Il ne faut pas s’appuyer sur les clans locaux pour la gouvernance de Gaza dans l’après-guerre, selon les experts
Cherchant des alternatives au Hamas et à l'Autorité palestinienne, Israël a proposé de confier les affaires civiles à des familles locales - une solution qui a échoué dans le passé et qui ne devrait pas davantage fonctionner aujourd'hui

Israël, qui n’a cessé d’afficher sa réticence à l’idée de mettre au point un scénario pour l’après-guerre à Gaza, a rejeté de manière répétée une proposition soutenue par les États-Unis et par une grande partie de la communauté internationale, une proposition qui envisage le retour de l’Autorité palestinienne à la tête de la bande de Gaza.
Cherchant une alternative aux régimes de l’Autorité palestinienne et du groupe terroriste du Hamas – que l’État juif s’est engagé à éradiquer – Israël a évoqué la possibilité de confier à des clans gazaouis la charge de l’administration des affaires civiles au sein de l’enclave côtière, Israël gardant l’exclusivité du contrôle sécuritaire.
Mais certains experts font part de leurs doutes quant à la faisabilité d’un tel projet – une tentative similaire avait été faite il y a des décennies et elle avait échoué. Mais ce scepticisme affiché par les spécialistes est, expliquent-ils, principalement dû à une réalité nouvelle, celle de l’influence en nette diminution que les clans conservent dans la société contemporaine de Gaza. Ils évoquent aussi le pouvoir des mouvements politiques palestiniens, dont les familles subiraient inévitablement les pressions.
« Les clans sont quelque chose qui appartient au passé », selon Yohanan Tzoreff, chercheur de premier plan à l’Institut d’études de Sécurité nationale à Tel Aviv, expert des relations israélo-palestiniennes.
« On ne pourra pas compter sur eux, » prédit-il.
Dans la structure sociale du monde arabe, les clans sont des groupes de familles forgeant des alliances qui se fondent sur des lignées communes présumées. Dans la bande de Gaza, les clans les plus importants – comme les Dughmush, les Sinwar, les Hilles, les Radwan, et les al-Masri, pour n’en nommer que quelques-uns – peuvent réunir 15 000 à 20 000 membres, explique Dror Zeevi, qui est professeur d’études moyen-orientales au sein de l’université Ben Gourion. A Gaza, chaque clan contrôle habituellement un secteur économique spécifique, que ce soit dans l’agriculture, dans la fabrication ou dans le commerce.
Le principal problème qui se poserait si Israël devait décider de confier aux clans la gouvernance dans la bande de Gaza, selon les deux experts, est qu’il ne sont plus assez puissants, depuis 2008, pour administrer le territoire de manière indépendante et pour rivaliser avec l’influence et le fort ancrage local du Fatah, le parti dirigé par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ou avec l’enracinement du Hamas, le groupe terroriste qui est à la tête de Gaza.
« Si Israël doit prendre la décision de dépendre d’une série de clans, alors les chefs de ces derniers iront rapidement voir l’Autorité palestinienne et c’est auprès d’elle qu’ils prendront les consignes à suivre. Ils ne les prendront pas auprès d’Israël. Ainsi, c’est l’Autorité palestinienne ou le Hamas qui gouverneront la bande, quoi qu’il en soit », dit Zeevi.
Tzoreff est du même avis. « Tous ceux qui iront parler avec Israël dans le dos des mouvements nationalistes auront des problèmes », explique-t-il.

L’establishment israélien de la sécurité a aussi avancé l’idée d’une solution provisoire, où les familles locales auraient la mission de distribuer l’aide humanitaire – une tentative visant à éviter une reproduction de la catastrophe qui était survenue le 29 février. Ce jour-là, des dizaines de personnes qui avaient pris d’assaut, désespérés, des camions transportant de l’assistance humanitaire avaient trouvé la mort.
« Israël peut peut-être passer de petits accords humanitaires avec les clans », note Zeevi. « Mais il n’est pas possible qu’ils puissent être efficaces s’agissant de prendre le contrôle du pouvoir à Gaza. Israël doit choisir entre l’Autorité palestinienne et le Hamas. Il n’y rien d’autre entre les deux ».
Incapables de rivaliser avec les mouvements nationalistes
Jusqu’à la fin des années 1980, les clans avaient joué un rôle central dans les territoires palestiniens. A Gaza, ils étaient organisés au sein d’un conseil des mukhtars – des chefs. Le conseil avait assuré la liaison avec l’administration civile israélienne entre 1967 et le début de la Première Intifada, en 1987.
Certains de ces clans coopéraient alors de manière active avec Israël, comme le clan Hilles qui devait ultérieurement s’affilier au Fatah, en opposition au Hamas et comme la famille Shawwa, « issue de l’aristocratie ». Israël avait d’ailleurs nommé l’un de ses membres maire de Gaza City en 1971.
Réalisant que ces clans pouvaient potentiellement alléger le fardeau de la gestion des affaires civiles, Israël avait même tenté de créer des structures politiques basées sur ces familles à la fin des années 1970 et au début des années 1980, en Cisjordanie. Cela avait été les « associations de village », considérées comme une alternative modérée à l’OLP, ancêtre de l’Autorité palestinienne. Une expérience qui n’avait duré que quelques années, un grand nombre des responsables de ces associations ayant été accusés de trahison par les autres Palestiniens.
Avec le début de la Première Intifada en 1987 – des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour dénoncer la gouvernance israélienne – des mouvements nationalistes palestiniens comme le Fatah, le Front populaire et le Front démocratique s’étaient largement implantés au sein de la société palestinienne. Le Hamas s’était officiellement établi comme groupe islamiste dès les premiers jours de la Première Intifada, et il avait connu une ascension graduelle qui lui avait permis de rivaliser avec les autres partis laïcs.

David Hacham, colonel de Tsahal à la retraite qui avait servi, entre 1985 et 1993, à l’administration des affaires civiles de Gaza, qualifie le début de ses révoltes massives qui avaient eu lieu à l’époque de « changement générationnel » au sein de la société gazaouie. Il se souvient qu’il avait rencontré le chef des mukhtars, Musa Abu Shaban, immédiatement après le commencement de la Première Intifada, au mois de décembre 1987. « Il est arrivé dans mon bureau et il avait les larmes aux yeux. Les jeunes avaient pris le contrôle des rues. Il avait peur d’avoir perdu son pouvoir », raconte-t-il au Times of Israel.
Avec ce début de la Première Intifada, les groupements politiques avaient rendu les structures claniques obsolètes dans la gouvernance plus large de l’enclave côtière.
« Tous les clans ont perdu leur importance », dit Tzoreff. « Les Mukhtars qui parlaient avec Israël, avant l’Intifada, ont perdu toute pertinence aux yeux de leur communauté. Israël a également cessé de leur parler, s’entretenant plutôt avec ceux qui étaient à la tête de l’Intifada ».
Les clans ont néanmoins gardé le contrôle de larges secteurs de l’économie et ils conservent une influence considérable au niveau local. Après le désengagement unilatéral de la bande de Gaza décidé par Israël, en 2005, certains clans avaient rempli la vacance du pouvoir en mettant en place des zones quasiment autonomes, dotées de leurs propres milices, de leur propre système judiciaire et de leur propre système de soins officieux, selon un rapport qui avait été rédigé en 2007 par le Crisis Group, un think-tank de gauche dont le siège se trouve à Bruxelles et qui œuvre à promouvoir des solutions politiques aux conflits.
Mais quand le Hamas s’était saisi du pouvoir en 2007, il avait initialement affronté violemment les clans. Certaines familles puissantes, comme la famille Abu Samhadana à Rafah, s’étaient enrichies en contrôlant les tunnels souterrains, construits des décennies auparavant, qui permettaient le trafic des personnes et des biens depuis l’Égypte jusque dans la bande, mettant en difficulté la gouvernance du groupe terroriste. Certains clans avaient aussi leurs milices.
Après des affrontements violents avec les clans en 2008, toutefois, le parti islamiste avait trouvé un « modus vivendi » avec les familles, note Zeevi, respectant leurs dirigeants et évitant les interférences.
Certains clans avaient commencé à coopérer étroitement avec le Hamas et d’autres avaient gardé leurs distances, notamment ceux qui étaient plus en phase avec le Fatah et avec l’Autorité palestinienne. Mais même ces derniers avaient été dans l’obligation de « couvrir leurs arrières », explique Zeevi, envoyant certains membres travailler au sein des institutions placées sous la responsabilité du Hamas pour établir un semblant de collaboration avec le groupe terroriste.

« On ne peut pas remonter l’horloge de l’Histoire »
Au cas où Israël conserverait le contrôle de Gaza après la guerre, Hacham, le colonel à la retraite, présume que dans la société conservatrice et traditionnelle qui est celle de Gaza, les structures centrées autour des familles pourront encore être une force dominante et assurer la liaison entre le gouvernement israélien et la population locale. Selon Hacham, les clans restent une alternative qui est préférable à l’Autorité palestinienne, en forte difficulté, perçue par les Palestiniens comme corrompue, inefficace et qui a déjà perdu le contrôle de certains secteurs de la Cisjordanie.
Tzoreff, pour sa part, ne croit pas qu’Israël devra contrôler à long-terme les affaires civiles et militaires au sein de l’enclave côtière : « Aucun de nos partenaires, à l’international, ne souhaitera coopérer avec nous », avertit-il. Il ne voit aucune alternative autre à un gouvernement palestinien « redynamisé » qui gouvernera la bande – ce qui est la vision promue par les Américains.
Pour Tzoreff, cette perte de pouvoir des clans, une perte qui s’est faite au profit des mouvements politiques nationalistes, a été la conséquence inévitable du développement d’une conscience nationale palestinienne depuis la Première Intifada, lorsque le conflit s’était propagé à toute la Cisjordanie et à toute la bande de Gaza.
« Dans toutes les sociétés, il y a une phase initiale où la communauté se centre autour des familles et des tribus. A un stade ultérieur, l’idée d’appartenance à un peuple émerge. Et cela s’applique aussi aux Palestiniens », ajoute Tzoreff. « Est-ce que quelqu’un croit vraiment qu’on va pouvoir remonter l’horloge de l’Histoire et ramener les Palestiniens à l’époque où ils ne se considéraient pas comme un peuple ? C’est complètement insensé. On ne peut pas inverser ce processus ».
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