Jérusalem-Est : En plein été, Kafr Aqab ne reçoit de l’eau que 12 heures par semaine
La municipalité a vu sa population exploser ces dernières années, mais les infrastructures et l'approvisionnement en eau n'ont pas suivi ; les habitants réclament des solutions
La colère monte depuis quelques semaines dans le quartier de Kafr Aqab, à Jérusalem-Est, car les habitants palestiniens ont vu leur approvisionnement en eau réduit à seulement douze heures par semaine.
Les habitants sont informés à l’avance de l’heure à laquelle ils peuvent ouvrir leurs robinets, et pendant ces quelques heures, ils doivent s’organiser pour que toute la famille puisse se doucher, faire la lessive et nettoyer leur maison.
Beaucoup sont obligés d’acheter de l’eau à des fournisseurs privés à un prix élevé pour faire face aux pénuries au plus fort de la chaleur estivale.
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« C’est intenable », a déclaré le président du conseil du village, Samir Abu Khalaf, au Times of Israel. « Nous sommes des résidents de la municipalité de Jérusalem, nous payons des taxes municipales et des taxes israéliennes. Nous devrions bénéficier des mêmes droits et services que tous les autres résidents. »
Hassan Halawani, qui a emménagé dans le quartier il y a six ans, est du même avis. « Il n’y a aucun autre pays développé dans le monde qui doive faire face à une crise de l’eau comme celle que nous connaissons à Kafr Aqab. »
La pénurie d’eau est la dernière d’une longue série de perturbations qui affectent ce quartier densément peuplé, la banlieue la plus septentrionale de Jérusalem, située à l’intérieur des frontières municipales mais au-delà de la barrière de sécurité érigée pendant la Seconde Intifada.
Aujourd’hui, Kafr Aqab a pratiquement fusionné avec la zone métropolitaine de Ramallah, toute proche, mais elle fait toujours partie administrativement de la capitale israélienne, qui, sur le papier, est responsable de la fourniture des services de base à ses résidents.
Un no man’s land à l’intérieur de Jérusalem
Lors de la Guerre des Six Jours en juin 1967, Israël fut contraint de contre-attaquer rapidement et repris Jérusalem-Est, qui était sous contrôle jordanien, et l’a officiellement réunifiée à sa capitale Jérusalem en 1980.
Sur une carte de la ville, le quartier de Kafr Aqab semble déconnecté du reste de la ville, s’avançant loin au nord des autres quartiers arabes.
La raison de son intégration dans les limites de la ville est qu’il jouxte l’aéroport de Qalandiya, construit par les Britanniques en 1920. Après 1967, les autorités israéliennes ont envisagé de rétablir un aéroport international dans la capitale réunifiée, mais les compagnies aériennes étrangères l’ont boycotté. Il a continué à être utilisé comme aéroport domestique jusqu’à la Seconde Intifada, au début des années 2000.
« Israël voulait conserver la Terre, mais pas la population », explique Aviv Tatarsky, de l’organisation de gauche Ir Amim, qui suit les politiques gouvernementales à Jérusalem-Est.
La construction de la barrière de sécurité entre Israël et certaines parties de la Cisjordanie pendant la Seconde Intifada a coupé les parties extérieures de Jérusalem-Est, laissant certaines zones à l’extérieur, y compris Kafr Aqab.
En raison de son emplacement, au cours des vingt dernières années, les autorités israéliennes sont devenues laxistes dans l’application de la loi à Kafr Aqab, pour le meilleur ou pour le pire.
Alors que dans le reste de Jérusalem-Est – et dans les villes arabes d’Israël en général – les permis de construire sont très difficiles à obtenir, Kafr Aqab a connu une augmentation considérable des constructions sauvages, avec de nombreuses tours résidentielles atteignant jusqu’à quinze étages.
Les appartements sont abordables et attrayants pour les familles et les jeunes couples qui souhaitent conserver leur résidence à Jérusalem. La plupart des Palestiniens de Jérusalem-Est ne sont pas des citoyens israéliens et perdraient leur droit de vivre dans la ville s’ils quittaient les limites de la municipalité pour une période prolongée.
Kafr Aqab, qui n’était qu’une zone rurale verdoyante comptant quelques milliers d’habitants en 1967, abrite aujourd’hui jusqu’à un tiers des 360 000 résidents arabes de Jérusalem.
Les autorités israéliennes ne sont pas en mesure de fournir des données démographiques fiables pour ce quartier – qui selon le dernier chiffre officiel, datant de 2017, ne compte que 24 000 habitants, mais les résidents et les organisations à but non lucratif estiment que la population se situe entre 80 000 et 120 000 personnes. Ces chiffres élevés sont confirmés par un rapide coup d’œil depuis le toit de l’un des nombreux gratte-ciel. Une mer d’immeubles s’étend dans toutes les directions.
Les prix de l’immobilier dans cette banlieue tentaculaire sont nettement inférieurs à ceux du reste de Jérusalem-Est – Halawani a signalé que les appartements sont en vente à 400 000 shekels, contre 2,5 à 3 millions de shekels de l’autre côté de la barrière de sécurité.
Et contrairement aux communautés arabes à l’intérieur d’Israël, où les mesures de répression sont fréquentes pour lutter contre les constructions illégales, les bâtiments de Kafr Aqab ne risquent pas d’être démolis du fait de l’application laxiste de la loi.
Les habitants apprécient le faible coût de la vie et la proximité de Jérusalem et de Ramallah, mais la vie ici présente également d’innombrables difficultés. Le seul moyen d’accéder à Jérusalem est de passer par le poste de contrôle militaire de Qalandiya, qui est en proie à d’énormes embouteillages à presque toute heure de la journée.
Le passage a été fermé pendant environ deux mois après le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre, coupant les habitants de leur lieu de travail, de leur famille et des services médicaux.
Les services municipaux sont plus rares dans ce quartier que dans le reste de la ville. Le ramassage des ordures est moins fréquent et la police s’aventure rarement à l’intérieur, ce qui confère à la zone une réputation de no man’s land et de zone de non-droit. En raison de l’insuffisance des infrastructures et des routes non goudronnées, Kafr Aqab est souvent inondé par les pluies d’hiver.
Qui est responsable de l’approvisionnement en eau ?
La pénurie d’eau estivale est un problème récurrent qui a atteint des niveaux sans précédent cette année. Il n’y a pas de coupable tout désigné à cette crise.
Contrairement au reste de Jérusalem-Est, qui reçoit l’eau du fournisseur municipal HaGihon, les habitants de Kafr Aqab sont desservis par une compagnie des eaux palestinienne basée à Ramallah, appelée « Jerusalem Water Undertaking », qui achète l’eau à l’entreprise publique israélienne Mekorot.
La Jerusalem Water Undertaking distribue l’eau à d’autres régions de Cisjordanie au prorata de la population locale. Cependant, comme le nombre réel de résidents de Kafr Aqab est bien plus élevé que les chiffres officiels – que les autorités de Ramallah ne peuvent pas vérifier, puisque la zone n’est pas sous leur juridiction – la quantité d’eau qu’elle reçoit n’est pas proportionnelle à l’explosion de sa population.
Pour pallier la pénurie d’eau, les habitants ont acheté de grands réservoirs d’eau afin de garantir l’approvisionnement lorsque les canalisations sont vides. Chaque réservoir a une capacité de 1 500 litres et coûte 1 500 shekels par mois.
Ces réservoirs sont placés par dizaines sur les toits des immeubles hauts de dix à quinze étages, ce qui fait peser des dizaines de tonnes sur des structures construites sans permis et met en péril leur stabilité. Les militants affirment qu’ils constituent une bombe à retardement et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un toit ne s’effondre.
Alors que la crise persiste, les habitants font pression sur les autorités pour qu’elles trouvent une solution permanente. Le samedi, certains manifestent devant l’agence locale de la compagnie palestinienne des eaux pour obtenir une augmentation de la quantité allouée, mais leur principale revendication est d’être raccordés au réseau municipal de Jérusalem et de recevoir de l’eau de HaGihon.
Pour cela, il faudrait une décision de l’Autorité israélienne de l’eau (IWA), l’organe de régulation du gouvernement israélien.
La municipalité de Jérusalem a organisé des réunions régulières avec les représentants de la communauté de Kafr Aqab pour trouver des solutions, a déclaré un porte-parole du maire Moshe Lion, car l’administration vise à « assumer la responsabilité de l’ensemble de la ville unie de Jérusalem ». Le bureau du maire a blâmé le « comportement irresponsable de l’Autorité palestinienne » pour les pénuries actuelles.
L’IWA a réitéré, en réponse à une enquête du Times of Israel, que l’approvisionnement en eau de Kufr Aqab est de la responsabilité de l’entreprise Jerusalem Water Undertaking, basée à Ramallah, qui n’a pas répondu à une demande de commentaires.
L’IWA a ajouté que la loi interdit de fournir de l’eau à des structures illégales, mais qu’au vu de la situation, un développement de l’infrastructure a été approuvé pour augmenter la quantité pompée dans cette zone, qui devrait être achevée en 2026.
Il n’est toutefois pas clair si la société palestinienne augmenterait son allocation à Kafr Aqab même si elle reçoit un approvisionnement plus important d’Israël. Un militant qui a refusé d’être nommé a rapporté qu’il y a trois semaines, les résidents ont exigé que la société de Ramallah signe une garantie écrite selon laquelle elle répercuterait l’augmentation sur ses consommateurs à Kafr Aqab, mais cette dernière a refusé de prendre cet engagement.
Le problème est aggravé par le fait que les communications entre l’entreprise et les autorités israéliennes sont pratiquement rompues depuis le 7 octobre, les entités palestiniennes évitant les activités de « normalisation » avec Israël, a souligné le militant.
Si le fournisseur palestinien prend cet engagement, alors Mekorot, la société qui distribue l’eau sous l’autorité de l’IWA, a déjà accepté à huis clos d’augmenter sa dotation, a déclaré le militant.
Entre-temps, la crise a atteint la Cour suprême et la Knesset.
Le 7 août 2024, les habitants de Kafr Aqab, l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) et Ir Amim ont déposé un recours devant la Haute Cour de justice pour réclamer un approvisionnement régulier en eau dans ce quartier. Le recours faisait valoir qu’au lieu d’assumer leurs responsabilités, les autorités se renvoyaient la balle entre elles et avec l’AP, se soustrayant ainsi à leurs obligations légales.
À la Knesset, un débat sur le sujet a eu lieu le 11 août au sein de la sous-commission des Finances chargée de la surveillance du système d’approvisionnement en eau, le deuxième en autant de mois. Cette sous-commission est présidée par Zeev Elkin, un député de droite qui avait rompu avec le Likud en 2020 et siège aujourd’hui dans les rangs de l’opposition au sein du parti HaMahane HaMamlahti.
Le débat a souligné à quel point les autorités israéliennes ont négligé le problème. Trois représentants de l’IWA, de la municipalité de Jérusalem et de la compagnie des eaux de la ville, HaGihon, n’ont respectivement pas pu dire qui effectue les travaux d’entretien des canalisations d’eau à Kafr Aqab – puisque la compagnie des eaux palestinienne n’est pas autorisée à opérer sur le territoire israélien.
En coulisses, les parties prenantes tentent de trouver des solutions temporaires et permanentes à la crise.
Sondos Alhoot, à la tête d’une liste arabe qui s’est présentée lors des dernières élections municipales de Jérusalem, a pris la tête d’une initiative visant à explorer les réponses possibles au problème avec les habitants et les autorités. Yossi Abramowitz, un militant de l’équipe d’Alhoot, a déclaré au Times of Israel qu’une solution immédiate en cours d’évaluation consisterait à ce que le fournisseur d’eau municipal de Jérusalem, HaGihon, envoie chaque jour des dizaines de camions-citernes à Kafr Aqab pour fournir de l’eau potable aux habitants.
Abramowitz a souligné que l’absence de volonté politique de résoudre le problème et la discrimination et la négligence qui en résultent pour des dizaines de milliers d’habitants de Jérusalem constituent un risque concret de perte de la souveraineté israélienne sur certaines parties de la capitale.
Une option plus futuriste envisagée consiste à déployer une technologie israélienne de pointe pour extraire l’eau de l’air – les systèmes AWG (générateur d’eau atmosphérique).
À moyen et long-terme, HaGihon pourrait louer le réseau de canalisations de Kafr Aqab à la société palestinienne pour un prix symbolique, et le relier au système de distribution d’un nouveau quartier ultra-orthodoxe en construction sur le site de l’aéroport abandonné de Qalandiya, adjacent à Kafr Aqab.
Bien qu’il n’y ait toujours pas de solution rapide et viable à ce problème urgent, il est clair que certains politiciens prennent note de son absurdité. Lors de la réunion de la sous-commission des Finances du 11 août, Elkin a ouvert la discussion en déclarant sans ambages : « Il n’est pas possible qu’en 2024, l’approvisionnement en eau d’un quartier israélien soit pire que celui de Gaza, qui est en état de guerre. »
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