La principale femme rabbin de France tente de répondre au patriarcat
Alors qu’elle déplore le manque de créativité communautaire, Madame Le Rabbin Delphine Horvilleur, récemment décorée, s'affiche comme étant une chef de file pour un judaïsme français en évolution
PARIS – En France, où les femmes rabbins sont loin d’être la norme, l’on peut désormais considérer le climat actuel troublant comme une opportunité d’éveiller la créativité de la communauté juive.
Un des effets directs de l’antisémitisme et des menaces qui y sont inhérentes, suggère Madame le Rabbin Delphine Horvilleur, est l’isolement grandissant et le traditionalisme de la communauté juive.
« Je ne remets pas en cause les situations qui demandent à être gérées. Mais l’engagement juif doit aller au-delà. Et nous avons besoin de la créativité des juifs de France. C’est ce que j’essaye de faire », confie Horvilleur.
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Horvilleur, âgée de 41 ans, est l’une des trois femmes rabbin de l’Hexagone qui abrite la deuxième communauté juive de la diaspora. Elle est à la tête de la communauté libérale qui compte près de 1 500 familles. Elle cherche aussi à ouvrir de nouveaux horizons au sein de la tradition patriarcale du rabbinat français.
Elevée dans un environnement orthodoxe, Horvilleur a pris la direction du rabbinat suite à sa passion pour l’étude du Talmud. Aujourd’hui, elle remplit le rôle de chef de file pour une nouvelle génération qui fait face à des circonstances complexes. Elle maintient des liens avec ses collègues et dirige une publication trimestrielle progressiste, Tenou’a.
Cet été, Najat Vallaud-Belkacem, première femme à la tête du ministère de l’Éducation, a décerné à Horvilleur une distinction spéciale. Ses trois enfants, âgés de 3 à 10 ans ont été particulièrement intrigués.
« Il s’agit de l’Ordre du Mérite [second ordre national après la Légion d’honneur]. C’est une distinction spéciale de reconnaissance de la part de la nation d’un travail ou d’un talent, qui vous donne le titre de « Chevalier ». Je l’ai reçu avec le philosophe musulman, mon ami Abdennour Bidar », dit-elle. « Mes enfants sont impressionnés parce qu’ils pensent à un titre médiéval, à quelque chose de légendaire. Ils pensent que je vais recevoir une épée ! »
Remise du Mérite à Delphine Horvilleur et Abdennour Bidar par @najatvb hier au Ministère https://t.co/JhP8ZCilxu pic.twitter.com/xMve0N1Wru
— FLentschner (@FLentschner) July 13, 2016
Mais au-delà de la remise des insignes, Horvilleur endosse des responsabilités au quotidien qui exigent une réactivité permanente.
« Le judaïsme français traverse une période difficile. Les dirigeants des communautés doivent trouver les bons mots pour les besoins spécifiques de notre communauté, aujourd’hui, » explique-t-elle.
« Pour moi, le point fondamental, c’est la résilience. Certains disent que nous n’avons pas d’avenir. D’autres tiennent un autre discours et prétendent que la perception de la menace est disproportionnée. Je suis consciente de l’existence de la menace, mais je suis également en confiance. »
L’impact de ces menaces va au-delà des atrocités du quotidien.
« L’identité juive est soudainement devenue monolithique. Elle semble mois ouverte à l’altérité et à la diversité. Lutter contre l’antisémitisme, promouvoir Israël demande tellement d’énergie que ça a tendance à anesthésier la créativité juive et la possibilité de contribuer à écrire l’histoire de la nation. »
Pour cela, Horvilleur examine la tradition pour se débrouiller avec un futur incertain.
« Nous avons des outils, des outils typiquement juifs, que nous pouvons éveiller et utiliser dans ces contextes » dit-elle.
« Par exemple, la possibilité de se réinventer et celle de vivre entre les mondes. Les juifs ont la possibilité de vivre dans des mondes ‘liminaux’, à la croisée de plusieurs univers de telle sorte qu’on en a beaucoup à apprendre. Notre société a du mal avec la notion de frontières, et le Brexit en est un bon exemple. Nous sommes obnubilés par le rétablissement de frontières, et ces frontières représentent généralement la peur de l’autre. Nous devons enrichir notre monde, prendre en compte la façon dont les autres nous influencent. Je pense que le judaïsme sait très bien que l’on ne peut pas exister sans la reconnaissance de ce que l’on doit à l’altérité. »
On décèle, en demi-teinte, l’influence du temps qu’elle a passé à New York, entre 2002 et 2008, où elle a rencontré son mari et a entamé sa route vers le rabbinat. « J’ai beaucoup dévié sur la route », avoue-t-elle.
Ancienne mannequin et étudiante en médecine, Horvilleur a également vécu en Israël de 1992 à 1996. Dans ses débuts dans l’étude du Talmud en France, elle ne trouvait pas de cours adaptés.
« Il y avait des cours de Guemara, dit-elle, mais pas pour les femmes », raconte-t-elle. « Quelqu’un m’a dit de contacter Drisha, (Institute for Jewish Education) à New York (ndlt. une école talmudique pour femmes). Et c’est ce que j’ai fait. »
Elle y est restée trois mois, puis a intégré les cours à l’Hebrew Union College-Jewish Institute of Religion ainsi qu’au Jewish Theological Seminary. A partir de là, elle a décidé d’entamer le cursus de certification rabbinique de l’HUC.
« J’ai grandi dans un environnement orthodoxe. Je ne connaissais rien des Massorti ou des mouvements réformés », explique-t-elle. « Lorsque j’ai décidé d’intégrer la filière de certification rabbinique, toutes les personnes que je rencontrais et qui étaient pour moi des maitres venaient du mouvement réformé, notamment David Ellenson, Larry Hoffman, Norman Cohen… Et me voilà, je suis femme rabbin à Paris au Mouvement Juif Libéral de France. »
« Je suis très à l’aise dans la plupart des lieux juifs, sauf quand j’ai l’impression que la dignité humaine n’est pas respectée. Je dis souvent que je peux sans problème prier dans une synagogue dans laquelle il y a une mehitsa [séparation en hommes et femmes], tant que cette section n’est pas à l’arrière, cachée, où l’on n’entend rien et où l’on ne peut pas prier parce qu’il n’y a pas de siddourim (livres de prières). »
Le rôle des femmes dans le judaïsme français est limité, à cause du manque d’opportunités, explique Madame le Rabbin, comme elle se fait appeler. Cette phrase a d’ailleurs servi de titre pour le film d’Elisabeth Lechener.
Les femmes françaises sont « catapultées dans cette situation parce qu’elles n’ont pas les connaissances et la compréhension. Parce qu’on ne leur a pas donné le choix ».
Horvilleur raconte : « Récemment, lors d’une Bar Mitsva, tout ce qu’on attendait des femmes, c’était de jeter des bonbons, c’est-à-dire, d’être les femmes nourricières. »
En dépit de ses espoirs pour les juifs, hommes et femmes confondus, les attentats qui ont frappé Paris sont encore très vifs dans la conscience collective. Lors du massacre dans les locaux de Charlie Hebdo, l’équipe a perdu une chroniqueuse connue, juive, la psychanalyste Elsa Cayat. Les membres de sa famille ont sollicité Horvilleur pour procéder à son éloge funèbre.
« Elle était la psy de Charlie hebdo », dit Horvilleur. « Sa famille s’est adressée à moi car ils souhaitent entendre une voix progressiste. »
Depuis le décès d’Elsa Cayat, Horvilleur est restée proche de l’équipe du journal.
« Ils sont même venus assister à l’office du vendredi soir dans ma synagogue cette année. C’est une scène assez improbable, je l’avoue, pour les voix les plus anti-religieuses de France, » dit-elle.
C’est en 2008 qu’Horvilleur a pris les rênes du Mouvement Juif Libéral de France, une synagogue établie dans les années 1970, située dans le XVe arrondissement de Paris.
« C’est une communauté florissante, avec une école juive, des activités pour les enfants, de la créativité musicale et un engagement profond envers le dialogue inter-religieux, » décrit Horvilleur.
Son mari depuis 10 ans, Ariel Weil, est un fonctionnaire élu qui travaille comme conseiller d’arrondissement délégué à la mairie du IVe, dans le Marais, où il a grandi et où le couple vit actuellement. Sa famille a été cachée par des non-juifs durant l’Holocauste.
Pendant Shabbat, Horvilleur prend le métro pour se rendre à sa Synagogue, près de la Tour Eiffel, pour éviter d’utiliser des moyens de paiement.
« Je trouve des arrangements pour diriger l’office de Shabbat », explique-elle.
Horvilleur a également transformé le mouvement Tenou’a, le journal publié par sa synagogue depuis 30 ans. Sous son égide, en tant que rédactrice en chef, il a évolué en un magazine juif pluraliste et indépendant d’art et de pensée juive.
« On m’a demandé de repenser Tenou’a. Nous avons donc décidé de lui donner son autonomie des synagogues ou de l’affiliation à un mouvement. »
Tenou’a a récemment consacré ses publications à la question politique et morale des migrants. Il a traité de la perspective juive sur la communauté LGBT. Les publications de ses contributeurs représentent le spectre confessionnel entier ainsi que les indépendants.
« J’ai une équipe formidable qui travaille à l’Atelier de la Pensée Juive, dit-elle au sujet de son groupe de contributeurs. Des psychanalystes, des rabbins, des écrivains, des scientifiques, des chefs et des éducateurs.
« Nous voulons que ça soit le plus ouvert possible. Des voix libérales, conservatrices, orthodoxes prennent part à ce dialogue. Du jamais-vu dans le paysage juif français. En tant que lecteur, on perçoit le ton progressiste. »
Même Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, y écrit parfois.
L’establishment juif parisien que dirige Korsia date du début du XIXe siècle. Le consistoire, qui a traditionnellement représenté la plupart du judaïsme français, est orthodoxe.
Horvilleur a un lourd passé avec les institutions conventionnelles. En effet, lorsqu’elle était enfant à Reims, Korsia était le rabbin de sa communauté.
« Nous sommes devenus de très bon amis. J’avais 13 ans, il en avait 23, » relate Horvilleur.
En plus de toutes ses casquettes, Horvilleur a également publié de nombreux articles et deux livres aux éditions Grasset, “En Tenue d’Eve, Feminin Pudeur et Judaisme” (2013) au sujet de la pudeur, et “Comment Les Rabbins Font Les Enfants: Sexe, Transmission, Identite Danse le Judaisme” (2015) au sujet de la transmission de l’identité dans la pensée juive.
« Quand je parle de la communauté, je parle en citations. Aux États-Unis, c’est un mot positif. En France, c’est mal perçu. »
Travailler en tant que femme rabbin en France présente ses avantages et ses inconvénients.
« C’est à la fois plus facile et plus difficile d’être dans ce rôle. J’ai le sentiment que beaucoup de juifs français sont enclins à entendre une voie progressive, et tout particulièrement à ce qu’une femme aurait à dire, » déclare Horvilleur.
« D’autre part, indubitablement, l’une des conséquences de ce que nous appelons le communautarisme, la tendance qu’à chaque communauté à se replier sur elle-même est de laisser les voix progressistes à la périphérie. D’une certaine manière, cela étend le territoire du conservatisme. J’ai l’impression que ma voix se fait plus facilement entendre. »
Cette épée à double tranchant, dit-elle, n’a rien à voir avec sa distinction.
« Mais c’est difficile. Parce que c’est plus dur d’entendre une voix progressiste. »
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