Pourquoi Londres, Paris et Berlin critiquent durement Israël sur Gaza mais le soutiennent sur l’Iran ?
La proximité de la République islamique et de la Russie est un fait, mais avant tout ces pays européens ne voient rien de mal à ce que quelqu'un mate un pays qui est aussi une menace pour eux

WASHINGTON (JTA) – Il y a de cela dix ans, le gouvernement israélien et les trois grandes puissances européennes étaient diamétralement opposés au sujet de la façon d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. La Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne étaient toutes favorables à l’accord nucléaire iranien ; Israël a fait son possible pour qu’il n’advienne pas.
Aujourd’hui, alors qu’Israël et l’Iran frôlent la guerre totale, gouvernements européens et israélien sont – avec des différences de ton, mais mineures – sur la même longueur d’onde. Les dirigeants des trois pays européens ont en effet déclaré que le droit d’Israël à se défendre et empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire était primordial.
Ces témoignages de soutien à Israël, depuis le début de ses bombardements contre les systèmes nucléaires et balistiques de l’Iran, sont d’autant plus remarquables qu’ils viennent de trois pays qui ont eu la dent très dure envers Israël en raison de sa conduite de la guerre contre l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza.
Les experts en politique étrangère attribuent cette affabilité de ton, au sujet de l’Iran, aux inquiétudes européennes nées du récent rapport d’experts de l’ONU selon lequel l’Iran n’a jamais été aussi proche de l’arme nucléaire. Un autre facteur, possible, est l’alliance de l’Iran avec la Russie dans la guerre contre l’Ukraine.
« L’agence de l’ONU nous annonce que, depuis 20 ans, les Iraniens piétinent les termes du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) », explique lors d’une interview Dov Zakheim, sous-secrétaire à la Défense de l’administration George W. Bush, en faisant allusion au rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique publié la veille des attaques israéliennes.
« Ces trois pays sont totalement engagés dans le TNP : leur souci est le suivant : si les Iraniens violent le TNP – que ce soit dans un mois, six mois, six semaines, six jours – les Iraniens auront un jour l’arme nucléaire », poursuit Zakheim, qui commente la politique étrangère pour le journal The Hill. « Or, cette arme n’est pas une menace que pour Israël. C’est une menace pour tout le Moyen-Orient. »
Selon Halie Soifer, conseillère à la sécurité nationale de l’ancienne vice-présidente américaine, Kamala Harris, lorsque cette dernière était sénatrice de Californie, le « E3 », comme s’appelle ce format de négociation, a été pendant des dizaines d’années à l’avant-garde de la lutte contre le programme nucléaire militaire de l’Iran.

Après que l’AIEA « a révélé dans son rapport que l’Iran trichait en cachant la réalité des opérations d’enrichissement, ces trois pays européens ont pris l’initiative de prendre une résolution à ce sujet », rappelle Soifer, qui est aujourd’hui PDG du Jewish Democratic Council of America [NDLT : Conseil démocratique juif d’Amérique]. Cette résolution, précise-t-elle, « presse l’Iran de remédier de toute urgence à ses points de non-conformité ».
Ce rapport de l’AIEA semblait très présent à l’esprit des trois dirigeants lorsqu’ils ont pris la parole au sujet des attaques préventives israéliennes.
Le président français Emmanuel Macron a déclaré au lendemain des premières frappes d’Israël que l’Iran était le principal responsable de l’accélération de son programme nucléaire.
« L’Iran porte une très lourde responsabilité dans la déstabilisation de la région », a déclaré vendredi Macron, cité par Reuters. « L’Iran continue d’enrichir de l’uranium sans aucune justification civile et à des niveaux très proches de ce qui est nécessaire pour un engin nucléaire. »

Keir Starmer, le Premier ministre britannique, a déclaré samedi qu’il avait envoyé des avions de chasse et de soutien dans la région. La décision, a-t-il dit, a été prise après ce qu’il a qualifié de conversation « agréable et constructive » avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, « en autres sur la question de la sûreté et de la sécurité d’Israël, ce qui est normal, s’agissant de deux alliés ».
Le chancelier allemand Friedrich Merz s’est également entretenu avec Netanyahu.
« Israël a le droit de défendre son existence et la sécurité de ses concitoyens », a-t-il déclaré dimanche dans un message sur les réseaux sociaux. « Le programme d’armes nucléaires de l’Iran fait peser une menace vitale pour l’État d’Israël. »
Les trois dirigeants se trouvent en ce moment au Canada pour le sommet du G7 des principales nations industrialisées : chacun a dit espérer que le groupe de coordination – et surtout l’administration Trump – forme un front uni derrière Israël, tout en plaidant en faveur de l’apaisement. Le président américain Donald Trump semble être de la partie.
Le ton des dirigeants européens est, aujourd’hui, on ne pleut plus différent des critiques sévères – voire des menaces – proférées précédemment, nourries par les informations selon lesquelles Israël s’opposait à l’acheminement de l’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza – ce qu’Israël nie avec constance.
Ces dernières semaines, le gouvernement allemand a envisagé d’interdire la vente de certaines armes à Israël, une annonce sans précédent de la part du plus grand soutien d’Israël en Europe. Lundi, la France a privé une entreprise israélienne du droit d’exposer au salon de l’armement du Bourget, à Paris, au motif qu’elle aurait exigé des fabricants israéliens qu’ils s’abstiennent d’exposer des armes dites « offensives ». La Grande-Bretagne a suspendu ses négociations de libre-échange avec Israël et sanctionné deux ministres extrémistes.
Laura Blumenfeld, chercheuse principale au Phillip Merrill Center for Strategic Studies de l’Université Johns Hopkins, estime que ces trois pays tiennent des postures avant tout morales en matière de politique étrangère en raison de leur « culpabilité et de leur histoire », en leur qualité d’ex- puissances coloniales et, dans le cas de l’Allemagne, de son passé nazi.
« De leur point de vue, l’attaque de Netanyahu contre Gaza est passé d’une riposte raisonnable au 7 octobre », jour où le Hamas a déclenché la guerre en commettant un pogrom en Israël, « à un acte fou de punition collective sur une population affaiblie », explique Blumenfeld dans un SMS.

« L’Iran, en revanche, est un omnivore territorial, une théocratie et une puissance du seuil nucléaire, qui ne cache rien de son intention de détruire le petit État d’Israël. Israël est un allié », poursuit-elle. « C’est une menace littéralement vitale. »
Il convient par ailleurs de noter la différence de ton par rapport à celui qui prévalait, dix ans plus tôt, lorsque les dirigeants de ces trois pays avaient fermement soutenu l’accord nucléaire négocié à l’époque par l’administration Obama – un accord que Netanyahu avait tenté de faire échouer.
« Nous sommes convaincus que cet accord est la base du règlement définitif du conflit sur le programme nucléaire iranien », avaient déclaré la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le Premier ministre britannique, David Cameron, dans un éditorial du Washington Post qu’ils avaient rédigé ensemble.

En revanche, Ron Dermer, alors envoyé de Netanyahu à Washington et aujourd’hui proche parmi les proches, avait déclaré dans le même journal que cet accord « aggrav[ait] les choses en augmentant le risque d’une guerre conventionnelle contre l’Iran et ses mandataires terroristes ». En 2018, à la demande de Netanyahu, Trump se retirait de l’accord, laissant les coudées franches à l’Iran pour enrichir les matières fissiles à des niveaux militaires.
Le soutien actuel des trois pays européens à Israël n’est pas incompatible avec leur position d’il y a dix ans, estime Ilan Goldenberg, qui a occupé des postes de haut niveau liés à l’Iran dans les Départements d’État et de la Défense de l’administration Obama. Dans les deux cas, explique-t-il, les Européens cherchent avant toute chose à empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. La différence est que l’Iran en est aujourd’hui plus proche que jamais.
« Nos alliés européens se disent probablement : ‘Ce n’est pas ce que nous voulions, mais puisque que nous y sommes, nous serons certainement plus heureux si cela permet au final de stopper le programme de l’Iran’ », poursuit Goldenberg, qui est aujourd’hui vice-président senior de J Street, organisation politique juive libérale spécialiste du Moyen-Orient.
Un autre élément susceptible d’expliquer la méfiance de l’Europe envers l’Iran est la pratique maintenant ancienne du régime – surtout depuis sa création, en 1979 – consistant à envoyer des assassins ou de terroristes en Allemagne, en France ou ailleurs pour éliminer ses dissidents et ennemis.
« Nous nous préparons à ce que l’Iran s’en prenne à des Israéliens ou des Juifs en Allemagne », a indiqué Merz dans sa déclaration.
L’alliance de l’Iran avec la Russie et l’aide tactique qu’elle lui apporte contre l’Ukraine, dans cette guerre sans fin, fait également partie de l’équation.
D’après M. Zakheim, les récentes menaces des acolytes du président russe, Vladimir Poutine, d’utiliser l’arme nucléaire ont profondément déstabilisé l’Europe. « Tous ses sbires n’arrêtent pas de lui dire d’utiliser des armes nucléaires, ce qui terrifie l’Europe occidentale et les grands pays qui la composent », poursuit-il.
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, « est le marchand d’armes de Poutine, son fournisseur fiable de drones », conclut Blumenfeld. « Et Israël est littéralement en train de faire exploser son fournisseur. »
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