En limitant la Cour suprême, Bennett dit vouloir « rééquilibrer » la démocratie
Le chef de HaBayit HaYehudi a déclaré que le projet de loi controversé permettant à la Knesset de passer outre le tribunal est sa plus grande victoire : pousser Netanyahu à droite
Les critiques à l’égard d’un projet de loi visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême, qui a reçu l’approbation initiale, ont été viscérales et généralisées, les détracteurs de tous les partis politiques avertissant que la législation supprimerait les freins et contrepoids essentiels et rapprocherait Israël d’un pas supplémentaire de la fin de sa fragile démocratie.
Du côté de l’opposition, le dirigeant de l’Union sioniste Avi Gabbay a déclaré que le projet de loi donnant aux députés la possibilité de contourner une décision de la Cour suprême d’annuler une loi de la Knesset transformerait Israël en « Turquie d’Erdogan », une référence à l’homme fort d’Ankara Recep Tayyip Erdogan et à sa répression contre les institutions de l’Etat. Le président de Yesh Atid, Yair Lapid, a déclaré que cela signifierait que le public n’a plus aucun recours contre la tyrannie du gouvernement. Tamar Zandberg de Meretz a déclaré que cela détruirait les principes fondateurs de la Déclaration d’indépendance d’Israël.
Même le président du parti Koulanou, Moshe Kahlon, pourtant membre de la coalition au pouvoir, a déclaré que la législation « porterait atteinte à l’État de droit » et a juré « de ne pas laisser les factions extrémistes dicter l’ordre du jour de l’État d’Israël ».
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Mais Naftali Bennett, chef du parti HaBayit HaYehudi et ministre de l’Éducation – le promoteur du projet de loi et donc la cible de l’acrimonie de Kahlon – demeure impassible face aux avertissements concernant le danger qui pèse sur la démocratie. En fait, il a déclaré dans un tweet quelques instants après que la commission des Lois a voté en faveur du projet de loi, que l’adoption de la loi constituerait « un grand jour pour la démocratie israélienne ».
Si quelque chose est antidémocratique, c’est la Cour suprême, dont les membres sont choisis, non pas élus, et qui est devenue trop militante dans ses décisions, a récemment dénoncé Bennett, s’adressant au Times of Israel depuis son bureau du ministère de l’Éducation à Jérusalem.
Le fait de redéfinir l’autorité de la Cour suprême améliorerait la démocratie israélienne en donnant le pouvoir au peuple, ce qui est tout à fait légitime, a expliqué M. Bennett.
« La Cour suprême s’est érigée en autorité souveraine, la plus haute autorité dans tous les domaines. Ce n’est pas ce qu’ils sont censés faire. Ils ne sont pas censés gouverner. Nous avons été élus. Ils ne l’ont pas été », a-t-il déclaré au sujet du gouvernement dans lequel il siège, le décrivant comme le véritable arbitre de la volonté du peuple et soutenant que les juges de la cour ne sont pas les représentants de la société israélienne.
« Au cours des 25 dernières années, la Cour suprême a empiété à maintes reprises sur l’autorité du gouvernement », a indiqué M. Bennett.
Les politiciens de droite en Israël ont longtemps cherché à limiter les pouvoirs de la Cour suprême, qui est parmi les plus puissantes du monde démocratique, et sous la direction de Bennett, le parti HaBayit HaYehudi, qui détient le portefeuille de la justice, a fait campagne pour couper les ailes de ce qu’il considère être une cour trop libérale.
Selon Bennett, les pouvoirs de la Cour, qui se sont accrus au fil des ans, n’ont pas de base constitutionnelle claire et lui ont permis de favoriser les politiques libérales et les droits des minorités par rapport aux désirs de la majorité des électeurs. Israël n’a pas de constitution, mais les juristes ont statué dans le passé que ses lois fondamentales agissaient en tant que telle.
« Elle est intervenue dans des domaines où elle ne devrait pas le faire », a-t-il précisé. « Sans cesse, elle interfère dans des affaires alors qu’elle ne devrait pas. »
L’approche interventionniste de la Cour suprême – qui met fortement l’accent sur la protection des droits des minorités – a été mise au point par Aharon Barak, qui a été président de la Cour (l’équivalent israélien du juge en chef) entre 1995 et 2006. De façon controversée, Barak a décrété le principe du trait de « crayon bleu » selon lequel les juges possèdent un droit de veto sur la législation et peuvent rayer des articles ou certains mots.
Depuis lors, la Cour a maintenu la tradition de l’activisme judiciaire, en restant au centre du débat public israélien et en en faisant un paratonnerre pour les critiques de droite.
Les défenseurs de la Cour affirment que dans la société fragmentée d’Israël, où la Knesset fuit fréquemment son obligation de protéger le pluralisme religieux, les libertés civiles et les droits des Palestiniens, la Cour n’a pas d’autre choix que de combler le vide moral et juridique. Le maintien d’un pouvoir judiciaire indépendant, disent-ils, sert de contrepoids au danger d’une « dictature de la majorité » piétinant les droits de ceux qui ne sont pas correctement représentés par le système politique.
Pour Bennett, ce contrepoids est devenu trop lourd.
« Nous avons besoin de freins et de contrepoids, mais les freins et les contrepoids ne sont pas équilibrés. Nous devons rééquilibrer cette question très sensible », a-t-il dit avec insistance.
Tout en refusant de donner des exemples, le chef du parti HaBayit HaYehudi a reconnu qu’il y a des cas où le tribunal doit être en mesure d’annuler une loi pour protéger les droits des minorités.
« Mais, a-t-il souligné, la Cour suprême n’est pas une autorité supérieure au gouvernement pour dire : ‘Nous pensons que cette décision n’est pas assez bonne, alors nous allons annuler votre décision' ».
Pourtant, déplore Bennett, « C’est ce qu’ils font encore et encore ».
Au-delà de leur rôle de plus haute cour d’appel du pays, les juges de la Cour suprême siègent également en tant que Haute Cour de justice, une cour d’équité à laquelle toute personne lésée par une institution de l’État peut s’adresser en temps réel. La Haute Cour, connue sous l’acronyme « Bagatz » en hébreu, a annulé des lois dans leur totalité et arrêté des conflits militaires en cours. Et la Haute Cour s’est aventurée, quoique souvent à contrecœur, dans des questions très controversées relatives à l’identité nationale, comme la reconnaissance des conversions de courants juifs libéraux aux fins de l’immigration, ou le droit des petites communautés de restreindre la résidence à leurs propres sous-groupes ethniques ou religieux étroitement définis.
La question a atteint son paroxysme ces derniers mois avec le conflit politique sur les efforts déployés par le gouvernement pour expulser des dizaines de milliers de demandeurs d’asile africains, peut-être vers des pays jugés dangereux, et pour incarcérer un grand nombre de ceux qui refusent l’expulsion. La Cour suprême a invalidé à plusieurs reprises la politique du gouvernement consistant à maintenir les migrants illégaux en provenance d’Afrique pendant trois ans en détention effective pendant que leur statut de réfugié est à l’étude, provoquant la colère des partis de droite, parmi lesquels Bennett et ses fidèles.
La proposition de HaBayit HaYehudi, connue sous le nom de « clause de contournement », donnerait à la Knesset, par un vote de 61 députés (sur les 120), la possibilité de renverser une décision de la Cour suprême d’annuler une loi de la Knesset comme étant inconstitutionnelle. Dans le cadre de la suppression du droit de veto effectif du tribunal, à court terme, cela permettrait aux parlementaires de modifier la loi de manière à permettre à Israël de procéder à l’expulsion des demandeurs d’asile africains.
« Nous sommes ceux qui sont tenus responsables des politiques, des résultats, de l’économie, de tous les aspects de la vie. C’est la raison d’être du gouvernement. Eux ne le sont pas ! » déclara Bennett, visiblement contrarié.
En fin de compte, a-t-il ajouté, le projet de loi « accroîtrait la capacité du gouvernement à gouverner ».
Il se peut que cette capacité ne se concrétise pas immédiatement.
Malgré l’adoption du vote ministériel clé, la progression du projet de loi a depuis été bloquée par des désaccords entre les partenaires de la coalition, et le Premier ministre Benjamin Netanyahu a accusé Bennett de « mettre la clause de contournement à la poubelle » en exigeant qu’il aille de l’avant immédiatement sans l’appui total de la coalition.
Pour Bennett, cependant, le fait de parvenir à ce point est déjà une victoire et représente ce qu’il décrit comme la plus grande victoire de son parti en cinq ans en tant que jeune partenaire de coalition : pousser le gouvernement, et en particulier Netanyahu, vers la droite.
« Avant notre arrivée en 2013, Netanyahu avait une double personnalité, libérant plus de 1 000 terroristes [dans le cadre de l’accord de 2011 avec le Hamas pour assurer la libération du soldat capturé Gilad Shalit] et qui a laissé les militants du système judiciaire prendre le dessus. Puis, quand je suis arrivé, tout a changé », a dit M. Bennett, faisant référence à l’entrée de son parti dans la coalition après les élections cette année-là.
Netanyahu a exprimé des messages contradictoires au sujet du projet de loi sur la Cour suprême, « il parle de freins et contrepoids au système judiciaire, un sujet qu’il n’a jamais abordé au cours des 22 dernières années ».
« Je pense que, dans une large mesure, mon travail est, tant que Bibi [surnom du Premier ministre israélien] est là, d’être sa colonne vertébrale « , a confié M. Bennett. Il a souri, faisant en sorte que la référence à ceux qui critiquent le projet de loi soit bien comprise. « Une colonne vertébrale d’acier, pour être sûr qu’il ne cède pas. »
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