Ce que la presse en Israël dit du nouveau gouvernement Bennett-Lapid
Les journaux saluent le "succès" du bloc du changement qui a réussi à se mettre d'accord, mais personne n'est encore prêt à exclure Netanyahu ni à accepter Bennett
1. C’est fait : Après des jours de rumeurs, d’informations non confirmées ou rejetées, Yair Lapid, Naftali Bennett, et leurs partis de coalition – sans doute avec une pointe curieuse d’amertume dans un tel cas de figure – ont annoncé, mercredi soir, qu’ils avaient mis en place un gouvernement.
- « Ala bayadi », a déclaré M. Lapid au président Reuven Rivlin au téléphone, ainsi que dans un tweet et dans une déclaration sous serment officielle.
- Les organes de presse se sont emparés de la formulation, utilisant presque tous des titres identiques qui ont repris la formule consacrée, ce qui, dans l’ensemble, a fait ressembler la sphère politico-médiatique israélienne au scénario d’un épisode de The Office.
- « Ils ont réussi », a écrit en Une Yedioth Ahronoth.
- « Lapid a réussi à former une coalition, mais Bennett sera d’abord Premier ministre », a titré Haaretz en première page.
- La Douzième chaîne, loin d’être la seule, a publié un article qui ne contient rien d’autre qu’une vidéo de Lapid disant à Rivlin au téléphone qu’il avait réussi. Le titre ? Vous l’aurez deviné.
- D’autres se sont distingués. Israel Hayom, le journal pro-Netanyahu, qui sera ostensiblement évincé par cette coalition d’amis de circonstance – anciens ennemis et ennemis jurés – a préféré minimiser tout ce brouhaha relatif à la coalition. L’annonce faite par Lapid est en première page, certes, mais le quotidien a préféré mentionner en premier titre l’élection d’Isaac Herzog à la présidence – et, pour en savoir davantage, le lecteur devra se rendre à la page 6. Après cinq pages d’Herzogmania, cependant, un titre en caractères imposants, occupant presque une page entière : « J’ai réussi. »
- Si « J’ai réussi » est une citation étonnante dont les livres d’Histoire se souviendront sans aucun doute (mon sarcasme est-il assez clair ?), peu d’informations sont finalement divulguées au lecteur concernant la saga qui a conduit à la création de cette très improbable coalition – sans parler de l’importance et des ramifications de l’éviction désormais probable du Premier ministre israélien le plus pérenne de l’histoire du pays. Pas réellement de neutralité dans ce contenu – la neutralité pourrait toutefois avoir son importance – qui s’apparente davantage à un slogan de campagne
- Bien sûr, ça peut toujours être pire, comme le journal affilié au parti du Shas en fait la démonstration, Haderech, avec sa première page, montrant Lapid, Bennett et Mansour Abbas du parti Raam, signant sur la ligne pointillée avec un titre sans équivoque : « Les visages de la honte. » Un grand nombre rappellent pourtant que Shas lui-même n’était que trop heureux de se joindre à Raam lorsque le parti islamiste négociait avec Netanyahu.
- Alors que l’on ne parle guère du contenu des accords de coalition, de la réaction des Israéliens à la nouvelle majorité, de la signification de cet accord conclu pour l’héritage que laissera Netanyahu dans l’Histoire, etc…, certains sites d’information ont souligné au moins les tensions, les coups de théâtre et autres drames qui ont précédé cette réussite – notant que l’annonce de Lapid n’a précédé que de trente petites minutes l’échéance du mandat qui lui avait confié cette tâche et qui devait expirer aux douze coups de minuit. Et la plupart ne manquent pas de noter en petits caractères le fait que la coalition n’est pas encore une affaire réglée – et que le carrosse pourrait encore se transformer en citrouille.
2. On y est presque, mais pas encore : En réalité, il aurait été compréhensible que les médias choisissent de s’emparer du titre suivant : « Ai-je réussi ? », au vu de la multitude de réserves et autres bémols énoncés dans leurs articles. Bien sûr, ces réserves – qui découlent de la discipline de la coalition – ont lieu d’être jusqu’à la prestation de serment. Elles sont parfois évoquées lors de la formation des gouvernements mais elles ont rarement fait l’objet d’une telle attention. Aujourd’hui, elles sont assurément un clin d’œil à l’emprise de M. Netanyahu sur le pays, qui fait qu’après 12 ans d’une carrière politique qui n’a jamais manqué de surprendre, les journalistes et d’autres n’arrivent toujours pas à croire que son ère pourrait être révolue.
- « Il a réussi », mais la question est de savoir si la prestation de serment aura lieu la semaine prochaine et si la majorité chancelante tiendra le coup », a tweeté Efi Trigger, animateur de la radio de l’armée, en avant-première de son talk-show matinal.
- « Si l’on en juge par les tensions et les complexités extraordinaires qui ont accompagné les derniers jours de négociations épuisantes sur ce dit ‘gouvernement du changement’, il a été extrêmement difficile de rassembler huit partis disparates. Mais on peut compter sur le Premier ministre pour rendre leur chemin vers la Knesset encore plus tortueux », écrit David Horovitz, rédacteur en chef du Times of Israel.
- Dans Haaretz, Anshel Pfeffer écrit : « Bennett sera Premier ministre pendant deux ans si ce gouvernement marque un jour sa prestation de serment – mais sur les huit partis de la coalition, c’est le sien qui risque le plus l’effondrement d’ici là. Il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que cela ne se produise, car après être allé si loin et avoir rompu et détruit tous les liens avec Netanyahu et ses partisans, la seule manière pour lui de sauver sa carrière politique est de devenir Premier ministre et d’au moins s’acquitter, d’un travail décent. Il a joué jusqu’au dernier morceau de son capital politique. »
- La question de savoir si la coalition franchira la vraie ligne d’arrivée finit par se résumer à une question de timing. Un certain nombre d’articles s’interrogent : Le président de la Knesset, Yariv Levin, organisera le vote de confiance pour faire prêter serment au nouveau gouvernement ? Choisira-t-il de traîner des pieds ?
- La Douzième chaîne avait rapporté que la coalition pourrait tenter d’écarter Levin s’il devait refuser de jouer le jeu et, en effet, peu après minuit, Ynet avait publié une brève indiquant que Lapid, peu désireux d’attendre, exercerait les pressions nécessaires pour que le président de la Knesset soit remplacé par le député Mickey Levy de Yesh Atid dans les meilleurs délais. Étrangement, Ynet avait préféré ignorer la brève que de l’intégrer à son journal, et aucun autre média n’avait fait état de cette décision (pas de commentaire non plus de la part de Yesh Atid, ce qui avait laissé le journaliste que je suis quelque peu déconfit). Toutefois, l’information est tombée au petit matin : Le parti a miraculeusement obtenu les 61 signatures nécessaires pour demander le départ de Levin.
- Kan a rapporté que la décision de précipiter la prestation de serment n’avait pas grand-chose à voir avec l’inquiétude de voir les membres de Yamina s’échapper mais que la raison se trouvait du côté de Raam, dont elle permettra de « tester le sérieux ».
- « Des sources au sein de la coalition Lapid-Bennett ont voulu s’assurer que le chef de Raam, Mansour Abbas, était bien à leurs côtés avant la finalisation des accords sur la loi Kaminitz (concernant les constructions illégales dans les villes arabes), et elles ont ainsi réclamé le vote consacré au remplacement du président de la Knesset avant que le nouveau gouvernement ne prête serment », rapporte la chaîne.
3. Les choses s’écroulent : Une bonne partie de l’actualité a fait l’impasse sur la direction que pourrait prendre ce gouvernement et s’il peut survivre, compte-tenu de sa composition sans précédent.
- « J’espère que j’obtiendrai ce qui a été convenu et que je serai ministre de la Diaspora », a déclaré le travailliste Nachman Shai à la radio militaire. « Nous sommes sur un chemin très incertain, un chemin cahoteux, et cela ne laisse pas présager trop de stabilité, » a-t-il ajouté.
- Maya Rakhlin, de Kan, a estimé que « chaque jour où il y aura un vote pour un gouvernement comme celui-ci – un gouvernement fort de 61 députés, qui pourra s’effondrer face à la fronde d’un seul député – ce sera un défi. »
- Dans Politico, Dan Kurtzer, Aaron David Miller et Steven Simon ont noté que « le gouvernement pourrait bien s’effondrer à un moment donné sous son propre poids », mais ils ont prédit que pendant au moins les premiers mois, son manque de fonctionnalité devrait accorder un répit au président américain Joe Biden : « Bennett sera préoccupé par la gestion d’une coalition peu maniable », ont-ils estimé. « Il est probable qu’il fera baisser la température avec Washington, qu’il rompra temporairement avec l’obsession de Netanyahu de bloquer l’accord sur le nucléaire iranien, et qu’il essaiera de s’abstenir de toute action provocatrice envers les Palestiniens susceptible d’irriter ses partenaires centristes et de gauche, et de faire s’effondrer le fragile gouvernement. »
- (Un point de vue moins convaincant sur le lien entre les Etats-Unis et Israël est provenu du Daily Beast, qui a tenté d’envisager un refus Trumpien de céder le pouvoir de la part de Netanyahu, en notant sa proximité avec le GOP) : « L’annonce antérieure par les rivaux de Netanyahu, Lapid et Naftali Bennett, qu’ils étaient prêts à former un gouvernement, a été accueillie avec dérision, incrédulité et menacé par les partisans les plus fidèles de Bibi; de la même manière que Trump a hurlé que l’élection de novembre 2020 avait été volée, avec Sidney Powell, son ancien avocat, qui a proclamé que Trump sera en quelque sorte renvoyé à la Maison Blanche cet été, vraisemblablement monté sur un Kraken. »
- Dans Israel Hayom, Amnon Lord a utilisé l’impasse dans laquelle pourrait se trouver la coalition pour attaquer le gouvernement naissant : « Si le gouvernement prête serment, il sera faible, et le Premier ministre Bennett n’aura aucune autorité sur le ministre des Finances, et certainement pas sur le ministre de la Défense, il ne sera pas en mesure de mettre en place des politiques autres que le retrait des barricades du sionisme. »
- Pour sa part, Gideon Levy, de Haaretz, a tenu pour acquise la survie du gouvernement – tout en exprimant sa crainte qu’il ne soit tout aussi à droite que le précédent, ne laissant que quelques miettes seulement aux membres de gauche de la coalition. « Au-dessus de nos têtes plane encore un nuage noir et oppressant : La droite remplace la droite », écrit-il. « Une droite sans Netanyahu va remplacer une droite avec Netanyahu, et les deux sont cruelles. Aucun partisan sérieux de la gauche ne peut s’en réjouir. »