Quels sont les enjeux du couloir commercial Inde-Arabie saoudite-UE pour Israël ?
Netanyahu considère Haïfa comme un pôle du réseau d'infrastructure annoncé par Biden, Modi et autres - mais cela ne signifie pas qu'un accord avec Ryad soit imminent
Il y a eu beaucoup d’enthousiasme, samedi, sur la question du leadership d’Israël après une grosse annonce au sommet du G20 qui se tient actuellement en Inde. Cette dernière, les États-Unis, l’Arabie saoudite, les États-Unis, l’Union européenne (UE) et d’autres vont donner vie à un ambitieux projet de transport maritime et ferroviaire traversant le Moyen-Orient pour relier l’Inde à l’Europe.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a alors salué la nouvelle en évoquant rien de moins qu’un « projet de coopération qui est, en réalité, le plus grand projet de coopération de notre Histoire ».
Sans surprise, il a dépeint Israël comme le pôle de ce système ambitieux : « Notre pays, Israël, sera un carrefour central dans ce couloir économique, nos lignes ferroviaires et nos ports ouvriront un nouveau portail depuis l’Inde et à travers le Moyen-Orient jusqu’en Europe, et vice versa. »
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Le Conseiller à la sécurité nationale Tzachi Hanegbi a estimé que le projet était « la preuve la plus évidente » que la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, qui n’était autrefois qu’une « supposition hasardeuse », était en train de devenir une opportunité réaliste, avec des objectifs tangibles.
Mais cette initiative – qui viendrait concurrencer le projet-phare chinois « La Ceinture et la Route, » qui vise à redonner vie à la Route de la Soie – si elle devait se concrétiser, parle beaucoup moins de normalisation ou encore d’Israël que Jérusalem aimerait le penser.
« Je pense que c’est une initiative significative – mais pas pour les raisons auxquelles pourraient penser les Israéliens », explique Yoel Guzansky, chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale à Tel Aviv.
Voies de triage
Les experts soulignent que le projet est un résultat direct de la rivalité croissante entre la Chine et les États-Unis.
« Il entre dans le cadre des efforts livrés par le président Biden pour rallier les Indiens au camp américain », dit Efraïm Inbar, président de l’Institut de Jérusalem de stratégie et de sécurité.
Pour Guzansky, il faut replacer le plan dans le cadre des ambitions nourries par Washington dans la région après que les États-Unis ont paru perdre une certaine influence au Moyen-Orient au profit de la Chine.
« Plus largement, les États-Unis envoient le signal qu’ils font leur retour dans l’Océan Indien et au Moyen-Orient ou qu’ils n’ont jamais réellement quitté ces régions », ajoute-t-il. « C’est un signal envoyé à la Chine. C’est le jeu. Je pense qu’il est arrivé quelque chose au mois de mars, quand les Chinois ont parrainé l’accord conclu entre les Saoudiens et l’Iran ».
A ce moment-là, Ryad et Téhéran avaient surpris Washington en annonçant le rétablissement de leurs liens diplomatiques depuis la capitale de la Chine, ce qui était apparu comme une victoire majeure de Pékin en matière de politique étrangère.
« Le signal d’alarme s’est déclenché à la Maison Blanche », continue Guzansky. « Depuis, il y a des tentatives, nous pouvons le constater, visant à dépoussiérer toutes sortes d’initiatives et de programmes avec l’Arabie saoudite autour de la normalisation avec Israël, ou autour de toutes sortes de choses autour de l’Iran ».
Mais le réseau proposé en matière de transports ne sert pas seulement les intérêts américains. Il répond également aux inquiétudes pressantes de l’Inde.
L’un des plus grands défis à relever, pour l’Inde, provient de la Chine voisine, qui a lourdement investi dans des routes, dans des lignes ferroviaires et dans des ports de tout le globe dans le cadre de son projet de « La Ceinture et la Route » – qui vise à revitaliser les anciennes routes de la Soie – ce qui permettra à Pékin de mieux contrôler le commerce et les produits manufacturés qui traversent l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Europe.
Le gouvernement, à New Delhi, qui considère cette Route de la Soie moderne comme une entrave à sa propre croissance et à son propre commerce international, a initialement cherché à éviter d’être étouffé en créant son propre couloir qui relie Mumbaï à Moscou, via l’Asie centrale et l’Iran.
Mais le projet – connu sous le nom de « Couloir de transit Nord-Sud » – a été dans l’incapacité de décoller sur le terrain.
Avec la signature des Accords d’Abraham, en 2020, l’Inde a trouvé une nouvelle opportunité de défier les projets de la Chine en matière de commerce régional et mondial.
Le réseau ferroviaire proposé entre Israël et les Émirats arabes unis permettrait à l’Inde de livrer ses produits manufacturés aux Émirats, qui les enverraient en train vers l’Arabie saoudite et vers la Jordanie avant d’entrer en Israël, via Beit Shean, et de partir en bateau vers l’Europe, par le port de Haïfa, où ils seraient transformés au préalable.
Les produits quittant Haïfa seraient envoyés vers le port du Pyrée, en Grèce, qui est l’un des plus importants d’Europe – accordant un accès à tout le continent à l’Inde.
Oshrit Birvadker, expert de l’Inde à l’université Reichman de Herzliya, note que le couloir économique fait partie intégrante du repositionnement national amorcé par l’administration de Modi Narendra, dans le cadre duquel elle tente de montrer que l’Inde peut concurrencer la Chine dans ses produits manufacturés.
« La route occidentale du couloir raccourcira le temps nécessaire pour l’arrivée des produits manufacturés indiens en Europe, ce qui abaissera encore leur prix », explique Birdavker. L’itinéraire empruntera le complexe portuaire massif de Mundra, sur la mer d’Arabie qui, dit-elle, figure parmi les ports les plus avancés du monde.
« Cette nouvelle connectivité constitue un changement de paradigme qui a des conséquences géopolitiques énormes qui sont susceptibles de redessiner le rôle tenu par l’Inde dans l’ordre économique eurasien », selon Michael Tanchum de l’Université de Navarre, en Espagne, qui étudie les réseaux stratégiques de connectivité entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
Meet India’s Arabian-Mediterranean Corridor to Europe
➡️????????-????????-????????-????????-????????-???????? = A Eurasian #geopolitics gamechanger
➡️See my new 44-page report "India’s Arab-Mediterranean Corridor: A Paradigm Shift in Strategic #Connectivity to Europe" via @ISASNus
????https://t.co/gcg70IUumK pic.twitter.com/f8EZvzsd2m
— Prof. Michael Tanchum (@michaeltanchum) September 1, 2021
Les produits pourraient ainsi arriver en Europe, depuis Mumbaï, en l’espace de dix jours, ajoute Tanchum – soit 40 fois plus rapidement qu’en empruntant le Canal de Suez.
Liens manquants
En 2021, le ministère des Transports avait annoncé qu’il avait donné le feu vert à la création d’une expansion de la ligne ferroviaire reliant Haïfa et Beit Shean, qui serait ainsi prolongée de plusieurs kilomètres à l’Est, jusqu’à la frontière jordanienne, où de nouveaux entrepôts de stockage seraient aussi construits.
Un projet qui ne s’est pas concrétisé jusqu’à présent. Il reste par ailleurs 300 kilomètres de rails à construire en Jordanie et en Arabie saoudite.
Les plans de liaisons ferroviaires régionales – une idée qui remonte à l’époque ottomane – sont sur toutes les lèvres depuis des années, mais il n’y a aucune garantie sur le fait que la volonté politique et les financements nécessaires puissent se matérialiser un jour. Malgré un dégel récent entre les deux pays, la Jordanie s’inquiète encore profondément à l’idée de coopérer de manière trop étroite avec Israël sur des projets publics et les Saoudiens n’ont pas encore reconnu officiellement Israël.
Le réseau ferroviaire actuel, en Jordanie, qui date de l’époque ottomane, est encore largement sous-développé et il est d’un calibre différent de ceux de l’Arabie saoudite et d’Israël.
« Les voies ferroviaires qui sont construites entre les États du Golfe présentent un si grand nombre de problèmes et ils ne sont pas encore terminés après de nombreuses années », dit Guzansky. « Et il y a des obstacles politiques, personnels, tribaux, des obstacles de toutes sortes à franchir. Il y a, de surcroît, tant de pays impliqués, Israël, les pays arabes… cela ne sera pas facile. »
Pour Inbar, c’est la bureaucratie, en Inde, qui reste l’obstacle le plus important.
« C’est un projet qui est bon pour tout le monde », s’exclame Inbar. « La difficulté, ça va être sa mise en œuvre. »
Au mois de mai, le service des investisseurs de Moody’s, dont le siège est aux États-Unis, a émis un rapport affirmant que « la bureaucratie accrue dans la prise de décision » de l’Inde était susceptible de réduire son attractivité face aux investisseurs.
« Je pense qu’il va falloir encore beaucoup de temps avant de voir quelque chose se concrétiser », dit Guzanky, de son côté. « Je ne suis pas sûr de qui financera tout ça, de qui donnera l’argent nécessaire pour construire ces infrastructures gigantesques. »
La Chine, qui est le leader mondial en ce qui concerne le financement et la réalisation de méga-projets d’infrastructure, serait un choix naturel – mais il est peu probable que la Chine accepte de coopérer avec une initiative soutenue par les États-Unis, dont l’objectif est de saper ses propres priorités.
« C’est difficile pour moi d’imaginer tout ça se matérialiser », ajoute Guzansky. « Je pense qu’il s’agit davantage d’une déclaration ou d’une intention, celle des États-Unis d’investir dans l’Inde. »
Connectivité
Jérusalem peut avoir souhaité voir dans ce projet le signal ferme que la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite pointait à l’horizon, mais l’initiative ne dépend pourtant en rien de cet accord très audacieux. Les lignes ferroviaires saoudiennes connecteront le royaume à la Jordanie, pas à Israël, et Ryad a mis en œuvre d’autres arrangements, en matière de transports, qui touchent Israël tout en établissant très clairement qu’ils n’ont rien à voir avec une éventuelle reconnaissance du pays.
L’été dernier, l’Arabie saoudite a ouvert son espace aérien aux vols commerciaux israéliens, disant dans un communiqué avoir pris « la décision d’ouvrir l’espace aérien du royaume à tous les transporteurs aériens qui répondent aux exigences de l’autorité saoudienne en matière de survol de son territoire ».
Il y aurait néanmoins probablement des avantages à tirer de ce projet pour l’État juif.
« Cela pourrait induire un meilleur commerce, peut-être, avec la péninsule arabe s’il doit y avoir une ligne ferroviaire », note Guzansky. « La connectivité avec le Golfe est importante pour tous les produits manufacturés qui seront envoyés à Haïfa. »
Le ministère des Affaires étrangères s’est refusé, pour sa part, à commenter l’initiative régionale.
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