Dahlane appelle à une démocratie d’après-guerre à Gaza, y compris pour le Hamas
L'ancien conseiller à la Sécurité nationale de l’AP propose un gouvernement technocratique pour deux ans afin d'unifier les factions, suivi d’élections
Mohammad Dahlane, ancien homme fort du Fatah dans la bande de Gaza, envisage un avenir dans lequel l’enclave et la Cisjordanie seraient gouvernées par un parlement palestinien élu, supprimant ainsi la présidence de l’Autorité palestinienne (AP).
S’adressant à The Economist la semaine dernière depuis son domicile à Abou Dhabi, Dahlane a déclaré qu’une fois la guerre d’Israël contre le Hamas terminée, la bande de Gaza devrait être gouvernée par un gouvernement technocratique pendant deux ans, car il est « illusoire » de penser qu’une seule personne puisse prendre le pouvoir.
À la fin de cette période, qui, selon lui, unifierait les factions palestiniennes divisées, des élections devraient être organisées sur la base d’un État palestinien, même si ses frontières ne sont pas définies.
Ces élections devraient inclure le Hamas, a déclaré Dahlane dans une rare interview, publiée lundi. Le Fatah et le Hamas sont des groupes rivaux. Il a rejeté l’idée qu’Israël serait en mesure d’éliminer complètement le groupe, comme il s’est engagé à le faire après l’attaque dévastatrice du 7 octobre, au cours de laquelle le groupe terroriste a tué 1 400 personnes, pour la plupart des civils.
« Le Hamas ne disparaîtra pas », a-t-il déclaré.
Selon lui, cet État sans frontières pourrait être soutenu par des pays arabes tels que l’Égypte, la Jordanie, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Après cela, il devrait être reconnu par la communauté internationale et faire l’objet d’un accord définitif avec Israël, a indiqué Dahlane.

Des élections du type de celles proposées par Dahlane auraient pour but la formation d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre pour remplacer l’actuelle Autorité palestinienne, qui a été créée dans le cadre des accords d’Oslo dans les années 1990 pour gouverner les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. Il a rejeté l’idée qu’il accepterait d’être installé par Israël pour gouverner l’enclave une fois que les troupes se seront retirées.
Le Hamas a remporté les dernières élections parlementaires palestiniennes en 2006. Un an plus tard, il a pris le contrôle de la bande de Gaza, jusque-là gouvernée par l’AP, qui est dominée par le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité, dont le siège est en Cisjordanie. Dahlane était à l’époque conseiller à la Sécurité nationale de l’AP, et est en exil depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza. Le Hamas et le Fatah sont restés divisés depuis le coup d’État de 2007.
Les intentions d’Israël ne sont pas encore très claires en ce qui concerne la période d’après-guerre et ce qu’il compte faire une fois le régime du Hamas anéanti. Vendredi dernier, le ministre de la Défense Yoav Gallant a déclaré que la guerre pourrait durer des mois et qu’elle comprendrait une phase intermédiaire au cours de laquelle Tsahal chercherait un nouveau dirigeant pour l’enclave meurtrie, tout en éradiquant les « poches de résistance ». Ce n’est qu’après ce conflit de moindre intensité, qui devrait également durer plusieurs mois, a déclaré Gallant, qu’Israël passerait à la phase finale : la déconnexion de la bande de Gaza.
Le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh, a déclaré dimanche que l’AP n’accepterait de reprendre Gaza que dans le cadre d’une initiative de paix plus large prévoyant la création d’un État palestinien.
Israël est en train de mener une campagne militaire contre le Hamas et multiplie les frappes intensives qui visent les infrastructures terroristes, tout en s’efforçant de minimiser le nombre de victimes civiles, selon Jérusalem. Tsahal a invité environ un million de civils à évacuer la partie nord de la bande de Gaza vers le sud, en prévision de l’incursion terrestre. 700 000 habitants auraient déjà évacué vers le sud, a indiqué l’armée.
L’afflux d’un si grand nombre de réfugiés est à l’origine de pressions dans la partie sud de la bande de Gaza, obligeant l’Égypte à se préparer à l’éventualité d’un afflux de réfugiés à travers la frontière, même si Le Caire a clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas accueillir de réfugiés palestiniens.

Dahlane, qui entretiendrait des liens étroits avec le Président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi, a raillé l’idée que l’Égypte autorise l’entrée de réfugiés dans la péninsule du Sinaï pour soulager la situation à Gaza.
« Qui prendrait la responsabilité qui rentrera dans les annales de l’Histoire, de se voir reprocher par la population arabe d’avoir aidé les Israéliens à déplacer les Palestiniens ? », a-t-il déclaré, tout en soulignant qu’une telle mesure poserait des problèmes de sécurité nationale au régime du Caire.
Lundi, Israël a reconnu que le ministère des Renseignements avait rédigé une proposition de guerre visant à transférer les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza dans la péninsule égyptienne du Sinaï, ce qui a suscité la condamnation des Palestiniens et exacerbé les tensions avec Le Caire.
Le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu a minimisé l’importance du rapport, affirmant qu’il ne s’agissait que d’un exercice hypothétique, d’une « proposition ».
Nabil Abu Rudeineh, porte-parole de Abbas, a déclaré que transfert massif de population de Gaza « équivaudrait à une nouvelle déclaration de guerre ».

Bien qu’il soit basé dans le Golfe, M. Dahlane reste un personnage puissant à Gaza, où il assurait auparavant la sécurité du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et où il a depuis négocié des accords pour faire entrer des fonds et du carburant dans la bande de Gaza.
Depuis, il est devenu impopulaire auprès d’Abbas et, en 2016, il a été condamné par contumace pour corruption par un tribunal palestinien.
L’attaque du Hamas a suscité la condamnation de nombreux pays, mais Dahlane considère la guerre comme une opportunité qui pourrait donner naissance à un État palestinien alors que les pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens sont moribonds depuis des années.
« Il y a trois mois, il n’y avait aucun espoir », a-t-il déclaré. « Qui parlait de la cause palestinienne il y a trois mois ? Personne. Aujourd’hui, tout le monde parle de nos souffrances. »