La Bosnie accuse l’envoyé israélien de nier le génocide de Srebrenica
L'ambassadeur d'Israël en Serbie critiqué pour avoir dit à un média russe que qualifier le massacre de Srebrenica en 1995 de génocide "diminuait l'importance du terme"
Un diplomate israélien en poste dans les Balkans a essuyé de nombreuses critiques cette semaine pour avoir affirmé à la presse d’État russe que le tristement célèbre massacre, en 1995, de plus de 8 000 hommes et garçons musulmans bosniaques ne constituait pas, à ses yeux, un génocide.
S’adressant à l’agence de presse Sputnik, contrôlée par le Kremlin, Yahel Vilan, ambassadeur d’Israël en Serbie, a déclaré que qualifier de génocide l’exécution massive commise par les troupes serbes de Bosnie dans la ville de Srebrenica « diminue l’importance de ce terme, qui, à mon avis, ne devrait être utilisé que dans le cas d’un génocide ».
« Et Israël a été traduit à La Haye en raison du prétendu génocide à Gaza. Pour moi, Srebrenica ne devrait pas être qualifié de génocide », a affirmé Vilan, en référence à la récente motion sud-africaine accusant Israël de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ).
Les tribunaux internationaux de La Haye ont qualifié les crimes commis à Srebrenica de génocide, le premier en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Des officiers supérieurs et des dirigeants politiques des Serbes de Bosnie ont également été reconnus coupables de génocide par les juges de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Les remarques de Yahel Vilan sont tenues alors même que des politiciens musulmans bosniaques font pression pour l’adoption d’un projet de résolution de l’ONU visant à commémorer le génocide. Bien que la mesure soit soutenue par un certain nombre de pays européens et par les États-Unis, le diplomate a déclaré qu’il ne savait pas comment Israël voterait sur la question.
En réponse, le ministre bosniaque des Affaires étrangères, Elmedin Konaković, a décrié les « remarques honteuses » de Vilan, affirmant que de tels propos étaient « non seulement profondément erronés, mais aussi une insulte aux victimes et aux survivants du génocide de Srebrenica, ainsi qu’à tous ceux qui défendent la vérité et la justice au sein de la communauté internationale. »
Reakcija MVP BiH @DinoKonakovic na sramne stavove ambasadora Izraela u Srbiji @AmbassadorVilan:
"U svojstvu ministra vanjskih poslova Bosne i Hercegovine, osjećam dužnost da se oštro suprotstavim sramnoj izjavi ambasadora Izraela u Srbiji @AmbassadorVilan , koji je izjavio da…
— Ministry of Foreign Affairs of BiH (@mfa_bih) April 27, 2024
« Je rappelle à l’Ambassadeur Vilan qu’il ne s’agit pas de rivaliser de souffrances en comparant la Shoah et le génocide de Srebrenica, mais de reconnaître que toute victime de crimes contre l’humanité mérite le même honneur et la même justice. Minimiser les crimes de Srebrenica sous prétexte de l’importance de la terminologie est non seulement intellectuellement malhonnête, mais aussi moralement contestable ».
Vilan, a-t-il poursuivi, est « une honte pour la diplomatie et pour l’humanité ».
Le directeur du Mémorial du génocide de Srebrenica, Emir Suljagic – un survivant du massacre qui a fait l’objet d’une campagne de rhétorique antisémite pour avoir refusé de condamner Israël après le 7 octobre – a également condamné la déclaration de Vilan, affirmant que ce dernier « ne parle pas au nom du peuple [juif], et surtout pas au nom des victimes de la Shoah. »
Alors que « jusqu’à ce moment, Israël a rempli ses obligations internationales en extradant les personnes accusées de génocide à la demande de la Cour de Bosnie-Herzégovine », les propos de son ambassadeur « franchissent une ligne rouge », a-t-il poursuivi, ajoutant « qu’aucun mémorial de la Shoah ne remet en cause aujourd’hui le génocide de Srebrenica. »
Suljagic a été rejoint dans son opprobre par de hauts responsables de la communauté juive de Bosnie.
S’exprimant par téléphone depuis Sarajevo, Jakob Finci, président de la communauté juive de Bosnie, a déclaré que Vilan avait compliqué la tâche de ses électeurs.
De nombreux Bosniaques sont déjà opposés à Israël en raison de la guerre à Gaza et le fait de nier que Srebrenica a été un massacre ne fait qu’exacerber ces tensions, a-t-il déclaré, spéculant que les remarques de l’ambassadeur étaient liées au conflit.
« Ils ont un peu peur des résultats finaux à Gaza et craignent que certains pays se saisissent de la justice, comme l’Afrique du Sud, [en arguant] qu’il s’agit d’un génocide à Gaza. Il est donc préférable de rester dans l’autre camp, de nier que tout type de crime puisse être qualifié de génocide », a-t-il déclaré.
Une telle approche pourrait avoir des répercussions sur Israël, a ajouté Vladimir Andrle, président de l’organisation philanthropique de la communauté juive La Benevolencija.
« En niant le génocide de Shoah, nous ouvrons la porte aux négationnistes qui pourront utiliser la même logique et nier les verdicts qui établissent le génocide contre les Juifs et les tribunaux qui ont rendu ces verdicts », a-t-il déclaré dans un message WhatsApp.
« J’espère que cette position est celle d’un ambassadeur et non la position officielle de l’État d’Israël. »
Depuis la fin de la guerre de 1992-1995, la Bosnie-et-Herzégovine reste divisée sur le plan ethnique et tendue sur le plan politique. Ce pays des Balkans en proie à des troubles aspire à devenir membre de l’Union européenne (UE), mais les divisions internes – qui ont été considérablement exacerbées par les débats sur l’héritage du conflit – ont entravé les efforts déployés en ce sens.
Milorad Dodik, le chef séparatiste des Serbes de Bosnie, qui contrôlent environ la moitié de la Bosnie, a menacé de faire sécession si la résolution sur Srebrenica était adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU).
Afin de s’assurer le soutien de Jérusalem à cette mesure, Zeljka Cvijanovié, membre serbe de la présidence tripartite du pays, a écrit directement à l’envoyé israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, le mois dernier.
Dans sa lettre, Zeljka Cvijanovié a affirmé que la résolution, proposée par des politiciens bosniaques, était « en violation flagrante du cadre constitutionnel de la Bosnie-et-Herzégovine » et que son adoption « provoquerait des dissensions internes en Bosnie-et-Herzégovine, compromettant gravement la réconciliation interethnique qui est vitale pour son avenir ».
Sous couvert d’anonymat, un responsable israélien au fait de la question a confié au Times of Israel que « des responsables de haut niveau des deux camps en Bosnie… sont impatients de voir comment Israël va voter ».
« Notre vote revêt une grande importance en raison notamment de la Shoah », a observé le responsable, ajoutant que la position d’Israël sur Srebrenica a toujours été « assez vague. »
« Il y a seulement deux ans, Israël a été la force motrice pour amener l’AGNU à condamner la négation de la Shoah. Et en 2013, Israël a agi de manière légale et morale en extradant un Serbe bosniaque accusé d’avoir participé au massacre de Srebrenica pour qu’il soit jugé en Bosnie », a expliqué Menachem Rosensaft, professeur de droit à l’université Cornell et expert en génocide.
« Il serait inadmissible de voir Israël se ranger du côté de la Republika Srpska, de la Serbie et très probablement de la Russie en s’opposant – ou même en s’abstenant – à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies », a affirmé l’ancien conseiller général du Congrès juif mondial.
« Alors que le fossé entre Juifs et Musulmans du monde entier se creuse de plus en plus, montés bien trop souvent les uns contre les autres par des dirigeants politiques et religieux désireux d’attiser les flammes de la haine et de la paranoïa, il nous faut à tout le moins faire front commun en accordant aux victimes bosniaques du génocide de Srebrenica le même respect et la même dignité qu’aux victimes juives de la Shoah. »
Les politiciens bosniaques et serbes ont déjà tenté par le passé de mobiliser les politiciens et les universitaires israéliens dans le cadre de la bataille sur l’héritage de Srebrenica – l’ancien ministre des Affaires étrangères bosniaque Bisera Turkovic avait explicitement appelé en 2021 le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Yair Lapid, à intervenir dans une bataille intérieure sur la législation relative à la négation du génocide.
L’année suivante, Lapid, alors Premier ministre, a réprimandé un diplomate israélien pour être intervenu dans un débat politique interne controversé en Bosnie sur la réforme électorale.
À l’heure de publication de cet article, le ministère des Affaires étrangères israélien n’avait pas répondu à une demande de commentaire.