Le fondateur de Mobileye met en garde : la guerre et la refonte judiciaire nuisent à la technologie israélienne
Selon le professeur Amnon Shashua, les Israéliens sont habitués à la guerre, mais pas les investisseurs ni les clients étrangers, ce qui nuit à l'écosystème israélien
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Fondateur de Mobileye et entrepreneur en série parmi les plus talentueux de sa génération, le professeur Amnon Shashua estime que les incertitudes liées à la guerre entre Israël et le Hamas devraient continuer de nuire aux investissements et à l’écosystème technologique local jusqu’à la fin 2025 au moins.
S’exprimant mercredi lors d’une conférence sur la technologie organisée par les consultants PwC Israël et le cabinet d’avocats Goldfarb Gross Seligman à Tel Aviv, Shashua a été interrogé sur l’impact de la guerre sur l’économie en général et sur l’industrie locale de la haute technologie en particulier.
« Pour parler des problèmes macroéconomiques d’Israël, il faut d’abord les définir : l’une de ces difficultés est la refonte judiciaire et les manifestations qui l’ont accompagnée l’année dernière, et les autres, depuis le 7 octobre, la guerre et les incertitudes », a déclaré Shashua.
« Cette situation nuit à notre relation avec nos clients parce qu’ils ne vivent pas en Israël, elle nuit à notre capacité de lever des fonds et elle nuit aussi à la valeur des entreprises israéliennes, qui, si elles étaient dans la Silicon Valley, seraient sans doute mieux valorisées. »
Cofondateur du fabricant de véhicules autonomes Mobileye basé à Jérusalem (une société appartenant à Intel), il est également le cofondateur de la startup israélienne AI21 Labs, société de traitement du langage naturel (NLP) dont l’objectif est de mettre à disposition du plus grand nombre l’IA générative et de rivaliser avec OpenAI.
Shashua souligne que clients et investisseurs n’aiment pas les incertitude en matière de sécurité, et que ces dernières ne portent plus tant sur ce qui se passe à Gaza que sur ce qui se passe dans le nord du pays, sans parler du risque de guerre totale et de son impact sur la continuité des activités.
« En tant qu’Israéliens, nous sommes habitués aux incertitudes et à vivre avec la guerre, mais en dehors d’Israël, investisseurs et clients n’aiment pas les incertitudes », assure-t-il.
« Ce qui n’est pas touché, c’est le talent israélien qui est toujours là – au début de la guerre, environ 20 % de la main-d’œuvre de la haute technologie a été rappelée en service de réserve mais aujourd’hui, ce n’est plus que quelques pour cent », explique Shashua. « Nous employons près de 5 000 personnes et personne n’est parti vivre à l’étranger, donc je ne détecte aucun signe de fuite des cerveaux. »
« Mais il est difficile pour les investisseurs et les clients de venir en Israël car les compagnies aériennes américaines ont annulé leurs liaisons, ce qui est un scandale, fait de nous une zone de guerre où le monde nous oublie – cela nuit à l’écosystème local », poursuit-il.
Il estime que les dégâts infligés à l’industrie technologique pourraient être de courte durée une fois l’incertitude levée avec la fin de la guerre, qui fait rage depuis près d’un an.
« Je pense que cela n’a rien à voir avec le gouvernement qui dirige notre pays – il y a des gouvernements malsains un peu partout dans le monde », poursuit Shashua. « Le problème, c’est l’incertitude, et je crois que d’ici la fin de l’année prochaine, nous en serons sortis. »
Shashua explique qu’en raison de la guerre, les développements technologiques dans l’intelligence artificielle ont continué de progresser, car pendant les combats, il faut constamment trouver des solutions aux problèmes, alors que les budgets de recherche en milieu universitaire ont souffert ces dernières années.
« Il y a moins de subventions pour la recherche, et c’est là que le gouvernement n’en fait pas assez », déplore-t-il. « L’accent doit être mis sur les fonds de recherche, ce qui n’est pas un si gros investissement, tout au plus quelques centaines de millions de dollars. On peut faire beaucoup avec ça, mais l’État ne met pas assez d’argent. »
Les données présentées lors de la conférence à laquelle ont assisté environ 250 jeunes entrepreneurs, investisseurs et avocats montrent que les entreprises technologiques ont du mal à lever des capitaux et à se développer en temps de guerre, mais que l’activité des fusions et acquisitions a repris cette année.
Selon PwC Israël, le nombre d’opérations de fusion et d’acquisition entre janvier et fin août est passé à 39 contre 35 au cours de la même période en 2023, avant le début de la guerre. La valeur des opérations de fusion et d’acquisition s’est élevée à 6,3 milliards de dollars, contre 3,2 milliards de dollars lors de la même période.
Les transactions de grande valeur ont été plus importantes cette année, la valeur moyenne des transactions étant passée de 93 millions de dollars à 161 millions de dollars, selon ces mêmes données. Six des 10 plus grandes entreprises acquises ont été créées il y a seulement cinq ans.
« Nous voulons que la haute technologie israélienne reste en Israël, mais malheureusement, nous entendons parler d’entreprises – nombreuses – qui s’enregistrent aux États-Unis et que les entrepreneurs entendent suivre », ajoute Yaron Weizenbluth, associé et responsable du cluster high-tech chez PwC Israël.
« L’industrie technologique va continuer à être le moteur de croissance de l’économie israélienne en 2025 et dans les dix années à venir, à condition que de nouvelles startups et notamment des entreprises d’IA s’y établissent. »
Interrogé sur les options qui s’offrent aux jeunes entrepreneurs pour créer leur startup, en Israël ou à l’étranger, Shashua répond qu’après avoir fondé une société d’IA il y a de cela dix mois, il juge préférable de le faire en Israël.
« Si vous enregistrez une entreprise aux États-Unis, mais que la gestion, le contrôle et la R&D sont en Israël, l’entreprise reste redevable de ses impôts en Israël sans forcément bénéficier des remises que peuvent avoir les entreprises israéliennes », conclut-il.