les démocraties libérales dans la mesure où elles font partie de la manière dont la presse remplit son rôle essentiel de gardien du système démocratique – en publiant des informations qui ne conviennent pas nécessairement à ceux qui sont au pouvoir.

Anat Kamm sits in the Tel Aviv District court on April 12, 2011. (photo by Yossi Zeliger/FLASH90)
Anat Kamm sits in the Tel Aviv District court on April 12, 2011. (photo by Yossi Zeliger/Flash90)

Si le dossier actuel concernant le Shin Bet avait uniquement porté sur des fuites de contenus en direction des journalistes, il aurait alors pu être évalué à l’aune des principes qui avaient été établis dans un arrêt de la Cour suprême israélienne datant de 1987 par le président de l’instance, Meir Shamgar, dans une affaire qui traitait de la protection des sources dans le journalisme.

« Le processus démocratique dépend de la capacité à avoir une discussion ouverte sur les questions à l’ordre du jour national et à échanger librement des points de vue à leur sujet », avait écrit Shamgar. « Dans ce processus de clarification et de débat, les médias jouent un rôle de la plus haute importance. Ils permettent une diffusion publique des informations qui est déterminante et ce, dans tous les domaines de la vie. L’intérêt que portent les journalistes dans la protection de leurs sources découle de leur désir de sauvegarder la liberté de la presse, car cette dernière inclut le droit de recueillir des informations ».

La Cour et le ministère public n’avaient pas considéré les infractions commises dans le dossier Anat Kamm comme de simples fuites. L’approche – tant à l’égard de Kamm que de Blau, qui détenait des documents de sécurité extrêmement sensibles sur son ordinateur depuis un certain temps – s’était axée sur la sécurité, d’où les articles spécifiques du code pénal qui avaient été invoqués.

Dans l’affaire plus récente des documents de sécurité au sein du bureau du Premier ministre, le sous-officier Ari Rosenfeld, soldat de Tsahal, avait transmis des documents classifiés à Eli Feldstein, alors conseiller auprès des médias du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Feldstein avait ensuite divulgué le contenu de l’un de ces documents au journal allemand Bild.

Aaron ‘Ari’ Rosenfeld, l’un des suspects dans l’affaire de la fuite de documents classifiés, dans une salle d’audience du tribunal de Tel Aviv, le 7 janvier 2025. (Crédit : Koko/Flash90)

Dans le dossier Rosenfeld-Feldstein, le chef d’accusation de « divulgation en violation du devoir » – qui concerne les fuites de routine, qui ne sont pas nécessairement liées à la sécurité – n’a pas eu de caractère central. Les principaux chefs d’accusation ont porté sur la transmission d’informations classifiées et sur la transmission d’informations dans l’intention de porter atteinte à la sécurité de l’État.

Ce sont également les principaux soupçons qui pèsent sur l’employé du Shin Bet impliqué dans l’affaire actuelle. La fuite d’informations en direction des journalistes Segal et Avitan Cohen est, bien sûr, un délit pénal – un délit qui est d’autant plus grave qu’il s’agissait de documents classifiés du Shin Bet. Toutefois, si le dossier s’était arrêté là, les actes de l’employé auraient pu être jugés dans le cadre habituel des fuites.

Mais l’homme ne s’est pas contenté de faire fuiter des informations auprès des journalistes : il les a directement transmises au ministre des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, lors d’un entretien en tête-à-tête. En ce sens, ses actions doivent être considérées comme ayant eu le potentiel de saboter délibérément les enquêtes internes et les opérations menées au sein du Shin Bet.

En conséquence, il a été clairement établi qu’aucune enquête n’avait été lancée en direction des journalistes – avec de possibles mises sur écoute – et qu’aucun journaliste n’a été interrogé ou invité à témoigner.

Le ministre des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, après l’audience de l’employé du Shin Bet qui a été arrêté pour fuite d’informations classifiées au tribunal de Lod, le 15 avril 2025. (Crédit : Jonathan Shaul/Flash90)

Tout comme Rosenfeld est accusé d’avoir volé des documents qui se trouvaient sur les ordinateurs du Département de l’Information de sécurité de Tsahal (MAHBAM) et de les avoir transmis directement à un employé du bureau du Premier ministre – Feldstein – en contournant la chaîne de commandement et en violant tous les protocoles relatifs à la manipulation de documents de sécurité classifiés, l’employé du Shin Bet, dans le dossier actuel, a agi de son propre chef en remettant des documents provenant des ordinateurs du Shin Bet directement à un ministre du cabinet proche du Premier ministre, à une personnalité alignée sur les intérêts politiques de ce dernier.

Contrairement à Feldstein, Chikli lui-même n’a pas été interrogé dans cette affaire – probablement parce que rien n’indique qu’il ait utilisé les informations reçues. Toutefois, si les informations ou les documents que le suspect lui a remis étaient effectivement classifiés et si Chikli n’avait pas d’autre accès légitime à ces informations, toute utilisation de ces informations aurait pu l’impliquer dans l’infraction – tout comme l’utilisation que Feldstein a faite des documents classifiés qui se sont retrouvés entre ses mains l’ont impliqué directement dans l’infraction commise. Le fait que Chikli ne figure pas parmi les suspects laisse donc penser qu’il n’y a pas de soupçon raisonnable qu’il ait pu agir sur la base de ces informations.

La mobilisation immédiate des ministres et des membres de la coalition en faveur de l’employé du Shin Bet et leurs attaques brutales contre le chef du Shin Bet, Ronen Bar, et contre la procureure générale, Gali Baharav-Miara, renforcent clairement l’idée que le suspect est passé à l’acte pour des motifs politiques – pour perturber les opérations de l’agence.

Ronen Bar, chef de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, le 5 mai 2024. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Une situation qui met en évidence deux phénomènes graves :

En premier, l’ingérence des politiques dans les enquêtes en cours qui – la Cour suprême l’a récemment réaffirmé dans sa décision concernant un amendement à l’ordonnance sur la police israélienne – est illégale. Même le président de la commission de la Constitution à la Knesset, le député Simcha Rothman, est rapidement entré dans la danse, annonçant une session spéciale de son panel pour discuter de ces accusations – une violation pour le moins flagrante de la règle interdisant l’ingérence politique dans des enquêtes criminelles spécifiques.

Deuxièmement, les féroces attaques des politiciens contre Ronen Bar révèlent, si c’était nécessaire, le véritable motif de toute l’opération. Il s’avère que des personnes proches du Premier ministre – qu’il s’agisse de ses conseillers Jonatan Urich et Eli Feldstein, ou du ministre Amichai Chikli – auraient construit un réseau de sources au sein des instances de l’État avec pour objectif de fausser le fonctionnement des institutions nationales au profit de Netanyahu et au détriment de l’intérêt public.

Le roi avant le royaume : Voici le sens véritable et plus large des efforts livrés par le gouvernement pour détruire le peu qu’il reste de l’État israélien au sein de ses institutions nationales.

Yuval Yoaz est l’analyste juridique de Zman Yisrael, le site hébréophone du Times of Israel, où cet article a été initialement publié.

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