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Interview

L’humoriste Modi Rosenfeld, chouchou des orthodoxes, est gay. Et alors ?

L'humoriste juif affirme que la récente révélation au magazine Variety de son mariage avec un homme n’est pas une manière de faire son « coming-out »

L’humoriste Modi Rosenfeld sur scène. (Avec l’aimable autorisation de Rosenfeld)
L’humoriste Modi Rosenfeld sur scène. (Avec l’aimable autorisation de Rosenfeld)

JTA – L’humoriste juif Mordechi Rosenfeld déclare que le récent article paru dans Variety et dans lequel il révèle être marié à un homme n’est en rien un « coming-out ».

« Cet article dit que je suis humoriste et que je suis marié à un homme », affirme Rosenfeld, que ses amis et ses fans appellent Modi.

« Voilà ce que ça dit. Ce n’est pas un coming-out parce que je ne me suis jamais caché. »

Quiconque a écouté attentivement le podcast de Rosenfeld ces derniers mois sait que son mari et lui se sont mariés en 2020. Le couple y évoque sa vie et ses voyages. Dans un épisode récent, ils ont même révélé leur intention de partir en vacances sur Fire Island, destination prisée des gays, et notamment du célèbre auteur de livres de cuisine juif, Jake Cohen.

Pour autant, cette nouvelle aurait pu surprendre une partie au moins du coeur de cible de Rosenfeld, à savoir les Juifs orthodoxes, issus de communautés semblables à celle qui l’a vu grandir, où les LGBTQ sont souvent méconnus, voire mal vus.

Rosenfeld est célèbre pour son humour juif plutôt cultivé, qui joue souvent avec les détails de la loi juive, qu’il dispense lors des croisières casher de Pessah, au profit d’organisations orthodoxes – yeshivot, Young Israel, Hatzalah, le service de secours orthodoxe, ou encore le téléthon annuel du mouvement Habad-Loubavitch.

Jusqu’à récemment, ses sketchs contenaient peu d’éléments de sa vie personnelle et certaines de ses blagues laissaient même penser qu’il avait une épouse nommée Stacy.

« Stacy » est en fait son manager et mari, Leo Veiga, catholique élevé dans le sud de la Floride, que le comédien, âgé de 52 ans, né en Israël et élevé à Long Island, a rencontré dans le métro de New York en 2015.

Cette dissociation reflète la conviction de Rosenfeld qu’un humoriste doit s’adapter à son public.

« Même si une organisation religieuse m’a invité et que les gens sont là, je sais que je dois respecter mon public », a expliqué Rosenfeld à la Jewish Telegraphic Agency.

« Je donne au public ce qu’il veut entendre. Il ne veut pas entendre parler des gays – il veut entendre ce qu’il aime. » « Mais quand je vis ma vie, je fais ce que je veux », a-t-il ajouté. « Ils viennent me voir. »

L’article de Variety est né de la conviction de Rosenfeld qu’il est possible de fusionner publiquement ses identités orthodoxe et gay, chose qu’il pratique de longue date en tant que fidèle et, parfois, de chantre à la synagogue modern-orthodox qu’il fréquente, dans l’East Village.

« Les prières sont faites de manière orthodoxe. Et qu’on le veuille ou non, les gays sont attirés par cette synagogue », confie-t-il.

« Nous sommes un groupe de gays et nous avons des amis trans, qui sont également les bienvenus. »

« Le rôle du rabbin est de faire en sorte que personne ne se sente intimidé ou exclu », ajoute Rosenfeld.

« Soyez vous. Soyez un Juif fier, mais soyez vous-même. »

Le « coming-out qui n’en est pas un » de Rosenfeld est significatif, exemplaire d’un modèle aujourd’hui assez répandu, dit le rabbin Steve Greenberg, directeur et fondateur d’Eshel, organisation de défense des Juifs orthodoxes LGBTQ et de leurs familles.

« Les gens étaient habitués à partir. Sortir du placard signifiait partir. Soit on restait en gardant le silence, soit on parlait et on partait », explique Greenberg.

« Cela a commencé à changer quand les gens n’ont plus voulu choisir entre leur identité religieuse et leur identité queer, et qu’ils ont voulu rester au sein de leur communauté orthodoxe. »

L’article de Variety arrive à un moment de tension autour de l’inclusion des LGBTQ dans l’orthodoxie moderne.

La Yeshiva University – où Rosenfeld a étudié, dans le cadre de la Belz Cantorial School of Music – a récemment fait la une des journaux pour son refus de reconnaître le droit d’un club étudiant LGBTQ à se constituer sur le campus.

Ce mois-ci, une synagogue affiliée à la Yeshiva University a également fait les gros titres pour le traitement infligé à une fidèle transgenre, qui venait de perdre son emploi en raison d’une discrimination sur son identité personnelle. Les autorités de la Yeshiva University ont en effet déclaré qu’elle n’y avait plus sa place.

Cette affaire a beaucoup troublé Rosenfeld.

« Faire ainsi du mal à quelqu’un, de surcroît une personne religieuse, qui observe les mitsvot et qui enseigne, c’est absolument épouvantable », déplore Rosenfeld. « C’est effroyable. C’est tout ce que je peux vous dire. »

Pour Rosenfeld, il n’y a aucune contradiction entre l’observance juive et le fait d’être gay, mais ses arguments trahissent en creux la conscience d’une toute autre réalité, bien plus douloureuse.

« On peut être gay et observer le Shabbat, manger casher. On peut tout faire », assure-t-il.

« On peut étudier le Talmud et la Torah. La seule chose que l’on ne peut pas faire, c’est de se tuer. On ne peut pas se suicider. Ce n’est pas possible. »

Lorsque Rosenfeld a publié l’article de Variety sur sa page Instagram, la grande majorité des quelque 800 commentaires de ses fans et amis ont été des manifestations de soutien à la révélation publique de son homosexualité.

« C’est incroyable que vous disiez être gay », a écrit un fan. « Vous êtes un exemple pour tous les Juifs dont l’homosexualité pose problème. Vous êtes un modèle pour moi. Bravo. »

« Je trouve génial que vous puissiez être qui vous êtes, même avec vos fans orthodoxes », a écrit Peter Fox, écrivain et défenseur de la communauté juive. « Quel merveilleux cadeau pour l’acceptation de tous. »

Quelques personnes ont manifesté l’intention de ne plus le suivre à l’avenir, certains évoquant des arguments tirés d’interprétations de la loi juive [halakha].

« Je n’arrive pas à croire que tu sois gay », a écrit une personne. « Quel Hillul HaShem géant [profanation du nom de Dieu]. J’ai perdu tout respect pour toi. Je ne te suivrai plus dorénavant. Et bonne chance à toi quand viendra le temps du jugement par le Tout-Puissant. »

Rosenfeld ne pense pas que cet article de Variety nuira à sa carrière. Au contraire, dit-il, cela pourrait faire davantage parler de lui.

Depuis qu’il parle des gays, son public est de plus en plus LGBTQ, comme lors de certaines représentations de son spectacle « Holidazed », en décembre dernier au Sony Hall de New York.

Pourtant, souligne-t-il, « sur scène, je suis plus juif que gay ».

Rosenfeld s’est essayé à l’humour alors qu’il travaillait encore à Wall Street. Il était au début de sa vie professionnelle, mais ses collègues se sont vite aperçus de son talent pour l’humour.

Il a réellement percé ces dernières années, symbole d’une nouvelle génération d’humoristes centrés sur leur judéité, interprétant même son propre rôle dans un épisode de « Crashing », sur HBO.

Il y a cinq ans, le maire de New York de l’époque, Bill de Blasio, faisait du 26 juin
la « Journée Mordechi Modi Rosenfeld », pour le remercier de sa contribution à la communauté artistique.

Et en août dernier, Rosenfeld co-organisait le tout premier Chosen Comedy Festival à Coney Island avec son fidèle partenaire de scène, Elon Gold, devant un public de 4 000 personnes. Ce spectacle s’est également produit à Miami et sera à Los Angeles en février.

Par ailleurs, Rosenfeld s’est lancé dans une série de spectacles à guichets fermés sur tous les continents, avec de très beaux succès. Une de ses réparties, partagée des milliers de fois l’an dernier, se moque de ceux qui envoient dans les musées consacrés à la Shoah les personnes qui ont tenu des propos antisémites. Il disait : « Ça va leur donner des idées. »

Depuis la réouverture des Comedy club, fermés durant toute la pandémie, Rosenfeld travaille sur un nouveau spectacle dans le cadre du mythique Comedy Cellar de New York. Il est interdit de filmer dans ce club et, à son entrée, le public laisse portables et autres dispositifs dans des enveloppes cachetées.

L’absence de téléphone donne aux humoristes une plus grande liberté de ton, ce qui se traduit pour Rosenfeld par des réflexions sur la vie avec un homme issu de la generation Y.

L’histoire de Rosenfeld et Veiga est un classique new yorkais : l’humoriste était à bord du train 6 lorsqu’il a senti une légère pression sur son épaule. C’était Veiga, alors stagiaire chez CAA, l’agence artistique, qui se présentait à lui.

« C’est là que nous avons commencé à sortir ensemble », confie Rosenfeld à la JTA.

« Je l’ai emmené au Comedy Cellar, où je jouais. Ce qu’il ignorait. »

Après 15 minutes de spectacle, Rosenfeld a repris place à la table des artistes, où il avait fait venir Veiga, afin de jauger sa réaction.

« C’est alors que je lui ai dit : ‘Voilà, je suis humoriste’ Et puis nous avons dîné, nous avons eu deux autres rendez-vous et il a emménagé chez moi. »

Depuis huit ans qu’ils vivent ensemble, Rosenfeld dit de Veiga qu’il l’a beaucoup aidé dans la gestion de sa carrière, à la fois en tant que mari et manager.

Au début du confinement, alors que les humoristes du monde entier se trouvent désemparés, privés de scène, Rosenfeld pense faire une pause, mais Veiga lui suggère de se tourner vers la vidéo.

Rosenfeld développe donc sa présence en ligne, avec des personnages aujourd’hui célèbres, comme le je-sais-tout israélien « Nir, not far » (marié à la fictive Stacy hors caméra) et Yoely le hassidique, qui passe en revue les émissions de télévision de la quarantaine et se présente à la présidence.

Yoely est un personnage, mais Rosenfeld est un religieux pratiquant.

Il emporte ses tefillin chaque matin, même en tournée, et lui et Veiga ont une maison casher. Bien que Veiga ne soit pas juif – le couple s’est marié civilement – il va à la synagogue avec Rosenfeld, son hébreu et son yiddish sont excellents, et il aime beaucoup les idées et le jargon juifs.

Cela lui permet de défendre leur relation lorsqu’il rencontre des personnes convaincues que leur union est interdite.

Dans un de ses podcasts, Rosenfeld évoque une mésaventure survenue à l’occasion d’une retraite de Shabbat dans un club nautique du comté notoirement conservateur d’Orange, en Californie. Un homme, assis à la même table que le couple, leur dit que la Bible proscrivait l’union de deux hommes. D’après Rosenfeld, Veiga lui rétorque que la Bible dit que les gens ne doivent pas mélanger la laine et le lin, suggérant que les restrictions ne sont pas toujours respectées, et laissant l’homme abasourdi.

Veiga contribue au podcast de Rosenfeld en coulisse depuis ses débuts, en août 2021, et il a même fait quelques apparitions à l’écran dans des enregistrements de décembre 2021. (Signe de la profondeur de son immersion dans le judaïsme, on le voit porter un tee-shirt évoquant le « moukzeh », l’interdiction de toucher ou déplacer certains objets le jour de Shabbat.)

Rosenfeld co-anime le podcast avec l’humoriste juive Periel Aschenbrand. Les invités peuvent être des comédiens, des humoristes ou des rabbins (L’avocat Alan Dershowitz a d’ailleurs fait une apparition).

Leo Veiga, à gauche, porte un t-shirt revêtu du mot hébreu « muktzeh », qui fait référence à l’interdiction de toucher certains objets le jour de Shabbat. (Capture d’écran via YouTube)

Dans un épisode en décembre dernier avec Jake Cohen, Rosenfeld et Veiga ont raconté leur expérience lors d’une rencontre de la Coalition juive républicaine à Las Vegas.

Le couple, qui a admis suivre RuPaul’s Drag Race de plus près que la politique américaine, disent avoir pris conscience des causes qui intéressaient le plus les Juifs Républicains (Israël et l’antisémitisme sur les campus universitaires) et celles qui les intéressaient plus modérément (l’avortement) sur la base du volume sonore des applaudissements.

Ils se sont dits surpris d’avoir été si bien accueillis, en tant que couple gay, lors d’un événement Républicain. Ils n’ont pu s’empêcher de noter l’empressement de nombreuses personnalités politiques et de donateurs à leur montrer des photos de couples homosexuels de leur entourage.

Veiga a confié dans le podcast n’avoir appris que tardivement la présence du gouverneur de Floride, Ron DeSantis, et de l’ex-vice-président Mike Pence, que Rosenfeld a trouvé « un peu effrayant ». Les deux hommes sont en effet favorables à des politiques ouvertement anti-LGBTQ.

Rosenfeld a déclaré n’avoir aucune objection de principe à jouer pour les Républicains, ou qui que ce soit d’autre.

« Si les Démocrates veulent m’inviter, j’irais », a-t-il déclaré. « Si Al-Qaïda veut m’inviter, pareil. Un chèque et un micro, j’arrive. C’est simple. »

Il y a eu un aparté alors que Rosenfeld, Veiga et Cohen évoquaient l’une des idées préférées de Rosenfeld, ce qu’il appelle « l’énergie du Messie ».

« L’énergie du Messie », comme l’explique Rosenfeld, est liée au principe juif qui dit d’aimer son prochain comme soi-même et de répandre cette énergie dans l’univers afin de provoquer le retour du Messie. L’idée est inspirée du dernier dirigeant du mouvement orthodoxe Habad-Loubavitch, le rabbin Menachem Mendel Schneerson, source d’inspiration importante pour Rosenfeld, qui a étudié dans une yeshiva Loubavitch.

L’humoriste Modi Rosenfeld s’entretient avec le rabbin Manis Friedman, à droite, et la comédienne Periel Aschendbrand sur son podcast, en novembre 2021. Un portrait du rabbin Menachem Mendel Schneerson, le dernier rabbi du mouvement orthodoxe Habad, se trouve derrière Rosenfeld. (Capture d’écran via YouTube)

C’est une attitude qui, dit-il, irrigue toute la vie de sa synagogue, qu’il fréquente depuis son ouverture, dans les années 1990.

« J’ai tellement de chance d’appartenir à cette synagogue, la Sixth Street Community Synagogue. Lorsque vous avez l’énergie du Messie, elle vous revient directement », se réjouit-il.

Schneerson considérait l’homosexualité comme un péché et préconisait que les Juifs choisissent de ne pas céder aux pulsions homosexuelles.

L’année dernière, sur son podcast, Rosenfeld a accueilli un rabbin Habad, Manis Friedman, qui fut traducteur du Rabbi, qui est du même avis. Il a dit trouver Friedman inspirant même s’il n’était pas d’accord avec lui sur tout.

A cette occasion, comme en d’autres, Rosenfeld a pu concilier ses diverses identités d’une manière qui s’avère parfois plus difficile pour d’autres.

Greenberg, qui est directeur exécutif d’Eshel, pense, comme Rosenfeld, que l’article de Variety aura peu d’impact sur sa carrière, ajoutant même que l’engagement de Rosenfeld envers les idées et pratiques orthodoxes pourrait jouer en sa faveur.

« Peut-être que certaines des organisations qui le faisaient venir auparavant penseront que c’est une raison de plus de le faire venir », avance Greenberg.

« Certains verront cela comme une forme d’affirmation de soi, postulant qu’il n’y a aucune raison d’abandonner son identité religieuse parce que l’on est gay. »

C’est une idée au cœur de l’une des blagues les plus fameuses de Rosenfeld.

Pour lui, être juif, c’est prier avec les tefillin tous les jours, manger casher et observer le Shabbat tout en vivant avec son mari.

« Je dis toujours que le peuple juif n’est pas le peuple élu, mais celui qui choisit », affirme Rosenfeld. Être juif est un mode de vie, comme l’équinoxe. »

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