Jimmy Carter, négociateur de paix, critique des implantations, défenseur des Juifs soviétiques et des droits de l’Homme
Le président américain, qui avait négocié l'accord de paix historique entre Israël et l'Égypte mais qui était devenu un paria auprès de certains Juifs suite à ses critiques d'Israël, est mort à l'âge de 100 ans
WASHINGTON (JTA) – Jimmy Carter, le président au seul et unique mandat qui avait négocié les accords historiques de Camp David entre Israël et l’Égypte – mais qui était devenu un paria pour certains membres de la communauté juive pour ses critiques à l’égard d’Israël – s’est éteint à l’âge de cent ans.
Carter, qui aura conservé des activités jusqu’à la fin de sa vie – malgré un cancer du foie diagnostiqué en 2015 – est décédé dimanche à l’âge de 100 ans à son domicile à Plains, en Géorgie. Sa mort a été annoncée par l’ONG qu’il avait fondée.
Le travail effectué par Carter à Camp David, en 1978, avait débouché sur le premier traité de paix conclu entre Israël et un État arabe, changeant radicalement le paysage du Moyen-Orient. Ce traité avait permis d’éloigner – pour la toute première fois dans toute l’histoire de l’État juif – le spectre d’une menace régionale. Pour ce faire, pendant treize jours, Carter avait rédigé de sa propre main 23 projets d’accord, négociant séparément avec les deux parties lorsqu’il était devenu évident qu’elles ne pourraient pas parvenir ensemble à un arrangement.
Dans les années qui avaient suivi son départ de la Maison-Blanche, Carter devait émettre des critiques de plus en plus vives à l’égard d’Israël, publiant en en 2006 un livre qui était intitulé « Palestine : Peace Not Apartheid ». Alors que les débats soulevés par l’ouvrage avaient amené certains membres de la communauté juive à accuser l’ancien président d’antisémitisme, d’autres considèrent aujourd’hui que cet épisode aura plongé dans l’ombre un legs pourtant digne d’être salué.
« C’est injuste de ne pas appréhender Carter dans le contexte de tout ce qu’il a pu accomplir », estime Stuart Eizenstat, qui a été son principal conseiller en matière de politique intérieure et qui est aujourd’hui conseiller spécial pour les questions relatives à la Shoah au sein du département d’État. « Il devrait être considéré comme un héros ».
En 1978 – c’était contre l’avis de ses conseillers – Carter avait invité le Premier ministre israélien de l’époque, Menachem Begin, et le président égyptien, Anwar Sadat, au lieu de villégiature officiel des présidents des États-Unis – à Camp David, qui se trouve dans les montagnes de Catoctin, à proximité de Washington. La cote de popularité de Carter était alors au plus bas, l’économie s’était effondrée et ni Begin, ni Sadat ne semblaient prêts à conclure l’accord qui permettrait de justifier une telle dépense de temps et de bonne volonté de la part du président. Mais contre toute attente, Carter avait gagné son pari.
« Carter a été le héros de Camp David », selon Aharon Barak, qui a longtemps présidé la Cour suprême israélienne et qui était un ancien conseiller de premier plan de Begin. « Nous sommes restés, je crois, huit ou neuf jours ensemble. Nous mangions, nous faisions une prière, nous réfléchissions aux problèmes et nous restions assis sur nos chaises jusqu’à tard, jusqu’à très tard dans la nuit. Quel autre président des États-Unis aurait été prêt à faire ça ? »
Carter voulait que l’accord puisse inclure un calendrier concernant la fin des implantations israéliennes – le sujet avait finalement toutefois été laissé de côté. Ces dernières années, sa frustration non-dissimulée à l’égard du développement des implantations – et de manière plus générale à l’égard du gouvernement israélien – avait entraîné une forte réprobation et des attaques au vitriol au sein du monde juif.
Carter avait souvent fustigé sans ménagement les dirigeants israéliens, la politique pro-implantation et le maintien de la présence juive dans les territoires palestiniens. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a souligné qu’il n’avait pas rencontré Carter lors du voyage qui avait été effectué par l’ancien président américain en Israël, en 2015. Carter, de son côté, avait confié aux médias qu’une solution à deux États resterait hors d’atteinte tant que Netanyahu resterait au pouvoir tout en affirmant que le Hamas, le groupe terroriste palestinien, s’intéressait à la paix.
Mais cela avait été son livre paru en 2006 qui avait causé le plus d’irritation au sein de la communauté juive. Le texte avait été largement critiqué pour son analyse biaisée de l’échec des négociations de paix. L’utilisation du terme « apartheid » – l’ancien président devait ultérieurement prendre ses distances face à ce terme et il devait hésiter à l’utiliser en public – avait ajouté à la colère.
« Ce titre vise à ôter toute légitimité à Israël dans la mesure où si Israël est effectivement une nouvelle Afrique du Sud, alors le pays ne mérite pas vraiment d’être un État démocratique », avait estimé Abraham Foxman, qui était alors le directeur national de l’Anti-Defamation League. « C’est un titre provoquant, scandaleux, qui frôle le fanatisme ».
En 2009, dans un courrier communiqué exclusivement à la JTA, Jimmy Carter avait offert la prière « Al Chet », une prière d’expiation, pour toute parole prononcée de sa bouche et susceptible d’avoir pu « stigmatiser Israël ».
Jimmy Carter avait été un fervent défenseur des droits des Juifs soviétiques, dès la première heure. Après l’arrestation de Natan – alors Anatoly – Sharansky en 1977, l’épouse de ce dernier, Avital, avait exercé des pressions sur la Maison Blanche en lui demandant qu’elle apporte publiquement « la preuve » que son mari n’était pas un espion américain. Dans le cadre d’une initiative très inhabituelle, Carter avait accepté.
En 1978, Carter avait posé les fondations du musée de commémoration de la Shoah, aux États-Unis, en créant la Commission présidentielle sur la Shoah. Présidée par Elie Wiesel, la commission avait recommandé la mise en place d’un musée national à Washington.
Pendant la révolution iranienne de 1979, les Juifs iraniens qui tentaient de fuir vers les États-Unis s’étaient heurtés à des obstacles dans les consulats, à l’étranger. Eizenstat et Robert Lipschutz, conseiller de la Maison Blanche, étaient parvenus à convaincre Carter de créer un visa spécial et temporaire qui avait permis à quelque 50 000 Juifs iraniens d’entrer aux États-Unis après la chute du shah. Ce visa devait être finalement aussi utilisé par les chrétiens et par les bahais en provenance de la toute nouvelle république islamique.
Mais les années de sa présidence – des années qui avaient été marquées par des difficultés économiques et par la crise des otages iraniens, avec 52 Américains qui avaient été retenus en captivité par des étudiants iraniens pendant 444 jours – auront, avec le temps, plongé dans l’ombre ses victoires en matière de politique étrangère. L’échec de Carter à se faire réélire en 1980 a souvent été attribué à son manque de fermeté en Iran. Au cours de ce scrutin, Carter n’avait obtenu que 45 % du vote juif, un niveau historiquement bas pour un candidat démocrate à sa réélection.
James Earl Carter, Jr. était né à Plains, « une petite ville du sud de la Géorgie qui compte 683 habitants », comme il aimait à le dire. Comme son père avant lui, Carter était cultivateur de cacahuètes. Il avait épousé Rosalynn en 1946. Le couple avait eu quatre enfants.
Carter avait ressenti de manière très forte la nécessité de s’attaquer aux violences raciales inscrites dans toute l’Histoire du sud des États-Unis. Il n’avait pas intégré le Conseil des citoyens blancs lorsqu’il était revenu de ses huit années de service dans la marine américaine. C’était en 1953, son père venait de mourir et Carter ôtait l’uniforme pour épouser la vie d’agriculteur. Sa carrière politique avait commencé au sein du conseil scolaire. Il était ensuite devenu membre du Sénat de l’État de Géorgie, puis gouverneur.
C’était lorsqu’il avait occupé ce poste – il devait, là aussi, conserver cette fonction le temps d’un unique mandat – qu’il avait prononcé des paroles restées célèbres : « Le temps de la discrimination raciale est révolu ». Carter aura toujours voulu être le défenseur des opprimés.
Homme profondément religieux, Carter n’avait pas hésité à décrire sa relation avec Dieu lors de la campagne présidentielle de 1976. Au cours de son premier voyage en Israël, en 1973, il avait demandé à pouvoir se baigner dans les eaux du Jourdain. Dans son livre, il racontait que durant ce même voyage, lors de sa rencontre avec Golda Meir, qui était alors Première ministre, il lui avait dit que rien de bon n’était arrivé aux Juifs quand ils s’étaient détournés de Dieu. La Première ministre laïque était restée perplexe.
Au cours des 45 années qui avaient suivi sa défaite face à Ronald Reagan – Carter tentait alors de se faire réélire – ce dernier a été largement salué pour ses travaux en faveur des droits de l’Homme, dans la lutte contre la faim et dans la promotion d’élections libres dans le monde entier. Des activités qui étaient menées par le biais du Centre Carter, l’organisation à but non lucratif qu’il avait fondée en 1982 avec son épouse et dont le siège est à Atlanta.
Les engagements religieux de Carter auront tenu un rôle dans son désir ardent de chercher la paix au Moyen-Orient et dans son travail sur la pauvreté et la résolution des conflits, un travail qu’il n’aura jamais abandonné après son départ de la Maison-Blanche. Il était membre des Elders, un collectif mondial d’anciens hommes d’État œuvrant pour la paix et les droits de l’Homme. En 2002, il avait reçu le prix Nobel de la paix.
« Dans le judaïsme, nous disons Kol Yisrael arevim zeh bazeh (tous les Juifs sont responsables les uns des autres », avait commenté Tamara Cofman Wittes lors d’une interview accordée en 2015, alors qu’elle était directrice du Center for Middle East Policy à la Brookings Institution. « Je pense que pour le président Carter, ce sentiment s’applique à toute l’Humanité ».
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.