L’analyse d’un groupe de réflexion sur les sermons dans les synagogues américaines montre la centralité de la politique israélienne
Installé en Israël, le Jewish People Policy Institute a utilisé l'IA pour examiner 4 400 discours de diverses sensibilités suite au 7 octobre, dont le contenu tourne grandement autour de la guerre

Si vous allez à la synagogue – et si vous faites un tant soit peu attention au sermon du rabbin – vous attendez-vous à ce qu’il parle de la guerre de Gaza ? Ou des dernières nouvelles de la Maison Blanche ?
Selon une étude récente, vous devriez.
Des chercheurs du Jewish People Policy Institute (JPPI), dont le siège se trouve en Israël, ont utilisé l’IA pour analyser 4 400 sermons prononcés dans 34 synagogues par des rabbins orthodoxes réformés, conservateurs ou modernes, entre octobre 2021 et octobre 2024.
Leur enquête a révélé, avant toute chose, que les sermons de toutes les confessions tournaient autour de la politique et d’Israël – surtout depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle l’organisation terroriste palestinienne du Hamas a envahi le sud d’Israël pour y tuer plus de 1 200 personnes, faire 251 otages et déclencher la guerre qui se poursuit, aujourd’hui encore, dans la bande de Gaza.
Suivant les conclusions de cette étude, avant l’attaque du Hamas qui a déclenché la guerre de Gaza, la moitié environ des sermons, toutes confessions confondues, parlaient de politique. Mais après le 7 octobre, lorsque toutes les institutions et événements juifs se sont totalement centrés sur la crise en Israël, les sermons ont suivi le mouvement : plus des deux tiers des sermons analysés à cette époque portaient sur la situation en Israël – à 80 % en ce qui concerne plus spécifiquement les synagogues orthodoxes modernes.
Et la plupart de ces sermons commençaient par des questions politiques.
« Il ne s’agit pas seulement de dire qu’il y a de la politique dans les sermons. La politique occupe une place vraiment centrale », affirme Ghila Amati, autrice principale de l’enquête. « Presque tous les sermons portaient sur la politique après le 7 octobre. Non seulement sur la politique, mais aussi sur Israël. »

Amati convient que, pour les habitués des synagogues américaines, le fait que la politique et Israël soient des sujets centraux – que ce soit en chaire ou lors du buffet du kiddoush – n’a rien de vraiment surprenant.
Mais pour les chercheurs en Israël, pays où les synagogues ne sont pas autant des centres communautaires qu’aux États-Unis, les chiffres attestent de relations fortes avec Israël au sein de la vie institutionnelle juive américaine – mêlant les attentes de la part des synagogues et les différentes perceptions d’Israël de la part des Juifs américains.
« Cela nous dit quelque chose sur le lien de ces communautés avec Israël », poursuit-elle. « On pourrait s’attendre à ce que les Réformés parlent moins d’Israël, qu’ils se sentent moins liés à Israël, mais on voit bien ici que tout le monde parle d’Israël, tout le temps. Il y a une forte envie de parler de ce qui se passe en Israël. »
L’étude ne couvre pas toutes les nuances du culte juif américain. Son idée remonte à l’époque de la pandémie, lorsque les synagogues qui organisaient des services sur Zoom enregistraient et publiaient les sermons de leurs rabbins. Les chercheurs se sont emparés de ces milliers de sermons, qu’ils ont retranscrits avant de les confier à ChatGPT pour les analyser. Ils se sont par ailleurs rapprochés d’un certain nombre de synagogues orthodoxes modernes qui n’utilisent pas d’électricité le jour de Shabbat, de façon à obtenir la copie de leurs sermons – 11 rabbins ont in fine accepté.
La méthode n’est pas sans reproches. En effet, les synagogues ultra-orthodoxes, qui attirent bon nombre de fidèles, ne sont pas représentées, pas plus que les congrégations reconstructionnistes. Les chercheurs n’ont pas non plus fait le distinguo entre les factions idéologiques au sein des mouvements – par exemple, les orthodoxes modernes libéraux et le mouvement plus traditionaliste Young Israel. Les synagogues conservatrices qui n’enregistrent pas les sermons le jour de Shabbat en raison des interdits imposés par la loi juive ne sont pas non plus prises en compte et enfin les rabbins qui ont remis leurs sermons ne sont pas répertoriés.
Il y a cependant quelques points généraux à retenir. Les sermons qui parlent d’Israël le font en termes extrêmement positifs, surtout depuis le 7 octobre.

Les critiques envers Israël avaient atteint un pic avant le 7 octobre, en particulier dans les sermons des synagogues réformées, au moment du projet de refonte judiciaire du gouvernement israélien. A cette période, plus de 40 % des sermons réformés renfermaient des critiques de la politique israélienne.
Après le 7 octobre, la question liée à Israël la plus fréquemment mentionnée dans les sermons est la crise des otages en Israël, à raison de plus d’un sermon sur 10 et même d’un sur cinq au sein des synagogues conservatrices.
Les synagogues réformées sont par ailleurs les plus susceptibles d’évoquer d’autres sujets d’actualité après le 7 octobre, que ce soit par exemple l’aide humanitaire ou les victimes civiles de Gaza. L’idée de partir s’installer en Israël, en revanche, figure dans un très petit nombre de sermons, toutes dénominations confondues.
« Les sermons des rabbins réformés reflètent la plus forte prise en compte de préoccupations éthiques, humanitaires et juridiques, en même temps qu’une plus grande diversité des thèmes politiques », peut-on lire dans les conclusions de l’enquête. « Les sermons conservateurs, très axés sur les otages, parlent peu des questions humanitaires. Les sermons orthodoxes restent presque exclusivement centrés sur la situation des otages, loin des débats politiques ou humanitaires plus larges.
Les chercheurs ont analysé les sermons en donnant à ChatGPT une série de consignes avant de lui livrer le texte des sermons, ce à quoi il a répondu en donnant des exemples de critiques ou d’éloges de la politique israélienne, en des termes qui ne prétendent pas relier la discussion sur la guerre à des thèmes religieux ou rituels.

L’exemple de la défense d’Israël, par exemple, était : « Il y a ceux qui accusent Israël de génocide ou de nuire intentionnellement à des civils. Ce sont de fausses accusations. Israël se protège des attaques terroristes brutales du Hamas. »
Les chercheurs ont eux-mêmes examiné plusieurs sermons afin de s’assurer que ChatGPT ne faisait pas d’erreurs. Cela leur a permis d’identifier une erreur commise par l’IA, à savoir le constat que la grande majorité des sermons commençaient par des thèmes religieux. L’équipe a vite compris pourquoi.
« Nous avons découvert que ce n’était pas le cas », explique Amati. « Chat GPT pensait que chaque fois que le rabbin disait ‘Shabbat shalom’, en début de sermon, il s’agissait d’un contenu religieux. Nous avons dû remédier à ce biais. »