Après avoir dû quitter son emploi, une transgenre se voit expulsée de sa synagogue
Talia Avrahami a dû quitter la Shenk Shul suite à la polémique née de son emploi à la Yeshivah Magen David de Brooklyn, accusée de discrimination envers une autre femme transgenre
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël
NEW YORK – La femme transgenre, déjà forcée de quitter son poste d’enseignante dans une yeshiva de New York suite au tollé provoqué par son identité à la fin de l’année dernière, dit avoir été expulsée d’une synagogue affiliée à la Yeshiva University suite à cette polémique.
En septembre, Talia Avrahami avait été priée de quitter son emploi à la Yeshivah Magen David, école juive religieuse de Brooklyn. Victime de harcèlement, elle avait accepté de démissionner.
Avrahami a déclaré au Times of Israel, la semaine dernière, qu’après avoir quitté son poste d’enseignante, on lui avait également demandé de quitter la Shenk Shul, synagogue orthodoxe de Manhattan liée à l’Université Yeshiva, institution modern-orthodox phare de l’enseignement supérieur aux États-Unis.
L’université, connue sous le nom de YU, et la communauté orthodoxe dans son ensemble, réfléchissent à la façon d’accueillir les Juifs LGBTQ.
La Yeshiva University est impliquée dans une polémique, depuis plusieurs années, liée à son refus de reconnaître un club étudiant LGBT.
La Shenk Shul conteste la version d’Avrahami, affirmant : « Nous nous sommes entretenus à plusieurs reprises avec les Avrahami et nous comprenons leurs préoccupations. »
La synagogue a nié qu’Avrahami et sa famille aient été priées de partir, mais n’a pas répondu aux demandes d’informations complémentaires. Avrahami a déclaré que la synagogue lui avait dit qu’elle « ne pouvait pas les accueillir », sa famille et elle.
La Yeshiva University a renvoyé les demandes de commentaires à la Shenk Shul, sans préciser si les personnes transgenres pouvaient assister aux offices dans les synagogues et les groupes de prière affiliés à l’université.
La Shenk Shul reçoit des services et un soutien de l’université, selon le site Internet de YU, et est hébergée dans un bâtiment appartenant à l’université.
Avrahami a déclaré que la synagogue l’avait invitée à partir dès la mi-novembre. Elle a alors cessé de s’y rendre, avec toujours l’espoir d’un règlement à l’amiable. C’est en ce sens qu’elle a organisé une réunion avec les dirigeants de l’université, à la fin du mois dernier. Cette réunion ne s’est pas bien passée et elle a alors décidé de couper les liens avec la synagogue.
Avrahami a rendu publics des textos et courriels échangés avec la synagogue qui corroborent sa version des faits, à savoir qu’elle a été expulsée de la Shenk Shul. On y trouve notamment un courriel de remboursement de sa cotisation.
Avrahami a déclaré avoir contacté le rabbin de la synagogue pour lui demander s’il y avait eu des problèmes lies à son identité, suite au scandale survenu à son travail, dans l’espoir d’apaiser les choses.
Le rabbin lui aurait dit que plusieurs membres de la synagogue s’étaient plaints de sa présence lors des offices, sujet dont il avait informé la Yeshiva University. Selon Avrahami, ce sont les administrateurs de l’université eux-mêmes qui ont demandé au rabbin d’interdire l’accès de la synagogue à Avrahami et sa famille.
« Nous étions très proches du rabbin et de son épouse », a déclaré Avrahami.
« C’est un très gros choc. »
Avrahami et son mari, tous deux originaires des États-Unis, se sont rencontrés lors de leurs études en Israël. Ils se sont ensuite installés à New York pour étudier à la Yeshiva University.
Avrahami est titulaire d’une maîtrise en éducation juive et étudie à temps partiel pour obtenir un autre diplôme en histoire juive. Son mari travaille à l’université.
Avrahami a déclaré que sa vie et celle de son mari tournaient depuis des années autour de la Yeshiva University, ajoutant que l’université avait « été formidable pour nous », mais que les choses s’étaient détériorées après la polémique de cet automne.
On lui a demandé de quitter son poste d’enseignante à la Yeshivah Magen David quelques jours après la « soirée des parents d’élèves » organisée par l’école, moment où les parents des élèves font la connaissance des enseignants.
C’est à ce moment que l’un des parents d’élèves a filmé Avrahami, avant de mettre la vidéo en ligne, où elle a été abondamment relayée, donnant lieu à des discussions qui n’ont fait qu’amplifier la polémique, certains l’accusant d’être un homme se faisant passer pour une femme.
Elle a été la cible d’attaques sur les réseaux sociaux et des sites communautaires ont publié des articles avec des titres accusateurs. Elle a reçu des messages virulents, et ses coordonnées – numéro de téléphone et comptes sur les réseaux sociaux – ont abondamment circulé.
Quelqu’un l’a même filmée en train de sortir de chez elle, avec son mari et sa fille en bas âge, et a publié les images en ligne.
C’est à ce moment que l’école lui a dit qu’elle ne convenait pas pour le cours d’études sociales et qu’elle a accepté de partir.
« C’est une enseignante que nous respectons et dont nous nous sommes séparés d’une manière amicale et professionnelle, d’un commun accord », avait déclaré l’école au Times of Israel au moment des faits.
Toujours à la Yeshivah Magen David, le mois dernier, une femme transgenre employée en cuisine, Zephyr Wingard, a été licenciée moins de deux semaines après son embauche.
Au Times of Israel, elle a déclaré que le licenciement était discriminatoire, témoin en était le comportement très déplaisant de sa cheffe.
« Je suis très féminine, avec des cheveux très longs », expliquait-elle le mois dernier.
« Je pense qu’elle a été très décontenancée : elle n’a pas apprécié, et a fait tout ce qu’elle pouvait ensuite pour me mettre extrêmement mal à l’aise. »
Elle explique s’être plainte de ses conditions de travail puis avoir attrapé la grippe, avant d’être congédiée par téléphone.
La loi de l’État de New York protège les travailleurs contre toute discrimination fondée sur le sexe et autorise les congés maladie justifiés dès le début du contrat de travail.
Selon une source proche de l’affaire, Wingard aurait intenté une action en justice contre l’école pour licenciement abusif.
La Yeshivah Magen David s’est refusée à tout commentaire.
Avrahami et sa famille ont rejoint une autre synagogue des environs et elle travaille aujourd’hui comme enseignante suppléante.
Les droits LGBTQ au sein de la communauté modern-orthodox sont sous les projecteurs depuis que la YU lutte devant les tribunaux pour empêcher la création d’un club LGBTQ+ sur le campus, au motif que cela violerait ses droits religieux.
L’université affirme que la reconnaissance d’un tel club porterait atteinte à ses croyances religieuses.
Homosexualité et mariage homosexuel sont généralement mal vus par le judaïsme orthodoxe, même si l’orthodoxie moderne s’efforce d’accueillir les personnes LGBTQ.
La bataille juridique qui fait rage entre l’université et le groupe Pride a commencé en 2020, lorsque des militants étudiants LGBTQ ont accusé l’université de discriminations en déposant plainte auprès de la Commission des droits de l’homme de la ville, puis en portant l’affaire devant les tribunaux, l’an dernier.
Le différend juridique tourne autour de la question de savoir si l’université est une institution laïque, qui doit alors respecter les lois sur la non-discrimination, ou une institution religieuse, alors couverte par le Premier amendement et la libre expression des croyances.